Dans l'acte créateur se mélangent les trois facteurs suivants : imagination, intelligence, esprit que seul le goût peut unifier. Dans l'esthétique, le goût apparaît pour juger le beau dont la contemplation en est l'unité. Métaphoriquement, le jugement de goût enferme chacun d'entre nous dans la subjectivité et dans l'individualité, car le goût est le sens le plus ancré en nous, le plus sensuel, le plus délicat, le plus viscéral, il n'y a donc pas de goût sans dégoût, et, affirmer notre goût ne va pas sans l'intolérance viscérale du goût d'autrui.
En cela, le goût n'est pas l'affaire d'une sensation ou d'une sensiblerie, c'est un jugement.

Le jugement esthétique est beaucoup plus profond que la simple approbation de la sensibilité. Le plaisir des sens est lié à notre constitution personnelle et ne vaut que pour nous-même, par conséquent, il ne peut exprimer un jugement esthétique. L'appréciation de l'agréable est individuelle, chacun reste seul juge de son propre plaisir.
Dire que quelque chose est beau est une prétention à un jugement universel ; il faut donc savoir distinguer l'agréable au beau agréable.
La spécificité du jugement de goût est donné par un jugement caractéristique porté sur des objets précis, c'est donc une appréciation esthétique non sensible.

"Quand on juge les choses par concept, toute représentation de la beauté disparaît." (Kant)

Le jugement de goût va devoir s'affranchir de certaines caractéristiques qui nous sont propres. Pour que le goût s'élève au-dessus du plaisir et de l'agrément afin qu'il puisse prétendre à l'universalité, il faut qu'il se libère du sentiment de la jouissance sensuelle ou de l'intérêt de l'instinct.

"C'est seulement quand le besoin est apaisé qu'on peut distinguer qui a du goût et qui n'en a pas." (Kant)

Pour éprouver une jouissance esthétique, il faut se détacher de sa nature, s'éloigner ironiquement de la réalité. Cette même jouissance marque la liberté de l'esprit qui doit être indépendante de la réalité. Le jugement de goût doit se libérer des intérêts de la société ainsi que de la moralité.
La loi morale dicte notre attitude et nous empêche d'apprécier les choses en tant que telles, ce qui induit que le jugement esthétique doit s'affranchir des instincts tyranniques et des obligations de la loi, par conséquent, le goût se définit comme une entière liberté de jugement. Le jugement moral ne doit donc pas intervenir dans l'estimation de la beauté d'une chose.
Le jugement esthétique est porté sur la forme et non sur le fond, il reste donc indifférent au contenu.
D'après Kant, la moralité n'est pas une affaire de goût et le goût n'est pas une affaire de morale, le beau est indépendant du bien, il est l'objet d'une jouissance désintéressée.
L'art est à mi-chemin entre la spontanéité de la nature et l'action intentionnelle.
Pour Aristote comme pour Kant, l'activité artistique est une fin en soi.

"On ne joue de la cithare pour une autre fin que de jouer de la cithare." (Aristote)

La création esthétique artistique est une activité de jeu qui ne répond à aucun intérêt défini, ni utilitaire, ni moral, par conséquent la beauté n'est bonne en rien, c'est une fin en elle-même.
L'oeuvre d'art est une action volontaire et intentionnelle car si c'est une production du hasard, elle n'a pas lieu d'être une oeuvre d'art. D'une façon contradictoire, la beauté ne peut être expliquée autrement. Le génie est le naturel dans l'art qui s'oppose lui-même dans la nature.
Le plaisir esthétique est donc une jouissance désintéressée, mais tout plaisir s'oppose à la satisfaction d'un intérêt.
Le jugement est une faculté appartenant à l'entendement, il est universel et objectif.
Le jugement de goût ne se fonde pas sur des concepts donc on ne peut pas en disputer (en latin disputatio : décider par preuve).

"Les goûts et les couleurs se discutent, mais on peut pas en disputer."

Le goût est vu comme un sentiment agréable, qui consiste à savoir faire la différence entre ce qui plaît et ce qui est beau, ce qui entraîne bien souvent un conflit d'opinions, où l'on s'applique à réfuter la thèse de l'adversaire, la discussion reste toujours porteuse, pour qui sait ouvrir son esprit, mais on ne peut en faire de conclusion, car on ne peut pas apporter la preuve de ce que l'on avance.

Source : Critique de la faculté de juger ~ Emmanuel Kant


Retour à l'accueil