LE CINÉMA D'ANIMATION # 1
04 janv. 2016
INTRODUCTION : VENDRE, ÉDUQUER, CONVAINCRE
Le graphisme a toujours été employé par le biais de la publication ou d’affiches, pour faire la publicité d’un produit ou pour la diffusion d’une idéologie.
L’animation est considérée comme une mise en mouvement de formes graphiques, qui a été et qui continue d’être largement employée pour diffuser des messages visuels efficaces.
Publicité, pédagogie, propagande sont très proches dans les techniques employées : seul le but final de la campagne diffère.
Techniquement, vendre un homme politique ou une bouteille de jus de fruits est identique. C’est le point de vue moral qui permet de définir la terminologie à appliquer à une activité pourtant unifiée dans ses buts.
Concernant l’éducation, il ne s’agit pas de vendre quoi que ce soit, car le savoir ne se limite pas à une valeur marchande ou dite « efficace », contrairement à la publicité et à la propagande.
L’ensemble de ces trois modes de diffusion de données vise à montrer le potentiel de l’animation en termes de « force de frappe » auprès de différents publics ciblés par le diffuseur et le concepteur des films, afin de gagner l’adhésion du public à un produit, à un savoir, à une idée ou à une idéologie.
Dès 1910, toutes ces techniques se sont rapidement diffusées, particulièrement lors de la Première Guerre mondiale, des réflexions sur la propagande et la reconnaissance du pouvoir supposé du cinéma sur l’inconscient du spectateur.
LA PUBLICITÉ
La puissance audiovisuelle de l’animation est une chose importante dans une campagne promotionnelle. L’animation a été très vite utilisée pour faire la publicité de produits au cinéma puis à la télévision et ce jusqu’à nos jours.
Les techniques contemporaines d’animation sont surtout utilisées pour donner à voir des images en PVR compositées, c’est-à-dire, un procédé intégrant différentes images en une seule dans une logique d’effets visuels.
Dans les publicités, l’animation constitue une plus-value très importante, car l’imagerie animée ajoute plus que des effets spéciaux au sein d’une publicité dont le produit constitue un élément traditionnel, par exemple, pouvant créer un nouvel imaginaire.
Exemple : les publicités pour les téléphones portables emploient aussi de nombreux effets d’animation pour rendre compte de la dématérialisation des individus et de leur transport virtuel à travers les airs pour rejoindre leurs correspondants (une nuée de petits cubes se remodélisant dans un espace différent).
La publicité apparaît clairement comme un champ privilégié pour faire de l’animation, puisque l’animateur y trouve de quoi vivre et créer à la fois.
L’impact public des « cartoons » est tel dans les salles de cinéma et à la télévision que leur utilisation apporte une plus-value importante à l’image du produit marketé.
Dès les années 1950, tous les studios se positionnent sur ce nouveau marché de l’animation. A la même époque, en France, la profession de publicitaire s’organise et se développe. Création d’un festival du film publicitaire doté d’un Grand Prix (à Cannes).
La presse spécialisée dans la publicité s’élargit également en journaux corporatifs mentionnant souvent la qualité de l’animation comme support publicitaire.
« Le cinéma d’animation français, à l’avant-garde durant les années 1930, avait en 1955 presque disparu en tant « qu’art pur ». (Cf. Georges Sadoul, 1972).
« Il est évident que le dessin animé sert bien le cinéma publicitaire : la fantaisie d’animation, les couleurs brillantes, les sons cocasses constituent des atouts auxquels le public est sensible ».
LA PÉDAGOGIE
La dimension pédagogique de nombreux films documentaires depuis les années 1910 a rendu l’animation presque indispensable : elle permet de rendre clair et lisible un message pour tous, y compris pour les analphabètes qui étaient nombreux en France, mais aussi partout dans le monde avant et après 1945.
Walt Disney était convaincu de la dimension éducative de l’animation. Il prétendait avoir découvert un outil éducatif d’une valeur telle qu’on pouvait l’utiliser dans d’autres buts.
« Sans doute, dans l’esprit des futurs éducateurs, le dessin animé sera l’instrument le plus docile, le plus souple et le plus stimulant de l’enseignement ».
Il s’agissait de films dédiés à l’apprentissage de savoirs fondamentaux pour des enfants ou des adultes (le film se substitue en partie au professeur) ou encore de films prophylactiques et hygiéniques, catégorie assez répandue, destinée à un public civil peu instruit et comprenant peut-être mieux des dessins animés que des discours.
Cette catégorie de films d’animation était très active entre 1910 et 1970, mais aujourd’hui elle a disparu.
Le développement de la télévision ainsi que la disparition des formats semi-pros (16 mm, 9,5 mm, Super 8) dans la diffusion scolaire, militaire et médicale, sont la cause de la disparition progressive d’une esthétique de « cartoon » qui avait largement favorisé l’essor des thématiques.
La télévision a pris, en grande partie, le relais de ce type d’animation pédagogique, même si les programmes sont relativement rares et d’une qualité variable. Mais c’est surtout dans le « serious game » (un jeu destiné à apprendre) que réside le futur de ce type de produit.
Durant la Première Guerre mondiale, le film devient un élément central de la diffusion des connaissances mais aussi des règles d’hygiène dans un monde qui subit une guerre et la grippe espagnole.
Propagande de la Première Guerre mondiale qui diffusait des idées de reconstruction des sociétés occidentales sur des bases saines et modernes. Par exemple, en France, on réalise des petits films contre le développement des maladies et l’alcoolisme.
Dans « Les Circuits de l’alcool » (1919), l’alcoolisme est dépeint comme un élément destructeur de la famille et engendrant des enfants dégénérés, voire explicitement comme de futurs criminels.
Dans « Pour résister à la tuberculose » (1918), des intellectuels qui ont attrapé la maladie, sont tournés en ridicule, en mettant en scène un boxeur qui la combat.
Jean Benoît-Lévy est l’un des plus importants réalisateurs de films de ce cinéma hygiéniste. Le réalisateur utilisait souvent des schémas dans ses films :
- « Les maladies vénériennes et l’armement anti-vénérien » (1926)
- « Il était une fois trois amis » (1928)
- « Conte de la mille et deuxième nuit » (1929)
Ces films étaient destinés au public nord-africain et mettaient en scène des animaux locaux, ce qui permettait de rendre plus évident le discours de protection contre les maladies vénériennes.
Au sein de ces films courts, on retrouve un excellent graphisme et les schémas sont suffisamment explicites pour conserver une valeur universelle.
Exemple : « Comment nous entendons ? », Emile Cohl (1922), est un film d’information scientifique sur le fonctionnement de l’ouïe.
En 1949, Norman McLaren participe à un programme de l’Unesco pour apprendre aux Chinois à faire des films didactiques aux objectifs prophylactiques.
En 1952, McLaren part en Inde pour enseigner aux jeunes artistes, la technique de la production de dessins animés et de films d’images fixes destinés à la propagande sur les principes d’hygiène.
Bien plus que de la prophylaxie, les savoirs scolaires et universitaires sont également illustrés grâce à l’animation.
En 1923 et 1925, Max Fleischer produit deux documentaires en employant l’animation afin d’expliquer la théorie de la relativité d’Einstein ainsi que celle de l’évolution de Darwin :
- « Einstein’s Theory of Relativity »
- « Darwin’s Theory of Evolution »
Ces deux films eurent un succès important car ils ont été produits à l’occasion de polémiques engendrées autour de ces deux théories.
L’animation fut largement employée dans toutes sortes de documentaires pour expliquer des formules mathématiques, des cartes géographiques, un phénomène historique ou biologique.
Mais le cinéma comme forme de diffusion pédagogique disparaît peu à peu dès l’arrivée de la télévision. Cette dernière entraîne la disparition des programmes mais pas l’usage de l’animation dans le domaine scientifique.
« Parce que l’animation a la possibilité de rendre visibles les choses et les mouvements qui ne peuvent l’être par aucun autre moyen, elle a une grande valeur comme instrument scientifique […] ».
L’image par image est utilisée pour visualiser de nombreux phénomènes scientifiques même si le but n’est pas de faire un dessin animé. La pédagogie audiovisuelle animée a été reprise en partie par la télévision et sous d’autres formes, tout en conservant la position utopique de diffusion des connaissances et de l’éducation qui soutenait le projet initial dans la logique de la Société Des Nations (SDN), de l’Unesco et de l’Organisation des Nations Unies (ONU).
La différence résidait dans le fait que les films étaient diffusés dans un cadre éducatif, alors que bien souvent la télévision n’est pratiquement jamais encadrée par un adulte, les enfants et les adolescents se retrouvent seuls devant des programmes qu’ils ne comprennent pas toujours ou qu’ils interprètent très mal.
Cependant, des programmes existent depuis les années 1950 et ont tenté d’inculquer quelques valeurs (à défaut de connaissance) au jeune public.
Exemples :
« Le manège enchanté » (Serge Danot, 1964-1967, ORTF)
« Barbapapa » (et leurs valeurs humanistes) (Annette Tison et Talus Taylor, 1974)
« Les mystérieuses cités d’or » (VO : « Taiyô no ko Esteban », littéralement, « Esteban, fils du soleil », AB Productions 1973-1990, Fr, Japon, Luxembourg), série animée issue de l’adaptation très libre du roman écrit par Scott O’Dell, « The King’s Fith » (La route de l’or), fiction historique mettant en scène la découverte de l’Amérique.
Autres productions aux projets ambitieux :
« Il était une fois l’homme » (1978)
« Il était une fois l’espace » (1982)
« Il était une fois la vie » (1986)
« Il était une fois les Amériques » (1991)
« Il était une fois les découvreurs » (1994)
« Il était une fois les explorateurs » (1996)
Chaque série se déclinait en 26 épisodes de 26 minutes. En France et aux Etats-Unis, dans les années 1990, de nombreuses séries ont été produites par des chaînes de télévision publiques ou privées (parfois spécialisées en animation). Ces chaînes faisaient dominer des valeurs positives au sein des scénarios. Le cahier des charges semblait très strict à ce propos :
« La société conçoit et programme ses émissions dans le souci d’apporter à toutes les composantes du public, information, enrichissement culturel et divertissement en fonction de la mission culturelle, éducative et sociale qui lui est assignée par la loi. Elle assure, notamment, par ses programmes, la mise en valeur d’un patrimoine et participe à son enrichissement par les créations audiovisuelles qu’elle propose sur son antenne ».
Le schéma américain ressemble beaucoup au schéma français, où les bons doivent vaincre les méchants et l’esprit d’équipe, d’entraide et d’amitié intercommunautaire doivent prévaloir. Les programmes sont rarement produits par la France et l’animation représente aujourd’hui la plupart des programmes pour les enfants sur les chaînes publiques et privées. La dimension éducative reste trop peu présente, bien qu’il reste dans certains programmes, toujours une morale ou une façon de voir les choses proférée en récit second ou explicitement délivrée.
C’est dans certaines revues didactiques éditant des DVD ou dans les éditions DVD de dessins animés incluant des bonus (Ex : série Classiques Disney), que l’on peut retrouver des éléments pédagogiques dans la tradition des documentaires animaliers des années 1950 et 1960.
Exemple :
Dans le DVD de « Lilo et Stitch », film d'animation réalisé par Dean DeBlois et Chris Sanders en 2002 (Walt Disney Pictures), les bonus complètent les éléments vus dans le film par des données factuelles sur les îles Hawaii.
Exemple :
Le DVD de « Madagascar », film réalisé par Eric Darnell et Tom McGrath en 2005,(DreamWorks) propose également le même type de bonus aux données « encyclopédiques ».
Le film d’instruction militaire constitue une autre forme de pédagogie très employée dans le monde entier. Car dans l’armée, tout comme dans la société, les besoins pédagogiques restent identiques.
Dès la Première Guerre mondiale, l’animation sert de manuel afin d’expliquer le montage et le démontage d’un fusil, en France de manière restreinte, mais surtout aux Etats-Unis. Commandés par le Gouvernement, ces films techniques sont réalisés par John Bray. Tels des manuels d’instruction, ils diffusaient l’utilisation des matériels déliés de la propagande ou de l’idéologie et servaient à limiter le temps de formation des soldats.
Durant la Seconde Guerre mondiale, ce type d’outil audiovisuel connut un large succès. Walt Disney produisait, comme tous les autres studios, des films techniques ou pédagogiques, comme par exemple « Aircraft Carrier Landing Signals ».
Même en temps de paix, l’animation paraissait jusque dans les années 1980, un moyen efficace de diffusion des savoirs techniques, notamment grâce à la clarté des schémas. L’humour intervient également au sein des « cartoons » destinés à apprendre tout en se distrayant.
A SUIVRE : « LE CINÉMA D'ANIMATION # 2 »
Source :
Le cinéma d'animation : Sébastien Denis - 2011