LE CINÉMA D'ANIMATION # 3

L’AGE D’OR DU « CARTOON »

 

Cette période s’étend de la naissance du cinéma sonore jusqu’à l’arrêt de la production animée pour le cinéma (1940-1948) et le basculement de la production vers la télévision dans les années 1950 et 1960.

Walt Disney théorise le principe du « layout », procédé de préparation minutieuse de découpage plan par plan, engendrant une efficacité visuelle, scénaristique et sonore (Cf. « Fantasia », long métrage animé musical en couleurs, avec la participation du Philadelphia Orchestra, USA, 1940).

Grâce à l’arrivée du son, le cartoon bénéficie de cette technologie au même titre que la comédie musicale.

L’enjeu économique était déterminant durant la crise de 1929, grâce au son et au personnage de Mickey (studios Disney), les autres studios exploitaient également le procédé à travers l’animation :

« Oswald the Lucky Rabbit » (Oswald le lapin chanceux) de Walter Lantz (« timing gag » et « slapstick ») pour Universal.

 

En 1940, Walter Lanz crée et produit le personnage de Woody Woodpecker (Walter Lanz Productions), dessin animé distribué par les studios Universal.

En 1938, la Leon Schlesinger Productions produit « Bugs Bunny », personnage de dessin animé créé par Ben Hardaway, Chuck Jones, Tex Avery et Bob Clampett qui deviendra plus tard la mascotte de la Warner Bors. De même, création de Daffy Duck en 1937 par Tex Avery et Bob Clampett.

Paul Terry (1887-1971) était un animateur, producteur, scénariste, réalisateur américain. Un des producteurs de cartoons les plus prolifiques entre 1915 et 1955 (plus de 1300 cartoons, Terrytoons studios).

Les grandes « majors » investissent mais considèrent l’animation d’un œil distant et même si cela semble rentable, elle reste peu importante pour les grands studios. Grâce à ce désagrément, les animateurs acquièrent une grande liberté du côté de la création. Contrairement aux studios Disney, les départements animation des autres studios vont plutôt servir de laboratoire d’expérimentation :

 

Exemples :

Tex Avery (producteur Fred Qimby) pour la Metro Golwyn Meyer (MGM).

Chuck Jones, Friz Freleng, Bob Clampett et Robert McKimson.

 

L'animation dépasse le simple côté magique pour évoluer dans un monde parallèle excentrique et anti-naturaliste. Au sein de la Warner Bros, le symbole du cartoon reste la fameuse et improbable société de services en tous genres résolument américaine : Acme Incorporation acmé » est un terme grec signifiant « point culminant » d'une situation ou d'une conversation). Cette société est le fournisseur officiel des objets les plus fous qu'on puisse trouver dans un cartoon. Elle fut créée en 1935 pour le film « Buddy's Bug Hunt » et, est à l'origine d'une multitude d'inventions, utiles d'un point de vue scénaristique et visuel pour la création de gags puissants.

 

Dès les années 1930, le Code Hays est appliqué à la demande de la Motion Pictures Producers and Distributors Association of America (MPPDAA), notamment dans l'animation.

Etant donné que les dessins animés constituaient des spectacles tout public, les animateurs étaient obligés de ne pas faire figurer des scènes explicitement sexuelles. Par contre, la violence ne semblait pas être jugée problématique, quand bien même se faisait-elle de plus en plus présente au sein des cartoons. L'application du Code produisit des effets très inattendus.

En 1930, il était possible de montrer une vache telle qu'elle existe dans la réalité, alors qu'au milieu des années 1930, les animateurs devaient habiller l'animal d'une robe afin de cacher ses pis, animal qui devait en outre se tenir debout et non à quatre pattes. Et cela était valable pour tous les animaux, ce qui entraîna l'introduction de l'anthropomorphisme dans tous les cartoons. L'autre effet du Code est l'inflation des gags. Les scénarios étant censurés, Tex Avery et Bob Clampett ajoutèrent dans les scripts des gags outranciers qui devaient être censurés, sortes de leurres afin de permettre à d'autres gags plus intéressants de passer outre la censure.

« Les films produits pendant le guerre pour le ministère de la Défense, notamment la série « Private Snafu », donnent une bonne idée de ce qu'aurait pu devenir le cartoon américain sans la MPPDAA : on y voit très souvent des actions très violentes, des femmes nues, des stéréotypes racistes, des images et des sons grossiers », que la censure permettait car ces films n'étaient destinés qu'aux militaires.

Chez Universal, puis à la Warner Bros et à la MGM, apparaissent des personnages tels que Porky Pig (1936), Daffy Duck (1937), Bugs Bunny (1938), Elmer (1940), Tom et Jerry (1940). Le fond et la forme de tous ces films avaient pour credo le déchaînement sous toutes ses formes. Ce qui en fait un cinéma beaucoup plus formaliste que réaliste : les formes, les couleurs, le rythme, l'effusion étaient au centre de ces cartoons décomplexés.

Une nouvelle génération apparaît, loin du cocon protecteur de Disney, où les animaux ne sont ni bons ni mauvais, mais présentent avant tout la part animale de l'homme.

« L'esthétique et l'idéologie Disney se sont diffusées partout dans le monde très rapidement, devenant hégémoniques y compris chez les Américains comme Harman et Ising, qui ont travaillé chez Disney avant de créer les « Looney Tunes » et les « Merries Melodies » à la Warner ».

 

La plupart des animateurs américains ont commencé par travailler chez Disney. Après avoir également travailler pour la Warner ou pour la MGM, certains de ces animateurs tels que par exemple, Tex Avery, opéraient dans une métamorphose des idéaux diffusés par les grands studios. Avery, qui n'a jamais travaillé pour Disney, souhaitait casser l'image de bonté et de gentillesse des personnages Disney, en s'éloignant de leur côté schématique, manichéen et trop anthropomorphique. Par conséquent, Avery est devenu un nouveau modèle pour une animation différente :

« Le méchant loup devient « civilisé » (sauf quand le sexe s'en mêle, preuve qu'il est autant humain qu'animal), le gentil écureuil devient foncièrement méchant, le fier lion devient peureux ».

Chez Disney, le second degré était banni, alors que la totalité de cette nouvelle production était bâtie sur la conscience des personnages, de n'être justement que des personnages de cartoons.

 

Philip Brophy propose une analyse intéressante en opposant la production Disney d'avant guerre, aux films de la Warner Bros d'après guerre :

Du point de vue des conditions de travail et de l'idéologie : chez Disney, un idéalisme d'avant guerre et une bureaucratie était de mise, tandis qu'à la Warner Bros, les formes de production étaient plus restreintes avec comme idéologie un pragmatisme (mise en scène du monde réel) d'après guerre.

Du point de vue des thématiques traitées, Disney mettait en avant une esthétique plutôt naturaliste tout en dispensant un côté vaporeux et conneux, alors qu'à la Warner, il y avait une esthétique urbaine, comportant une force mécanique, avec des aspects humains basés sur le réel et la contact.

Du point de vue narratif et graphique, Disney prônait la poétique du mouvement agrémentée d'une logique de la transformation, accompagnée d'une symphonie et du classicisme. A la Warner, les effets de vitesse étaient de mise, accompagnés plutôt d'une logique de l'explosion, entraînant une cacophonie, symbolisant la modernité.

 

Après la guerre, à la Warner Bros, des personnages tels que Titi et Sylvestre, Road Runner (Bip-Bip), Wile E. Coyote (Vil Coyote) et Speedy Gonzalez font leur apparition grâce à Friz Freleng et Chuck Jones. Ces personnages sont des succès, du milieu des années 1950 jusqu'en 1963, date à laquelle le studio d'animation ferme ses portes.

A la MGM, Tex Avery connaît un vif succès grâce aux personnages qu'il crée durant la guerre. Puis Avery rejoint William Hanna et Joe Barbera, créateurs de Tom et Jerry en 1940. Il s'agit d'un nouveau style de cartoon assez violent. Ces deux réalisateurs ont su par ailleurs s'adapter à une nouvelle économie due à l'apparition de la télévision, après la fermeture du département animation de la MGM en 1957.

 

Entre 1930 et 1950, les rapports entre les « animaux-personnages » deviennent franchement violents, voire sadiques : on parle de « hurt gags ».

Le « squash' n' strech » (littéralement « écraser et étirer ») se développe et profère un formalisme inédit. C'est grâce au manque et au rejet du réalisme (exagération de la réalité, caricature) que l'animation a pu contourner la censure hollywoodienne. Seules les allusions trop évidentes à la sexualité ont été censurées, comme par exemple, le loup de Tex Avery, symbolisant l'érection, voire l'éjaculation.

« L'intérêt des critiques surréalistes pour l'animation n'est pas étonnant, puisque celle-ci permet de communiquer directement l'imaginaire du créateur au public ».

 

Selon Ado Kyrou, réalisateur et écrivain de cinéma pour les revues « L'Age du cinéma » et « Positif », tous ces personnages sont des exhauteurs de vie, des visions de l'inconscient non retenu. Il place le cartoon américain d'après guerre à un très haut niveau dans la hiérarchie cinématographique. Pour lui, Tex Avery est le meilleur des cartoonists :

« Il met à nu un univers extraordinaire où nous ne sommes plus des initiés discrets mais des acteurs jouant le premier rôle. Ses idées rejoignent les résultats des cadavres exquis et le moindre gag est poussé jusqu'à des profondeurs insoupçonnables. [...] La grande inquiétude qui nous saisit après la projection de chaque film de Tex Avery est un bain purificateur qui nous oblige à reconsidérer toutes nos croyances » (Kyrou, 1953).

 

Robert Benayoun (1926-1996), écrivain surréaliste français et critique de cinéma, s'intéresse également à Tex Avery, notamment à son goût pour les changements d'échelle inopinés, qui, selon lui, remet en cause les rapports sociaux :

« Tex Avery passe des poussières aux nébuleuses, bafoue les notions de repère, les systèmes métriques, les échelles de comparaison ».

 

A SUIVRE : Le cinéma d'animation # 4 : « Le revival du cartoon : de la télévision à l'underground »

 

 

Source : Le cinéma d'animation - Sébastien Denis - 2011

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