La représentation du samouraï dans le cinéma non asiatique : Les 47 rônins
06 janv. 2018
CHRONIQUE CINEMATOGRAPHIQUE
Titre : Les 47 rônin
Titre original : 47 Ronin
VO : Anglais
Réalisation : Carl Erik Rinsch
Scénario : Hossein Amini & Chris Morgan
Pays : USA
Année : 2014
Genre : Action, Fantasy
Synopsis : L’histoire des 47 rônins d’Ako, revue et revisitée (pour mon plus grand malheur) par quatre petits studios de production américains…
Problématiques :
Pourquoi le film « 47 Rônin » n’a pas reçu un avis favorable du public ?
Le personnage d’Oishi représente-t-il la figure du guerrier sage et indestructible ?
Axes d’études :
La période Edo au Japon 1603 - 1868 : les événements marquant de cette période.
Etude du personnage d’Oishi : le Bushidô, code du samouraï, un code respecté par la classe guerrière mais écrit bien après la disparition de cette même caste. Etrange ?
Les 47 rônins, une application historique et concrète du bushidô ?
L’histoire dans l’Histoire
Les 47 rônins ou 47 samouraïs ou La Vendetta d’Ako ou en japonais Akô rôshi ou Genroku akô jiken. Ce fait constitue un archétype de l’histoire japonaise classique, un événement décrit dans les manuels d’histoire japonais comme une légende nationale où les 47 rônins sont également nommés les 47 gishi ou Akô gishi.
Le terme gishi désigne une personne qui s’est accomplie dans la pratique d’une discipline quelle qu’elle soit. Gishi constitue chez cette personne la droiture, l’incorruptibilité et l’intégrité mais c’est également un ensemble de vertus telles que :
- Chugi, la loyauté et la fidélité absolue, l’indulgence et le pardon,
- Honto, l’authenticité,
- Ansha, la générosité et l’humilité,
- Yu, le courage et la bonté
- Makoto, l’amour de la vérité et la sagesse.
L’histoire des 47 rônins correspond à un fait historique. Tous les samouraïs connaissaient les conséquences de leur acte et c’est pour cette raison que leur action a été considérée comme particulièrement courageuse et honorable.
L’histoire trouve sa place au sein de la culture populaire japonaise, tout en véhiculant des valeurs de loyauté, de sacrifice, de dévouement et d’honneur, dont tout le Japon est censé s’inspirer au quotidien (Cf. Gishi).
Les 47 rônins furent enterrés au temple Senga Kuji (temple Sôtô zen bouddhiste), dans le quartier de Takanawa Minato-ku, situé près de la gare de Shinagawa à Tokyo (Japon).
Daimyo est un titre de noblesse, kazoku ou noblesse japonaise. Les daimyos étaient des personnes possédant le titre de gouverneur féodal au Japon, entre le 12ème et le 19ème siècles.
Naganori Asano (Clan Asano) est une famille de samouraïs qui contrôla le domaine de Hiroshima (fief de 53 000 koku) durant la majeure partie de l’époque Edo. Le clan possédait également des terres dans les provinces de Bingo et d’Aki. La totalité des possessions représentait 426 500 koku (koku : mesure de riz).
Introduction du récit par la voix off (narrateur) :
« Le Japon féodal, une terre ancestrale, interdite aux étrangers. Un archipel mystérieux, un refuge pour les sorcières et les démons. Un pays constitué de provinces rivales dont les daimyos, les seigneurs, obéissent à un shôgun, détenteur d’un pouvoir absolu. La paix de l’empire est assurée par les samouraïs, maîtres dans l’art de manier le sabre et qui ont pour tâche la protection de leur seigneur et de leurs provinces, et ce, à n’importe quel prix. Quand un samouraï manque à son devoir ou perd son maître, survient alors, la pire des humiliations dans la société japonaise, il devient un rônin. Connaître l’histoire des 47 rônins, c’est connaître l’âme profonde du Japon. Tout a commencé avec un enfant… »
Commentaires sur le film :
La figure du samouraï est connue en Occident pour être un symbole japonais très fort, témoin d’une époque riche économiquement et culturellement mais désormais révolue. L’image du valeureux guerrier loyal et possédant des vertus irréprochables a traversé le temps, pour que le cinéma puisse nous en donner un reflet policée et mythique, parfois mal retranscrit et mal compris, mais toujours symbolique.
C’est en ayant présenté Sword of Doom, film japonais, réalisé par Kihachi Okamoto et sorti en 1966 que je me suis aperçue que cette image d’Epinal du guerrier honorable n’est surtout valable que pour les Occidentaux aimant les histoires de capes et des épées. Parce que le Chambara-eiga, c’est quand même un genre cinématographique avec des capes et surtout des épées, donc des sabres quand on change de pays !
Et on s’en aperçoit très vite quand il s’agit de films japonais qui savent parler de leur histoire d’une façon plus ou moins juste et correcte, certainement stéréotypée elle aussi, mais au moins : les Japonais parlent le japonais, les chefs de clan sont tous des ripoux et les rônin sont soit des justiciers masseurs-aveugles, soit des maîtres d’armes déchus ayant besoin de tune pour soigner leur petite sœur ou… un mec qui veut se venger, au choix !
Rentrons donc dans le vif du sujet : mais pourquoi s’intéresser à un film comme les 47 rônin ?
Pour la simple et bonne raison qu’il faut rétablir la vérité ! Oui, il le faut. C’est certain, on dira toujours que la réalité n’est pas la fiction et que la fiction n’est pas la réalité, et qu’une adaptation restera ce qu’elle est, une adaptation, mais pour le coup, ce film n’est historiquement pas acceptable.
L’anachronisme historique : des Japonais qui parlent anglais à l’époque d’Edo (1603-1868), c’est sacrilège ! Dans l’histoire japonaise, un édit de fermeture aux étrangers avait été décrété en 1636, si les Japonais avaient dû parler une langue étrangère, cela aurait plutôt été le portugais, premier contact avec ce peuple en 1543, motif : commerce d’armes à feu.
Le récit fictif (l’histoire du sang-mêlé, car, à ce qu’il paraît tout commence par lui ou à cause de lui ?), mélangeant maladroitement fait historique et superstition, est censé nous conter l’histoire des 47 rônins d’Ako. Certes, mais encore ? Mais qui est Kai et pourquoi avoir inclus ce personnage ? Mais oui, bien évidemment, identité raciale oblige, merci les Ricains !
En effet, dans cette retranscription audiovisuelle, très audio (merci les trémolos) et très visuelle (merci les effets spéciaux), infidèle d’un point de vue historique, suspicieuse d’un point de vue commercial et remplie de superstitions, d’une partie très importante de l’histoire du Japon, il n’est pratiquement question que d’un yokaï malicieux et avide de pouvoir, et d’un chef de clan égotique, mal élevé, avare, comploteur et prétentieux !
C’est dire à quel point il ne faut pas se frotter aux kitsune, Ô toi, spectateur superstitieux américain qui ne comprend rien aux autres cultures !
La base de la mythologie nippone n’est ni la démonologie ni la sorcellerie, mais le Kojiki et je tiens à le spécifier !
Par ailleurs, dans le Kojiki, il n’est nullement question de sorcières et démons, mais de kami, des sortes de « dieux », qui investissent le monde naturel : végétal, animal et minéral. Et c’est également la base du shintoïsme, religion spécifiquement japonaise d’origine animiste. La source est Amaterasu, grande déesse du soleil, dont l’empereur du Japon en est symboliquement le descendant.
Et on nous vend, sans vergogne, ce produit cinématographique en France, avec une tête d’affiche canadienne, une production américaine et des acteurs japonais devant parler anglais ! Et c’est censé être une œuvre cinématographique internationale ! C’est plutôt une honte commerciale ! Merci la classe dirigeante de continuer à nous prendre pour des abrutis. Alors, abrutis, si vous voulez, mais dotés d’une intelligente et d’une réflexion, c’est mieux !
Par conséquent, je vais me permettre d’ouvrir une petite parenthèse…
En tant que Française, c’est-à-dire, individu, quel qu’il soit, appartenant à la nation française avec tout ce que cela engendre, je considère que nous possédons une culture et des connaissances, une intelligence, une philosophie, un caractère, une mentalité, un sens critique et également une liberté de pensée et de penser. Et tout Français que nous sommes, nous sommes tout autant ouverts vers l’extérieur et vers le monde, même si on a une sale réputation et que le reste de la planète nous prend pour des pauvres chauvins coiffés d’un béret (basque), ne pouvant soi-disant pas se passer de notre baguette de pain !
Encore une fois, je revendique, et à juste titre, notre ouverture sur le monde et ce n’est pas l’entertainment américain qui nous raconte des histoires stéréotypées qui me dira le contraire ! Peut-être ici, nous pouvons constater les limites de la mondialisation, notamment de l’industrie cinématographique et de l’usine à rêves hollywoodienne ?
D’ailleurs la position géographique de notre pays nous le rappelle : nous sommes situés à la pointe de l’Europe, notre pays est ouvert sur le monde, il est pratiquement entouré d’eau, nous, citoyens français, nous savons également observer, contempler, réfléchir et comprendre également le reste de la planète et l’humanité ! Open your mind ! (Ouvre ton esprit !).
Je prends donc ici la liberté de donner une brève définition du japonisme qui est l’influence de la civilisation et de l’art japonais sur les artistes et écrivains d’abord français, puis occidentaux. L’art résultant de cette influence est dit « japonesque ».
A titre personnel, l’exemple le plus frappant que j’ai pu trouver est Le cinématographe de Robert Bresson (mais je ne suis pas certaine que Bresson fut influencé d’une quelconque manière par la culture japonaise). J’ai quand même ressenti toute l’influence nippone quand ce cinéaste parle du cinéma. C’est écrit dans un style court et bref, un peu à la manière des haïku, mais surtout de manière efficace, apportant des réponses concrètes sur une possible manière de filmer le monde et d’approcher le cinéma.
Autre exemple, l’ukiyo-e (littéralement, « image du monde flottant ») qui est un mouvement artistique japonais de l’époque Edo, influença les peintres impressionnistes européens dans le dernier quart du 19ème siècle.
La culture japonaise (et dans l’absolu, asiatique) a beaucoup influencé l’Occident, la littérature, les Beaux-Arts, les arts décoratifs, la musique et la mode, par conséquent, on peut en conclure, que la culture occidentale a subi involontairement ou volontairement cette culture et cela au moins depuis le 19ème siècle (même avant puisqu'il y a eu la fameuse route des Indes).
Pour ma part, je me considère être une japoniste, amatrice d’une culture étrangère et étrange, car ma curiosité et mon intérêt pour la culture nippone se sont accrus durant ces dix dernières années : mangas et gekigas, boissons et gastronomie, histoire et géographie, langage et écriture, expositions et littérature, us et coutumes, théâtre et cinéma, musique et mode, déco, bento et kimono, Japan Expo et Nintendo !
Et plus encore ! Spiritualités, arts martiaux, traités divers et variés, shintoïsme, confucianisme, taoïsme et bouddhisme. Voici ce qu’une culture étrangère peut apporter sur le plan personnel ! Tout cela pour dire que ce que je perçois du Japon et de sa culture constitue un imaginaire personnel que je me suis fabriqué « en patchwork », imaginaire certainement éloigné de la réalité quotidienne mais respectant un tant soit peu la vision de tout un chacun !
Or, la version américaine du film ne respecte en rien la culture japonaise. Et, je n’arrive pas à accepter ce film, tant d’un point de vue narratif que culturel. Cela me désole aujourd’hui que l’industrie cinématographique états-unienne puisse nous prendre à ce point pour des gens peu cultivés et « crédiles » (néologisme), c’est-à-dire, crédules et débiles ! Merci Hollywood !
En outre, on pourra toujours se rabattre sur les autres versions japonaises, qui elles, durent très longtemps, temps du récit nippon exige (et oui, il faut aimer les longues histoires !). Alors bon, c’est un peu comme pour Le Grand bleu de Luc Besson, n’y allez pas, ça dure trois heures !
La Vengeance des 47 rônin (VO : Genroku Chûshingura) de Kenji Mizoguchi, film en deux parties, sorti en 1941 et 1942, et dont la durée exacte est de 241 minutes soit 4 heures et une minute (et pas une de plus !).
Film considéré comme un drame historique : jidai-geki, genre dont les œuvres théâtrales, cinématographiques ou télévisuelles sont consacrées à l’histoire médiévale du Japon.
The Loyal 47 Ronin (VO : Chushingura), film dramatique japonais, écrit et réalisé par Kunio Watanabe et sorti en 1958 et dont la durée est de 166 minutes soit 2 heures et 46 minutes.
Conclusion
A travers ce film, le spectateur est mis dans une position de catharsis, où le drame et la tragédie prédominent tout au long du récit. D’ailleurs, toutes ces émotions très négatives ne permettent pas l’identification et d’ailleurs, en tant que spectateur, on n’a pas vraiment envie de s’identifier aux personnages !
Pas d’explication sur la théâtralité de la vie nippone ou sur la culture pratiquée de l’époque mais plutôt et en filigrane : des expressions faciales typiquement occidentales qui n’ont rien à voir avec les expressions naturelles des asiatiques, une histoire en langue anglaise, basée sur le thème de la mort et de l’amour, avec des dialogues plutôt récités que joués. On se serait cru dans un soap opera !
D’un point de vue spectatrice ayant acheté son billet et étant une cinéphile avertie, théoricienne du cinéma, ce fut une grande erreur que d’avoir fait jouer des acteurs japonais en anglais. Cela n’a contribué qu’à desservir leur jeu, donc leur travail. Selon moi, ils n’ont pas pu jouer les expressions qu’ils auraient dû naturellement jouer en de telles circonstances.
Et c’est là, qu’on se rend compte qu’on s’est fait totalement bernés par un récit cinématographique américain stéréotypé, que dis-je, un film de commande bâclé, d’inspiration shakespearienne (histoire de Roméo et Juliette, thème de l’amour impossible, guerre des clans, etc.), dont les auteurs (et peut-être même les producteurs) ne connaissent aucunement la culture japonaise et cela s’en ressent dans le récit comme dans les images.
En outre, ce film est une honte envers le peuple japonais : c’est vraiment avoir voulu simplifier une société humaine à ses stéréotypes les plus évidents mais les moins expliqués et par conséquent, engendrant soit un imaginaire collectif erroné sur la culture japonaise soit une incompréhension du pays et du peuple, voire les deux !
Dans la séquence du seppuku, le choix (Artistique ? Esthétique ? La production ?) s’est porté sur une musique intense et entêtante, qui certes accentue, souligne, surligne et justifie le drame, mais qui hélas, n’a que l’effet de gâcher ce rituel si important si symbolique et si précieux aux yeux des guerriers japonais. D’ailleurs, l’omniprésence de la musique triste donne envie soit de pleurer soit de vomir ou de se boucher les oreilles, au choix !
Le seppuku était un suicide rituel qui permettait aux nobles et aux guerriers de retrouver leur honneur en faisant face à la mort avec dignité et d’exprimer leurs dernières volontés. Ce rituel, essentiellement réservé aux hommes, apparut au Japon au cours du 12ème siècle et fut interdit dès 1868, il n’était réalisé qu’en solution de dernier recours.
Les femmes nobles, les épouses et filles de samouraï avaient, elles aussi, recours au suicide appelé jigai : elles se tranchaient la carotide ou la jugulaire à l’aide d’un tantô ou d’un kaiken, dès lors qu’elles savaient que leur époux devaient mourir.
Le kaiken a la forme d’un couteau (le tantô a plutôt la forme d'un poignard) que la femme cachait dans les manches de son kimono ou dans son obi (ceinture). Généralement offert soit par le mari soit par la famille du mari, le kaiken marquait le lien indéfectible qui unissait l’épouse à son époux.
Donc, Mika Asano aurait dû recevoir un kaiken plutôt qu’une fiole de poison, si les auteurs avaient souhaité rester dans un contexte complètement nippon, bien évidemment.
Mais, on n’est plus à ce détail près, hein !
A suivre : Etude d’un personnage : Oishi, personnage principal de l’histoire des 47 rônin.
Sources et références :
Les 47 rônin : film de Carl Erik Rinsch (2014).
Histoires de samouraïs : récits de temps héroïques de Roland Habersetzer - 2008 - Editions Budo.
Les 47 rônins : le trésor des loyaux samouraïs de George Soulié de Morant (1878-1955) - 2006 - Editions Budo.
Les samouraïs : le code du guerrier de Thomas Louis & Tommy Ito - 2008 Editions Gremese.
Le cinéma japonais # 1 : du muet au parlant & histoire des genres : http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/article-le-cinema-japonais-1-76613180.html
Histoires de samouraï # 3 : http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/article-histoires-de-samourais-part-iii-71560645.htm
Qui est samouraï doit, avant tout, constamment garder à l’esprit, le jour et la nuit… l’idée qu’il doit mourir ».