CHRONIQUES PHILOSOPHIQUES : PETIT TRAITÉ DES GRANDES VERTUS : LA BONNE FOI - Part 2
21 févr. 2020
La bonne foi est la vertu qui régit nos rapports avec la vérité.
Synonymes : sincérité, véracité, véridicité, authenticité, bonne foi.
Qu’est-ce que la bonne foi ?
Un fait psychologique, une vertu morale.
Définition de la bonne foi :
Conformité des actes et des paroles à la vie intérieure, ou de celle-ci à elle-même, comme fait. Comme vertu, c’est l’amour ou le respect (le respect et l’amour ?) de LA VÉRITÉ et la SEULE FOI QUI VAILLE !
La vérité est donc UNE VERTU ALÉTHÉIOGALE parce qu’elle a la vérité même pour objet.
La vérité est un pouvoir comme il est dit dans Les enseignements de Bouddha.
Aléthéia signifie « vérité » en grec.
LA BONNE FOI EXCLUT ÉVIDEMMENT LE MENSONGE.
L’être humain de bonne foi dit ce qu’il croit et même s’il se trompe, il sait reconnaître son erreur, d’où sa bonne foi, comme il croit à ce qu’il dit.
La bonne foi est une foi, au double sens du terme, c’est-à-dire, une croyance en même temps qu’une fidélité (par exemple, être fidèle à soi-même). La bonne foi est une croyance, fidèle et fidélité à ce que l’on croit, du moins tant qu’on le croit vrai.
La fidélité doit être fidèle au vrai : c’est cela la bonne foi. Etre de bonne foi, ce n’est pas toujours dire la vérité, puisqu’on peut se tromper, mais c’est dire au moins la vérité sur ce qu’on croit et cette vérité quand bien même la croyance serait fausse, n’en serait pas moins vraie pour autant. C’est ce qu’on appelle LA SINCÉRITÉ (ou la véracité ou la franchise).
ÊTRE SINCÈRE, CE N’EST PAS MENTIR A AUTRUI.
ÊTRE DE BONNE FOI, C’EST NE MENTIR NI A AUTRUI NI A SOI-MÊME.
La bonne foi est une sincérité à la fois transitive et réflexive. Elle règle nos rapports à autrui aussi bien qu’à nous-mêmes. Elle requiert le maximum de vérité possible, d’authenticité possible.
Même s’il n’y a pas de sincérité absolue, mais pas non plus d’amour ou de justice absolus : cela n’interdit pas d’y tendre, de s’y efforcer, de s’en approcher parfois quelque peu.
La bonne foi est cet effort et cet effort est déjà une vertu. Vertu intellectuelle puisqu’elle porte sur la vérité. Elle devrait être la vertu par excellence des intellectuels en général et des philosophes en particulier.
« La pensée n’est pas seulement un métier, ni un divertissement.
C’est une exigence : une exigence humaine ».
L’invention du langage ne crée en elle-même aucune vérité (ça c’est bien vrai !). Cette invention amène la possibilité, non seulement de la ruse ou du leurre, comme chez les animaux mais du mensonge : « Homo loquax, Homo mentax ! ». L’homme est un animal qui peut mentir et qui ment. C’est ce qui rend LA BONNE FOI logiquement possible et moralement NÉCESSAIRE.
La vertu n’est pas une vertu suffisante ou complète. Elle ne tient pas lieu de justice, ni de générosité, ni d’amour. Mais que serait une justice de mauvaise foi ? Que serait un amour ou une générosité de mauvaise foi ? Ce ne serait plus justice, ni amour, ni générosité ou bien corrompus à force d’hypocrisie, d’aveuglement et de mensonge. Vertu sans bonne foi, c’est mauvaise foi et ce n’est pas autre chose !
La Rochefoucault : « La sincérité est une ouverture de cœur qui nous montre tels que nous sommes, c’est un amour de la vérité, une répugnance à se déguiser, un désir de se dédommager de ses défauts et de les diminuer même par le mérite de les avouer ».
La bonne foi, c’est le refus de tromper, de dissimuler, d’enjoliver, refus qui n’est parfois que lui-même qu’un artifice, qu’une séduction comme une autre, mais point toujours.
L’amour de la vérité se distingue de l’amour propre. Il s’agit d’aimer la vérité plus que soi sans s’en arroger. La bonne foi est le contraire du narcissisme, de l’égoïsme aveugle, de l’avertissement de soi à soi. La bonne foi touche à la générosité, à l’humilité, au courage et à la justice. Courage de penser et de dire, humilité devant le vrai, générosité devant l’autre.
La vérité n’appartient pas au « moi, je », elle n’appartient à personne d’ailleurs. Le « moi, je » (l’ego) est mensonger toujours, illusoire toujours, mauvais toujours. La bonne foi s’en déprend (s’en détache, s’en sépare), ce par quoi elle est bonne.
Faut-il alors tout dire ?
Non car le temps nous manque et la décence l’interdit, la douceur l’interdit. Sincérité n’est pas exhibitionnisme. Sincérité n’est pas sauvagerie. On a le droit de se taire et cela est même recommandé. La bonne foi n’interdit pas le silence mais le mensonge. Véracité n’est pas niaiserie. La vérité n’a pas besoin d’être généreuse, aimante ou juste pour être vraie. Amour, générosité ou justice ne sont des vertus qu’à la condition d’abord d’être vrais, qu’à la condition donc d’être de bonne foi. La vérité n’obéit pas, la vérité ne sert pas, ni ne paye, ni ne console. Non pas tout dire donc, mais ne dire que le vrai.
Qu’est-ce que la casuistique ?
C’est l’étude des cas de conscience, autrement dit, des difficultés morales qui résultent ou qui peuvent résulter de l’apparition d’une règle générale (ex : il ne faut pas mentir).
Montaigne : « Il ne faut pas toujours dire tout, car ce serait sottise ; mais ce qu’on dit, il faut qu’il soit tel qu’on le pense, autrement c’est méchanceté ».
La bonne foi est cette vertu qui fait de la vérité une valeur. Fidélité au vrai d’abord, sans quoi toute fidélité n’est qu’hypocrisie. Amour de la vérité d’abord, sans quoi tout amour n’est qu’illusion ou mensonge. La bonne foi est cette fidélité, la bonne foi est l’amour de la vérité, en tant que cet amour commande nos actes, nos paroles et jusqu’à nos pensées.
La sincérité est une chose noble et digne d’éloge. Que vaut une pensée si ce n’est par la vérité qu’elle contient ou cherche ?
Il s’agit de vivre et de penser, autant qu’on peut, en vérité. La bonne foi résiste à la vantardise et confirme son opposition au narcissisme ou à l’amour-propre. Le véridique est aimable, puisque l’amour de soi est devoir, puisque ce serait mentir que de feindre vis-à-vis de soi-même une impossible indifférence. L’homme véridique s’aime comme il est, comme il se connaît, et non comme il voudrait paraître ou être vu. C’est ce qui distingue l’amour de soi de l’amour-propre ou de la magnanimité, comme dit Aristote, de la vanité.
« Mieux vaut une vraie grandeur que fausse humilité. Mieux vaut une vraie fierté qu’une fausse gloire. »
Le véridique dit ce qu’il sait ou croit être vrai, jamais ce qu’il sait ou croit être faux.
La bonne foi exclut-elle alors tout mensonge ?
Il semble que oui. Comment mentirait-on de bonne foi ? Mentir suppose qu’on a connaissance de la vérité ou qu’on croit la connaître et qu’on se dise délibérément autre chose que ce qu’on sait ou croit. C’est ce que la bonne foi interdit ou refuse. Etre de bonne foi, c’est dire ce qu’on croit vrai : c’est être fidèle (en paroles et en actes) à sa croyance, c’est se soumettre à la vérité de ce qu’on est ou pense. Tout mensonge serait de mauvaise foi et coupable par là.
Spinoza : « L’Homme libre n’agit jamais en trompeur, mais toujours de bonne foi. »
L’Homme libre est en effet celui qui ne se soumet qu’à la raison, qui est universelle : si elle autorisait le mensonge, elle l’autoriserait toujours et toute société humaine serait impossible.
Toutefois, Spinoza n’interdit pas absolument le mensonge, mais constate que la raison, qui seule est libre, ne saurait le commander. Les deux choses sont différentes, puisque la raison n’est pas tout en l’Homme, ni même l’essentiel. Puisqu’aucun Homme n’est libre ou raisonnable absolument, ni ne doit l’être, ni même vouloir l’être. L’Homme qui agit en trompeur, ce n’est jamais, précise la démonstration, « en tant que libre » qu’il le fait. Soit. Et le mensonge ou la fourberie ne sauraient pour cela […], être des vertus. Soit encore. Mais il serait déraisonnable, bien souvent, de n’écouter que la raison, il serait coupable de n’aimer que la vertu, il serait fatal pour la liberté de ne vouloir agir en tant que libre. La bonne foi est une vertu, la prudence aussi, et la justice, et la charité. S’il faut mentir pour survivre ou pour résister à la barbarie ou pour sauver celui qu’on aime, qu’on doit aimer, nul doute pour moi qu’il faille mentir (dit l’auteur), quand il n’y a pas d’autre moyen ou quand tous les autres moyens seraient pires, ce que semblerait accorder Spinoza. La raison, certes, ne saurait commander le mensonge, puisqu’elle est universelle, ce que le mensonge ne saurait être : si tout le mentait, à quoi bon mentir, puisque personne ne serait cru ? Et pour le coup, à quoi bon parler puisqu’on ne saurait se dire la vérité ?!
La volonté commande ; le désir dicte sa loi. Le désir de vérité, qui est l’essence de LA BONNE FOI, reste en cela soumis à la vérité du désir, qui est l’essence de l’Homme : être fidèle au vrai ne saurait dispenser d’être fidèle à la joie, à l’amour, à la compassion, enfin, comme le dit Spinoza, à la justice et à la charité, qui sont toutes la loi et la fidélité vraie. Etre fidèle du vrai d’abord, c’est aussi être fidèle à la vérité en soi du désir : s’il faut tromper l’autre ou se trahir soi-même, alors tromper le méchant ou abandonner le faible, manquer à sa parole ou manquer à l’amour, la fidélité au vrai (à ce vrai qu’on est, qu’on porte, qu’on aime) peut parfois imposer le mensonge.
La bonne foi est une vertu, bien sûr, ce que le mensonge ne saurait être, mais cela ne veut pas dire que tout mensonge soit coupable ni, a fortiori, qu’on doive toujours s’interdire de mentir. Aucun mensonge n’est libre, certes ; mais qui peut toujours être libre ? Et comment le serait-on face aux méchants, aux ignorants, aux fanatiques […], quand la sincérité, vis-à-vis d’eux serait complice ou suicidaire.
LE MENSONGE N’EST JAMAIS UNE VERTU (« THE LIE IS NOT A VIRTUE »), et LA SOTTISE NON PLUS et LE SUICIDE NON PLUS. Simplement, il faut parfois se contenter du moindre mal, et le mensonge peut en être un.
Pour Emmanuel Kant, LE MENSONGE N’EST JAMAIS UNE VERTU, MAIS IL EST TOUJOURS UNE FAUTE, TOUJOURS UN CRIME, TOUJOURS UNE INDIGNITÉ. La véracité qui est son contraire est « un devoir absolu qui vaut en toutes circonstances ». L’humanité se joue là, dans la parole vraie, puisque la véracité (qualité d’une personne qui dit la vérité) est « un commandement de la raison qui est sacré, absolument impératif, qui ne peut être limité par aucune convenance », fût-ce la conservation de la vie d’autrui ou de la sienne propre. L’intention n’entre pas en jeu.
LE MENSONGE EST FAUTE et NE DEVRAIT ÊTRE PRATIQUÉ QU’EN CAS D’EXTRÊME URGENCE, A SAVOIR POUR PRÉSERVER LA VIE ET NON POUR LA DÉTRUIRE car mentir d’une façon régulière et maladive engendre la maladie de l’esprit et détruit la cognition de la mémoire. La sécheresse du cœur est d’autant plus grave. La véracité est un devoir. Soit. Mais l’assistance à personne en danger en est un autre, et d’autant plus important.
MALHEUR A CELUI OU CELLE QUI PRÉFÈRE SA CONSCIENCE A SON PROCHAIN !
A SUIVRE : Qu’est-ce qu’avoir la conscience tranquille ?
Source : Petit traité des grandes vertus - André Comte-Sponville.