Nibil est visionibus somniorum quod non prius fuerit in visu.
(Nous ne voyons rien en rêve que nous n'ayons vu auparavant).

Hervey de Saint-Denys

L'auteur

Marie-Jean-Léon Le Coq, baron d'Hervey de Juchereau, marquis de Saint-Denys est né et mort à Paris (1822-1892). Sinologue français, chevalier de l'Ordre de la légion d'honneur, connu pour ses recherches et écrits sur le sommeil, les rêves et les rêves lucides en particulier.

L'auteur, qui n'est ni docteur en médecine, ni psychologue ni philosophe, présente ainsi dans son ouvrage les circonstances et la manière qui l'ont amené à noter ses rêves et à faire l'effort de s'en souvenir.

A propos de son ouvrage : Les rêves et les moyens de les diriger

L'auteur présente dans son ouvrage son expérience personnelle de rêveur explorant ses propres rêves depuis l'âge de treize ans.
L'idée lui vint un jour d'esquisser des croquis évoquant les souvenirs d'un rêve singulier qui l'avait marqué. Au début, il prit cette occupation comme un divertissement et en fit tout un album "[...] où la représentation de chaque scène et de chaque figure fut accompagnée d'une glose (note en marge ou en bas d'un texte, pour expliquer un mot difficile, éclaircir un passage obscur) explicative relatant soigneusement les circonstances qui avaient amené ou suivi l'apparition. [...]".
L'auteur réitéra l'expérience, désirant enrichir cet album, tant et si bien qu'il prit l'habitude de noter ses propres rêves et d'en faire une pratique habituelle, voire quotidienne. Cet album si spécial se présente comme un journal, "qui forme 22 cahiers remplis de figures coloriées, représente une série de 1946 nuits, c'est-à-dire, plus de 5 années".


PREMIÈRE PARTIE : CE QU'ON DOIT S'ATTENDRE A TROUVER DANS CE LIVRE ET COMMENT IL FUT COMPOSÉ


Dans son ouvrage, Hervey de Saint-Denys annonce en première partie ce que l'on doit s'attendre à trouver dans ce livre et comment il fut composé. Il pose la problématique des rêves, phénomènes issus de la Psyché occupant un tiers de notre existence et du phénomène du rêve en tant que mystère de la dualité psychocorporelle.

Ainsi, la comparaison est faite avec "l'imagination qui crée de délicieuses féeries".
L'auteur n'omet pas de parler des cauchemars, rêves à charge négative, mais préfère s'attarder, en introduction, "au côté enchanteur, à la vie positive, aux apparitions charmantes, aux épanchements délicieux, aux régions enchantées et aux sensations d'une vivacité inouïe, qui nous font regretter parfois au réveil la trop courte durée de la nuit !"

Et c'est avec une pointe d'ironie que l'auteur exprime sa déception, à la suite de lectures diverses, écrits de psychologues et autres physiologistes, qu'il se rend compte qu'aucune lumière n'avait été réellement faite sur la question des rêves (à cette époque, nous sommes au milieu du 19ème siècle). L'expérience pratique qu'avait effectuée l'auteur lui prouva que les différentes théories de l'époque étaient assez erronées.

"Fixant dès lors tout particulièrement mon attention sur quelques-uns de ces mystères psychologiques les moins clairement compris, je résolus d'en surprendre l'explication durant le sommeil lui-même, en mettant à profit cette faculté, dès longtemps acquise, de conserver fréquemment au milieu de mes rêves une certaine liberté d'esprit."

Passionné par son sujet d'étude, l'auteur réfléchissait aux différentes questions les plus intéressantes à élucider :
« [...] épiant, pendant les rêves où j'avais le sentiment de ma situation, toutes les occasions de découvrir ou d'analyser, je savais secouer le sommeil par un violent effort de volonté chaque fois que je croyais avoir surpris tout à coup quelque opération de l'esprit particulièrement remarquable ; et saisissant alors un crayon, toujours placé près de mon lit, je me hâtais d'en prendre note, presque à tâtons, les yeux à demi-fermés, avant qu'il en fût de ces subtiles impressions comme des images fugitives de la chambre noire, si promptement évanouies devant le grand jour. »

Dans son ouvrage, l'auteur nous conte comment il se donna l'objectif de porter une étude sur son propre sommeil. Son ambition était d'élaborer une théorie complète du sommeil et des songes.
L'auteur utilise la métaphore de la faculté de penser qui s'accroît par l'exercice que l'on en fait pour appuyer sa thèse. Il est donc logique pour lui de dire que ce même principe peut s'étendre à la faculté de rêver davantage, afin, non seulement, de générer des rêves plus animés et plus variés, mais également d'acquérir la facilité à se rappeler de ses propres rêves qui, sous l'influence de l'habitude, allait en augmentant de nuit en nuit.

Grâce à son journal qu'il tenait scrupuleusement, l'auteur n'oubliait pas de noter les premiers résultats. Il remarquait qu'au bout d'un certain temps, il s'accoutumait à se rappeler de ses songes et que cette pratique quotidienne améliorait cette capacité. Il en déduisit, dans un premier temps, qu'il n'est point de sommeil sans rêve. Puis, plus tard, il fit l'acquisition de la faculté de prendre conscience qu'il rêvait et se mit à observer les opérations de son esprit.
Après six mois d'une attention suivie et d'un exercice journalier, l'auteur avait réussi à habituer son esprit à toujours conserver au moment du réveil, le souvenir des rêves de la nuit. Il pratiqua pendant plus de vingt ans et il en déduisit que la mémoire fournit aussitôt au réveil le songe ainsi que toutes les circonstances principales qui le composent.

"Nos occupations et nos préoccupations habituelles exercent une grande influence sur la nature de nos rêves qui sont généralement comme un reflet de notre existence réelle. [...]".

L'auteur prit alors l’habitude de penser à ses rêves durant le jour. Il les analysait et les décrivait, cette occupation était si prenante qu’il lui arriva une nuit de rêver qu’il écrivait ses propres songes, dont certains paraissaient très singuliers. Son seul regret était de ne pas avoir eu conscience cette nuit-là, de cette situation exceptionnelle. L’occasion se présenta une seconde fois, ce qui lui permit de fixer son attention sur certains points particuliers, de manière à conserver en s’éveillant, un souvenir plus net et mieux arrêté. Ce mode d’observation devint une source d’investigations précieuses.

« Le premier rêve où j’eus, en dormant, ce sentiment de ma situation réelle se place à la 207ème nuit de mon journal ; le second à la 214ème. Six mois plus tard, le même fait se reproduit deux fois sur cinq nuits, en moyenne. Au bout d’un an, trois fois sur quatre. Après quinze mois, enfin, sa manifestation est presque quotidienne, et, depuis cette époque déjà si éloignée, je peux attester qu’il ne m’arrive guère de m’abandonner aux illusions d’un songe sans retrouver, du moins par intervalles, le sentiment de la réalité ».

Les visions que nous avons en songe sont la représentation d’objets qui occupent notre pensée au sein de notre esprit. Ce pourquoi il existe une différence entre rêver et penser. L’auteur se pose également la question du pourquoi nous avons des visions oniriques parfaitement nettes et des visions un peu plus confuses.
Selon l’auteur, toujours, il serait difficile de connaître tout ce que peut renfermer la mémoire où « les clichés-souvenirs » (expression utilisée par l’auteur dans son ouvrage) s’emmagasinent à l’infini, à tous les instants de notre vie, et la plupart du temps, à notre insu !

"Autre chose est de posséder, autre chose est de savoir que l’on possède ! Autre chose est se souvenir, autre chose est savoir que l’on se souvient ».


FORMATION DU CLICHÉ-SOUVENIR (un peu tel un instantané photographique)

"Nibil est visionibus somniorum quod non prius fuerit in visu"
"Nous ne voyons rien en rêve que nous n'ayons vu auparavant".


1.    Le plus ou moins de netteté des images que nous voyons en songe dépend, le plus souvent, de la perfection plus ou moins grande avec laquelle le cliché-souvenir s’est originairement formé (ceci concerne uniquement les rêves lucides).


2.    Lorsque nous croyons apercevoir en songe des personnages ou des choses dont nos yeux n’auraient eu jusqu’alors aucune notion, cela tient uniquement à ce que nous avons perdu le souvenir direct des circonstances qui présidèrent à la formation des clichés-souvenirs auxquels ces visions sont dues, ou que nous ne reconnaissons pas le type primitif sous une forme modifiée par le travail de l’imagination.


3.    La nature des clichés-souvenirs, dont notre mémoire s'approvisionne, exercera sur nos rêves une influence énorme. Les relations habituelles, le milieu dans lequel on vit, les spectacles de toute sorte auxquels on assise, les peintures, les albums que l'on regarde, et, jusqu'aux lectures que l'on fait, sont autant d'occasions pour la mémoire de multiplier indéfiniment ses propres clichés-souvenirs.


Nous rêvons à des personnages imaginaires. Et c'est exactement ce qu'il se passe quand nous laissons courir notre imagination à la recherche de quelque conception relativement nouvelle. Qu'est-ce que créer pour l'Homme ? Qu'est-ce qu'inventer en littérature, en peinture, en poésie ?
Comment le cours des idées s'établit en rêve ? Par quelles causes la pensée est-elle déterminée à se porter sur tels ou tels objets ?

Selon l'auteur, ce qu'il faut avant tout savoir, c'est que toutes les images de nos songes émanent des clichés recueillis dans la vie réelle.
C'est un fait primordial, et selon l'auteur, ne pouvant être contesté, que de pouvoir apercevoir, au sein des rêves, des monuments et des ouvrages d'une conception qui dépassent les facultés ordinaires d'invention du rêveur. La logique de l'auteur nous conduit à accorder soit une puissance vraiment surnaturelle à l'imagination de la personne endormie, soit de reconnaître que la personne possède déjà, à son insu, dans les méandres de sa mémoire, tous les clichés-souvenirs capables de fournir de telles visions.
Pour l'auteur, se poser cette question, c'est déjà la résoudre. Pour lui, le surnaturel ne peut jouer aucun rôle dans ce qu'il présente dans son ouvrage.

Au bout d'un certain temps, l'auteur était entré dans une période où il rêvait tout en ayant cette conscience. Cette disposition de l'esprit augmente ou diminue suivant qu'on la met plus ou moins en pratique. Il recherchait "le mouvement de ses rêves" et c'est chaque nuit qu'il pouvait en prendre conscience. Etant sinologue, il reconnaît que les Orientaux ont pour croyance que l'esprit voyage tout seul, tandis que le corps se repose. Pour lui, l'essentiel était d'opérer sur des données bien positives, et par conséquent de bien observer. Pour consigner ses propres rêves, l'auteur "secouait le sommeil par un violent effort de volonté" et s'empressait au réveil de noter et de dessiner tous les détails des images qu'il avait rêvé.
Comment s'opère en songe la marche des idées ? Comment elles s'associent et se combinent ?


DE L'ASSOCIATION ET DE L'ENCHAÎNEMENT DES IDEES

"Ceux qui traitent des sciences philosophiques et psychologiques sont convenus par l'association des idées cette affinité en vertu de laquelle les idées s'appellent les unes les autres, soit qu'il existe entre elles une parenté facile à reconnaître, soit que certaines particularités subtiles, certaines origines ou abstractions communes deviennent un lien mystérieux qui les unit".


Principes édictés par l'auteur :

1. Les images du rêve sont uniquement la représentation aux yeux de l'esprit des objets qui occupent la pensée.

2. L'image solidaire de chaque idée se présente aussitôt que cette idée surgit. La panorama mouvant des visions correspond exactement au défilé des idées sensibles. Il y aura une corrélation parfaite entre le mouvement déterminé par l'association des idées et l'évocation instantanée des images qui viendront successivement se peindre aux yeux de l'esprit.

La vision n'est donc que l'accessoire, le principal reste l'idée. L'image du rêve est comme l'idée qui l'appelle. Et c'est à cette association d'idées, donc d'images auxquelles il faudra s'attacher pour analyser et comprendre le tissu des rêves, permettant peut-être, de pouvoir expliquer certaines complications bizarres, certaines conceptions fantasques, ou d'incohérences apparentes, qui ne sont que des phénomènes parfaitement simples et logiques, dès que l'on a pu saisir à son origine, l'ordre très rationnel de leur développement.


A l'état de veille, nous sommes sous l'emprise des préoccupations de la vie réelle. En cela, nous guidons nos idées dans la voie qu'il nous plaît et cela sans leur permettre de vagabonder. Cependant, nous avons également des instant de "passivité", pendant lesquels nous "rêvassons", comme dirait l'expression, "nous avons la tête dans les nuages". Cet état est intermédiaire entre l'état de veille et l'état de rêve. Or, les principales lois qui régissent, en rêve, la marche spontanée des idées se manifestent dans cette situation. D'après l'auteur, la rêvasserie peut être le début d'un songe. La transition s'opère de la rêverie simple au rêve lucide, sans que l'enchaînement des idées soit interrompu.

Mais comment expliquer tous ces rêves incohérents, monstrueux, bizarres, informes, situations que l'on n'a point rencontrées dans la vie réelle, et par conséquent, dont on n'a point, enfoui dans notre mémoire, le cliché-souvenir ? Dans cet enchaînement d'idées tout naturel que nous pouvons constater dans la rêvasserie, et qui apparaît être le rêve lui-même, ne paraît pas contenir de tels éléments. Cette rêvasserie de l'être assoupi contient un premier germe d'incohérence, qui entraînera une confusion de temps et de lieu.
Le souvenir évoqué d'un événement, d'une personne ou d'une chose ayant fait impression sur nous à une époque quelconque de notre vie, entraîne avec lui, comme un fond de tableau, les images qui lui sont assignées.

Avec de la pratique et un peu de connaissances, on peut constater la manière dont la série des images s'enchaîne, plus ou moins d'une façon nette, grâce aux associations d'idées qui sont faites par l'esprit. La manière dont elle se produit et se combine à la seule évocation des souvenirs emmagasinés dans les méandres de la mémoire suffit pour provoquer les rêves les plus étonnants. Ce sont des rêves où les idées s'enchaînent et se déroulent d'elles-mêmes, sans qu'aucune cause physique, interne ou externe, ne vienne compliquer, interrompre ou en modifier le cours. Eventualité qui se présente rarement car il existe de nombreux "petits accidents" de toute sorte qui réveillent également aussitôt des idées en rapport avec les impressions originairement liées. Ce qui permet de remarquer tout le contingent des images solidaires de ces nouvelles idées que l'esprit se débrouiller "à interpréter" tout seul. Il est un fait avérer qu'il s'établit chez la personne endormie une corrélation immédiate entre les impressions que subit le corps et les idées qui forment le rêve. Ce qui est intéressant à étudier, c'est l'action variée de ces diverses impressions sur le trame des rêves :

1. Déroulement naturel et spontané d'une chaîne continue de réminiscence ;

2. Intervention subite d'une idée étrangère (ou non) à celles qui formaient la chaîne, par suite de quelque cause physique accidentelle.


Une analyse approfondie des opérations de l'esprit en rêve va pouvoir être développée selon les éléments ci-dessus décrits par l'auteur...

 

A SUIVRE : LA VOIE DES RÊVES # 21 : LES RÊVES ET LES MOYENS DE LES DIRIGER PARTIE 2

 

Source :

Les rêves et les moyens de les diriger - Hervey de Saint-Denys
 

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