Miyamoto Musashi : Voie du sabre et de la tactique
13 avr. 2011MIYAMOTO MUSASHI ET LA VOIE DU SABRE ET DE LA STRATEGIE
Le Traité des cinq roues, écrit par Miyamoto Musashi en 1645, est un livre qui vient compléter Le Kojiki et Les Dialogues dans les rêves ; ces trois œuvres complémentaires sont considérées comme de grands classiques pour qui souhaite vraiment connaître l’esprit japonais.
Dans un premier temps, Musashi rédige les Trente-cinq leçons sur la stratégie, première mouture de ce qui deviendra par la suite le Traité des cinq roues (Gorin-no-shô), qui constitue un excellent livre de base pour ceux qui pratiquent les arts martiaux.
Le Gorin-no-shô puise ses origines dans le Bouddhisme, la roue est le symbole de la prédication bouddhique. Musashi a voulu exposer toute sa philosophie de la tactique en s’appuyant sur les cinq éléments représentants la nature (eau, terre, feu, vent, vide). A 60 ans, Musashi écrivit une sorte de testament à travers le Traité des cinq roues. Deux ans plus tard, sentant sa fin approcher, il écrivait le 12 mai 1645, la Voie à vivre seul, écrit qui témoigne de la vie d’ermite qu’il avait choisi de suivre à la fin de sa vie.
Le Gorin-no-shô se divise en six chapitres.
Le premier résume la vie de Musashi et indique les règles auxquelles il s’est conformé.
Le deuxième, intitulé « Terre » explique les grandes lignes de sa tactique qu’il compare au métier de charpentier.
Le troisième chapitre, « Eau », expose une méthode destinée à se forger soi-même physiquement et spirituellement. Musashi explique comment conserver la vigilance de l’esprit, le maintient du corps, des yeux, comment tenir correctement un sabre et s’en servir, basé sur sa propre expérience qu’il a acquise tout au long de sa vie. Tout ce qu’il écrit n’est pas simplement le fruit d’une imagination et n’importe qui peut en tirer profit pour soi-même, quel que soit le style de vie que l’on a adopté.
Le quatrième chapitre, intitulé « Feu », explique la tactique à appliquer dans le simple duel et dans les grandes batailles.
Le cinquième chapitre, « Vent », fait ressortir l’esprit philosophique de son école Niten.
Le sixième et dernier chapitre est l’aboutissement de la tactique que Musashi résume en un mot : « Vide ».
Ainsi Musashi résume son traité en un mot : « rythme ». Dans les arts et dans la vie, saisir le rythme est le plus important, ce qui ne signifie pas de préférer la rapidité.
« Il est préférable de manier le sabre avec calme afin que ce maniement soit plus aisé ».
On découvre la même pensée dans l’Hagakure (littéralement, Dissimulé derrière les feuilles) :
« Les vertueux ont le cœur nonchalant et ils ne se pressent en aucune chose ».
La caractéristique du Traité des cinq roues, c’est qu’il ne contient aucune superstition. C’est l’idéal d’un samouraï et pour Musashi, l’idéal d’un samouraï doit résider en la façon d’être supérieur en tout face à l’adversaire.
Ce traité prêche de connaître tous les arts du monde afin d’apprendre à en discerner les avantages et les inconvénients, de connaître le bon et le mauvais côté des choses, de pénétrer tous les arts ou toutes les Voies afin de ne plus être trompé.
Dans l’histoire de l’humanité et dans le contexte du Gorin-no-shô, la guerre fut toujours un facteur de développement des civilisations et, bien souvent, la paix ne fut préservée que par un équilibre des forces. Jadis, on donnait au caractère chinois « Wou » (Bu, en japonais), le sens « arrêter la lance », mais l’étude de la forme de ce caractère gravé dans les os divinatoires a révélé qu’il s’agissait d’un homme marchant avec une lance à la main.
« Il ne faut donc pas poétiser l’histoire humaine mais plutôt voir la vérité en face ».
Musashi était un rônin, « une homme de la vague », un samouraï sans maître. Concernant la technique du sabre, il en fait sa propre synthèse à travers la création d’un style de kenjutsu appelé « école des deux sabres », une main tient le sabre long, l’autre le sabre court, constituant un double rempart infranchissable. Cette école est connue sous le nom de Hyoho Niten Ichi-ryû.
Guerrier mythique, Musashi pratiquait également la calligraphie et la peinture, des arts où il excellait et signa ses œuvres sous le pseudonyme de Niten.
LE TRAITE DES CINQ ROUES (Gorin-no-shô)
A travers trois textes complémentaires, le Kojiki, texte archaïque se référant au Shintoisme, Les Dialogues dans les rêves (Bouddhisme) et Le Traité des cinq roues se réfère au Bushidô.
TERRE
La tactique est la Loi que chaque samouraï se doit de connaître et de suivre.
Dans le Bouddhisme, la Voie vient en aide aux hommes ; le Confucianisme corrige les Lettres, dans la médecine la Voie guérit les maladies ; certains poètes enseignent la Voie de la poésie. Les artistes, les tireurs à l’arc et ceux qui appartiennent aux autres domaines artistiques, exercent chacun leur art comme ils l’entendent.
Les samouraïs sont familiers avec deux Voies : les Lettres et les arts de la guerre. Ils suivent la Voie de la mort ainsi que la Voie de la tactique. Ils se doivent d’être supérieurs en tout à leurs adversaires. Il faut donc étudier et s’exercer dans la Voie de la tactique de telle façon qu’elle soit utile à n’importe quel moment et doit être applicable dans tous les domaines. C’est en cela que consiste la vraie Voie de la tactique.
Sur la Voie de la tactique
Depuis les temps les plus reculés, on dénombre « dix disciplines et sept arts », parmi lesquels figure la tactique sous le nom de « moyens d’avoir l’avantage ». La tactique est ainsi considérée comme une forme d’art.
« Une tactique non mûrie est l’origine de grandes blessures ».
Musashi décrit quatre états de vie : samouraïs, paysans, artisans et commerçants. Ces quatre états représentent quatre manières différentes de vivre.
Dans le chapitre « terre », il compare la tactique au métier de charpentier. En japonais, ce terme est synonyme de grande habileté. Ainsi, la tactique dot être, elle aussi, synonyme de grande habileté.
Comparaison de la tactique à l’habileté du charpentier
Un général de guerre est comparable à un maître-charpentier car tous deux connaissent parfaitement les éléments propres à leur fonction.
Dans le principe de la tactique, il faut garder l’idée générale de ne pas prendre les choses à la légère, de savoir distinguer les différents niveaux d’énergie de chaque individu, de donner l’élan et savoir où commence l’impossible. Tout ceci doit constituer les règles d’or de chaque tacticien.
La Voie de la tactique
Tout comme le charpentier connaît et prend soin de ses outils, un bushi doit connaître ses armes et savoir les entretenir. Il doit savoir en prendre soin et savoir les utiliser dans les situations appropriées. Le bushi se doit donc de ne jamais perdre de vue sa précision de l’exécution ainsi que dans l’utilisation de chacune de ses armes, en refusant le tape-à-l’œil en prévision d’éventuelles détériorations.
Dans le chapitre « Terre », Musashi y expose la Voie générale de la tactique et de la raison d’être de son école. Pour lui, il faut connaître tout, de l’ensemble jusqu’aux détails, et évoluer du moins profond au plus profond, comme si l’on traçait un chemin bien droit sur la terre.
L’école des deux sabres
Qu’ils soient officiers ou soldats, tous les samouraïs portaient les deux sabres à la ceinture.
Musashi nomme son école, « Ecole des deux sabres », afin de faire connaître l’avantage que représente le port des ces deux sabres, qui sont conservés à portée de main. Dans l’exercice de la Voie, dès le départ, les deux sabres sont constamment en main, principale caractéristique de l’école. L’explication réside dans le fait que face à la mort et au cours d’un combat, nous devons être capables d’utiliser toutes les armes qui sont à notre disposition. Le but est de savoir manier le katana d’une seule main, le grand sabre et le petit sabre sont maniables chacun d’une seule main car dans certaines situations, il est difficile de manier le sabre à deux mains. Au fur et à mesure que l’on se familiarise avec une arme, on la manie plus facilement, on acquiert de l’aisance dans son maniement à force d’entrainement.
Le premier point de la Voie du sabre est de manier le katana quand on évolue dans des grands espaces et de manier la wakizashi dans des endroits étroits. Musashi dit qu’il faut savoir manier les deux sabres où que l’on soit afin de donner l’avantage à un homme seul se retrouvant face à plusieurs adversaires et de mettre toutes les chances de son côté.
Connaître l’avantage de la tactique
Dans cette Voie, celui qui manie bien le sabre est appelé « tacticien ». Dans la Voie des arts martiaux, celui qui tire à l’arc est appelé « tireur », celui qui tire au fusil est appelé « bon tireur ». Celui qui connaît la Voie du sabre aurait donc pu s’appeler « sabreur ». Quelle que soit l’arme que l’on manie, on se trouve sur la Voie de la tactique. La vertu du sabre est à l’origine de la tactique et si on atteint cette vertu, on est capable de vaincre dix hommes. Et si un homme en vainc dix, alors dix hommes pourront en vaincre mille.
Chez les samouraïs, les Voies ne sont pas séparées les unes des autres. Même si l’on approfondit sa propre Voie, il est tout à fait possible d’en rencontrer une autre. Dans tous les cas, il est important que les hommes se perfectionnent dans leur propre voie.
Connaître les qualités de chaque arme
On peut être amené à utiliser n’importe quelle arme suivant les circonstances de la vie, il est donc évident de connaître l’efficacité des différentes armes.
Le petit sabre est adapté aux endroits étroits, le grand sabre convient dans toutes les situations. Quelle que soit l’arme utilisée, il ne faut pas se contenter d’en éprouver l’efficacité dans une salle d’exercice, cela contribuerait à oublier la vraie pratique au risque de devenir inutile lors d’un combat.
Musashi dit qu’il ne faut pas s’attacher aux armes à outrance ; excès et insuffisance diffuse la même idée. Il est inutile d’imiter les autres.
« Que l’on soit officier ou simple soldat, il n’est pas bien d’aimer certaines choses et d’en haïr d’autres ».
Musashi nous invite à méditer sur ce sujet.
A propos du rythme de la tactique
En toute chose, il y a un rythme et concernant le rythme de la tactique, il est important de s’exercer.
« Si l’on regarde autour de soi, on constate que l’existence du rythme est claire dans la danse, la musique et les instruments de musique. Lorsque le rythme domine, l’exécution est bonne ».
Dans les arts de la guerre, tel que le tir à l’arc, pour ne citer que cet exemple, tout obéit au rythme et à la cadence. Il en est de même pour tous les arts et techniques, on ne peut aller contre le rythme.
Il faut savoir discerner le rythme ascensionnel et le rythme décadent en toutes choses. Dans la tactique, il existe plusieurs sortes de rythmes : rythme concordant, rythme discordant, saisir le rythme qui sied bien, rythme à saisir selon l’occasion, rythme contrariant.
Qu’ils soient larges ou étroits, lents ou rapides, tous les rythmes sont caractéristiques de la tactique et il est indispensable de saisir le rythme contrariant, car il constitue l’une des bases de la tactique.
Dans les combats, il faut connaître les rythmes de chaque adversaire et il faut se mettre au rythme inattendu de l’ennemi.
« Alors on peut vaincre ses adversaires en se mettant sur un rythme « vide » en parlant d’un rythme né de l’intelligence ».
Musashi conseille de s’exercer matin et soir dans la Voie de la tactique. Il édicte des principes fondamentaux afin de pratiquer la Voie comme d’éviter toutes pensées perverses, de se forger dans la Voie en pratiquant soi-même, d’embrasser tous les arts (et non se borne à un seul), de connaître la Voie de chaque métier (et non se borner à celui que l’on exerce soi-même), de savoir distinguer les avantages et les inconvénients de chaque chose. En toutes choses, il faut savoir s’habituer au jugement intuitif, connaître d’instinct ce que l’on ne voit pas, prêter attention aux moindres détails et surtout ne rien faire d’inutile.
Pour devenir expert en la tactique, il est nécessaire d’avoir une vue directe et vaste. Il est indispensable d’avoir à l’esprit cette tactique et de s’exercer sans relâche.
C’est grâce aux nombreux exercices que le corps tout entier pourra se libérer et par le biais de votre propre corps, vous aurez la capacité d’être supérieurs aux autres. Et si l’esprit s’habitue totalement à cette Voie, vous pourrez vaincre grâce à votre propre esprit.
Musashi nous invite encore une fois à réfléchir sur ce dernier paragraphe.
A suivre : Chapitre "Eau"