Coraline ou l'art de raconter des contes de fées horrifiques
17 sept. 2010Titre : Coraline
Réalisation : Henry Selick
Scénario : Henry Selick, adaptation du conte noir écrit par Neil Gaiman (GB) publié en 2002.
Pays : USA
Année : 2009
Genre : Animation en stop motion
Production : Laika
Synopsis : Coraline Jones, petite fille curieuse et intrépide, emménage avec ses parents dans un des appartements du Pink Palace. En explorant la nouvelle demeure, elle repère une petite porte où elle découvre un monde identique au sien, à la différence, que tous les êtres qui l’habite sont affublés de boutons en guise d’yeux…
A l’origine, Coraline est un conte noir écrit par Neil Gaiman et publié en 2002. Surréaliste et présentant une réalité alternative, ce conte a été adapté en film d’animation en volume (stop motion), réalisé par Henry Selick en 2009.
Le stop motion ou animation en volume ou encore appelé animation image par image est un concept proche du dessin animé permettant de créer un mouvement d’objets immobiles à l’aide d’une caméra capable de ne prendre qu’une seule image à la fois. Entre chaque image, les objets de la scène sont légèrement déplacés. Lorsque le film est projeté à vitesse normale (24 images par seconde pour un film en 35 mm), la scène semble être animée.
Le film symbolise le passage de l’enfance à l’adolescence, période où l’enfant passe d’un développement de l’environnement par rapport à soi pour ensuite explorer une relation vers les autres. Cela participe à la construction classique de la représentation du monde.
De l’art de raconter les contes de fées
Les enfants savent, à leur manière, s’arranger des éléments relatés dans les contes de fées qui vont à l’encontre de leurs propres besoins affectifs. Ils y parviennent en apportant des variantes à l’histoire, en modifiant la version originale.
A partir de sa propre expérience, Goethe devina que le ça et le surmoi constituaient les pièces maîtresses de la construction de la personnalité. Goethe savait que si on voulait jouir de la vie et lui trouver du charme malgré ses difficultés, on avait besoin d’une vie riche en imagination.
Il n’est pas donné à tout le monde d’inventer des histoires et l’objectif du conteur devrait ressembler à une expérience à partager, riche de tout plaisir qu’apporte le conte, bien que l’origine de ce plaisir ne soit pas le même pour l’enfant et pour l’adulte.
Le conte de fées est avant tout une œuvre d’art
Goethe disait : "Ceux qui ont beaucoup à donner en combleront plus d’un".
Ce qui signifie qu’il est impossible de réaliser une œuvre d’art en essayant délibérément d’offrir quelque chose de spécifique à une personne en particulier. Raconter un conte de fées, c’est exprimer toutes les images qu’il contient en semant des graines dont certaines germeront dans l’esprit de l’enfant. Car ces contes décrivent les états internes de l’esprit au moyen d’images et d’actions. Ces processus intérieurs sont traduits par des images visuelles.
Hélas, certains de nos contemporains rejettent les contes de fées parce qu’ils y appliquent des normes qui ne leur conviennent pas.
Si on considère que ces histoires décrivent la réalité, il est clair qu’elles deviennent révoltantes, cruelles et sadiques. Par contre, en tant que symboles d’événements ou de problèmes psychologiques, elles sont parfaitement vraies.
Le fantasme de la méchante marâtre
Il existe une période privilégiée où l’enfant apprend à différencier les expériences intérieures du monde réel. Les contes de fées peuvent paraître absurdes, fantastiques, épouvantables et incroyables pour l’adulte qui aurait été privé de tout imaginaire.
Socrate : "Il subsiste un enfant dans la partie la plus sage de notre être".
Les contes de fées révèlent donc des vérités sur l’espèce humaine et sur l’homme lui-même.
Dans le film, deux mondes s’opposent : la réalité, triste et ennuyeuse et l’Autre-Monde, symbolisé par la petite porte où tout est "mieux". Mais les apparences sont trompeuses… Coraline, le personnage principal, est en perpétuel conflit avec sa mère, à qui elle réclame une attention que cette dernière ne veut pas lui accorder, étant occupée à la rédaction de son catalogue de jardinage. C’est en découvrant le monde caché derrière la petite porte, qu’elle rencontre "l’autre maman", attentionnée et mère au foyer modèle.
La symbolique de la mère est fortement exprimée dans ce conte. La mère protectrice et généreuse, peut se transformer en une marâtre cruelle, si elle refuse à l’enfant ce dont il a envie. Ce dédoublement de personnalité permet à l’enfant de garder intacte l’image favorable de la mère. Le conte de fées donne la possibilité d’apporter une solution à un problème de relation trop difficile, permettant à l'enfant de pouvoir régler ce problème ou simplement de le comprendre.
Tous les jeunes enfants peuvent à un moment donné de leur vie, scinder en deux, l’image du père et de la mère, en mettant d’un côté les aspects bienveillants et de l’autre les aspects menaçants, afin de se sentir pleinement protégés par les premiers.
La plupart des enfants sont incapables de trouver leur propre solution à l’impasse qui se présente à eux au moment où leur mère se change brusquement en "imposteur". Les contes dans lesquels les bonnes fées apparaissent pour l’aider à trouver le bonheur, confortent l’enfant à ne pas se laisser détruire.
D’un point de vue psychanalytique, ces fantasmes sont appelés "roman familial", ils permettent à l’enfant de se sentir en colère contre "les faux parents usurpateurs", sans lui donner l’impression d’être coupable. C’est ainsi que le clivage de la mère en deux personnages s’opère : une mère bonne, le plus souvent au service de l’enfant, et une méchante marâtre. Cette scission permet à l’enfant de conserver en lui-même l’image d’une mère toujours bénéfique, quand la vraie ne l’est pas, lui donnant la possibilité d’être en colère contre cette méchante marâtre, sans entacher la bienveillance de la vraie mère qu’il considère comme une autre personne.
Le conte de fées indique implicitement comment l’enfant peut venir à bout de sentiments contradictoires.
Le fantasme de la méchante marâtre empêche l’enfant de se sentir coupable lorsqu’il ressent de l’animosité envers elle, sentiment de culpabilité qui compromettrait sérieusement les relations mère-enfant. Il laisse donc intacte l’image de la mère complètement bonne. Le conte de fées aide également l’enfant à ne pas se sentir anéanti lorsqu’il voit dans sa mère quelqu’un de méchant.
Résultante d’un besoin affectif, l’enfant éprouve le besoin d’effectuer cette division des parents en deux personnages car pour lui, tout est paradis ou tout est enfer.
La littérature des contes fées ne manque pas de souligner qu’il est parfois dangereux pour l’enfant de s’emporter trop vite ou de se mettre en colère. Il remâche ses colères et en vient à souhaiter le pire à ses "adversaires" sans se soucier des conséquences que pourraient entraîner les dits-souhaits. Ces contes de fées, où les souhaits prononcés dans la colère deviennent réalité, se contentent d’être des contes de mise en garde, en nous conseillant de ne pas nous laisser nous emporter par nos sentiments les plus négatifs. Tout en avertissant, d’une façon très réaliste, que la colère et l’impatience conduisent à de graves ennuis, le conte de fées rassure en montrant que les conséquences ne sont que passagères et que la bonne volonté et les bonnes actions peuvent tout réparer.
L’exemple du conte de fées enseigne à l’enfant qu’il ne sera pas sans aide lorsqu’il se lancera dans le monde extérieur et que la réussite pourra couronner ses efforts. Tout en désignant invariablement le chemin d’un avenir meilleur, le conte de fées se concentre sur le processus du changement au lieu de décrire les détails précis du bonheur qu’on finit par obtenir.
Imagination, guérison, délivrance et réconfort
Pour Tolkien, il existe quatre éléments stables qui doivent être mis en place pour que le conte de fées soit complet : l’imagination, la guérison, la délivrance et le réconfort.
Les contes de fées modernes sont souvent dépourvus d’une fin joyeuse. Or cette fin est nécessaire parce qu’elle apporte à l’enfant la délivrance et le réconfort utiles car ils permettent d’aider ce dernier à affronter les hasards de la vie.
Dans le conte de fées, le héros est récompensé et le méchant subit un sort bien mérité, ce qui satisfait l’enfant qui a besoin de voir triompher la justice. Le réconfort exige que justice soit faite.
Pour qu’il y ait conte de fées, il faut une menace dirigée contre l’existence physique du héros ou contre l’existence morale. Dès que l’histoire commence, le héros est précipité dans de graves dangers et c’est ainsi que l’enfant perçoit la vie, même si, en règle générale et en apparence, il vit dans des conditions tout à fait favorables.
Il n’est pas dans la vie de plus grande menace que d’être abandonné et de rester seul au monde. La psychanalyse appelle cette grande peur de l’homme "l’angoisse de séparation".
Le happy-end et le réconfort final se résume à l’intégration de la personnalité et à l’établissement d’une relation permanente. Les dénouements réconfortants et justes, aussi naïfs soient-ils, doivent conduire à la forme ultime de l’expérience humaine. La paix et le bonheur représentent pour l’enfant la plus haute forme possible d’existence parce que c’est ce qu’il désire pour lui-même ; gouverner son royaume, en l’occurrence, sa propre vie, avec succès.
Il est certain que dans la réalité, on ne réussit pas toujours à connaître la délivrance et le réconfort, ce qui n’encourage pas l’enfant à affronter la vie avec fermeté ; ce qui lui permettrait également de pouvoir accepter l’idée qu’en passant par des épreuves difficiles, il peut finir par vivre sur un plan supérieur. Le réconfort est le plus grand service que le conte de fées puisse rendre à l’enfant.
Le conte de fées tient également compte de l’immense différence qui existe entre le mal en tant que tel et les conséquences déplorables d’un comportement égoïste.
En l’absence de tout événement apparent, le conte de fées évoque les changements internes et silencieux. La fuite physique de l’enfant, loin de la domination parentale, est suivie d’une longue période de guérison qui lui permettra d’atteindre la maturité.
Source :
Psychanalyse des contes de fées - Bruno Bettelheim - 1976
Coraline - Henry Selick - 2009 - USA - DVD Zone 2