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DJ Miss Phoebe

LE SOUND SYSTEM JAMAÏCAIN

 

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Durant la Seconde Guerre mondiale, les marins américains firent connaître le Jazz et le Blues aux Jamaïcains. Ces derniers portèrent un grand intérêt à ces genres musicaux, ce qui entraîna le développement d’un marché du disque d’occasion. Après la guerre, la musique pop exerça une forte influence, tant et si bien que des stations de radio basées à Miami diffusaient des émissions RnB en Jamaïque et y rencontraient un succès notable. 

A cette époque, la musique pop jamaïcaine était un mélange de musiques caribéennes dont le Calypso, musique carnavalesque antillaise, mélange de musiques africaine et européenne et le Mento, musique des paysans jamaïcains d’origine ouest-africaine dont les thèmes abordés tournaient autour des conditions de vie difficile, politiques et sociales, à connotation sexuelle, ancêtre du Ska et du Reggae. Ces musiques étaient également agrémentées de Samba, musique originaire du Brésil. 

A contrario, le RnB américain était dur, violent, rebelle mais son rythme ne restait pas étranger aux Jamaïcains. Les morceaux de RnB produits dans les états du Sud de l’Amérique, en particulier la Nouvelle-Orléans, possédaient des  sonorités caribéennes. 

Grâce au RnB, les Jamaïcains redécouvraient une partie de leur propre culture musicale, car la majeure partie de l’île était peuplée par les descendants d’esclaves venus d’Afrique noire. Les musiciens jamaïcains destinaient leur musique aux touristes et la production d’un RnB de qualité peinait à voir le jour. Ils eurent alors l’idée d’installer une paire d’énormes enceintes et une platine sur un camion et firent le tour de la ville tout en jouant des disques. Ainsi naquit le sound system, variante jamaïcaine de la disco mobile qui devint, par la force des choses, une composante essentielle de la vie des bidonvilles et des ghettos.

 

 

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Le critère déterminant de la qualité d’un sound system étaient les basses. Le rythme devait tout emporter et plus le sound system grondait fort, plus la foule des danseurs augmentait. Chaque coup de ligne de basse était ressenti à travers tout le corps. Les divers sound systems se livraient une farouche concurrence ; le vainqueur était celui qui jouait le plus fort et qui passait les meilleurs disques, surtout les plus rares. 

La compétition consistait à faire venir aux fêtes des DJ’s, deux sound systems, qui devaient par la suite se mesurer dans les domaines du bon goût, de la sélection des disques et de la puissance sonore. Ces compétitions étaient très populaires, ce qui a contribué à la starification de certains DJ’s jamaïcains. Les plus connus s’appelaient Duke Reid, Sir Coxsone et Prince Buster et possédaient chacun leur propre style et personnalité.

Par exemple, Duke Reid présentait la panoplie du parfait gangster : vêtu d’un manteau d’hermine, d’une couronne sur la tête, armé d’un colt 45 sur chaque hanche, portant un fusil de chasse à l’épaule et une cartouchière en guise de ceinture. Malgré son style, que l’on pourrait qualifier de « too much » aujourd’hui, Duke Reid passait des disques en hurlant et criant par-dessus la musique, particulièrement sur les passages rythmiques où la voix se faisait la moins présente.

Quoi qu’il en soit, Reid et les autres DJ’s étaient des modèles pour les « rude boys » (jeunes délinquants jamaïcains du ghetto), « hipsters » des bas quartiers dans les années 50.

 

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A cette époque, tout le monde voulait devenir DJ et travaillait pour un sound system autour duquel les gens se rassemblaient par amour de la musique, de la danse et de la fête. A la fin des années 50, la demande en disques était telle, que les productions américaines ne suffisaient plus. Il existait même des équipes chargées de trouver aux USA des exclusivités musicales récentes.

Les trois DJ’s jamaïcains commencèrent à produire leur propre musique : le « Rudie Blues », version jamaïcaine du RnB jouée par des groupes locaux. Le répertoire était constitué de versions instrumentales de vieux tubes RnB ou de compositions provenant de la Nouvelle-Orléans, avec une rythmique plus dense afin d’être jouées sur un sound system. 

Les DJ’s jamaïcains imitaient les DJ’s noirs des stations de radio américaines en balançant des rimes par-dessus la musique. Leur style de « scat rap »s’émancipa pour donner naissance au « toasting » qui incitait généralement les auditeurs à danser.

Puis, le « toasting » se transforma en langage secret poétique, pour ensuite transcender le Ska et le Reggae, au gré du développement de la musique pop jamaïcaine. Au départ, certains « toasts » étaient directement gravés sur le vinyle, ce qui eut pour conséquence la création de deux styles de musique de Reggae : le « Talkover » et le « Dub », qui est une version alternative d’un morceau réduite à sa plus stricte composition : basse et batterie en restent les instruments les plus importants. 

D’après un article de « Mixmag », magazine dédié aux DJ’s, « le Dub serait un cadeau offert par la Jamaïque à tous les genres modernes de musique de danse : « Il ne s’agit pas d’un remix. C’est l’art de modifier la répartition des ingrédients d’une musique existante pour la présenter, une fois rendue méconnaissable, en offrande sur l’autel du dieu de la basse ». 

Peu à peu, le « toasting » est devenu une littérature ainsi qu’une poésie qu’on lit à haute voix grâce à des artistes talentueux.

Les productions des DJ’s s’orientaient surtout sur une musique de danse et le RnB constituait l’origine caractéristique du rythme. 

Au début des années 60, le Rudie Blues jamaïcain se différencia nettement du RnB américain pour devenir une forme musicale autonome : le Ska, qui intégrait des éléments musicaux de pure tradition jamaïcaine, en particulier, les percussions du culte rastafari. Le Ska se développa en moins d’une décennie, un style produit, arrangé et composé essentiellement par les DJ’s.

 

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Sir Coxsone

 

Duke Reid et Sir Coxsone ont largement contribué à l’émergence du Rudie Blues, du Ska ainsi que Reggae. Des musiciens célèbres ont pratiquement tous débuté au sein du sound system de Sir Coxsone : Burning Spears, The Skatalites, Les Wailers de Bob Marley et bien d’autres.

 

Au milieu des années 60, le rythme du Ska changea pour devenir de plus en plus complexe, accordant une place encore plus importante à la basse et au rythme. Puis, le Ska donna naissance au Rock Steady qui engendra le Reggae.

 

Tous ces styles de musique jamaïcaine trouvent leur origine commune dans les sound systems des DJ’s. Au début, ces derniers étaient appelés « sound system operator ». Puis, au milieu des années 80, on les appelait « selector » (ou selecta), lorsqu’ils jouaient du Reggae et du Dancehall Raggamuffin (mélange de Hip Hop et de Reggae).

Le « Selecta » mettait en avant l’importance de la sélection des disques grâce à leurs goûts et choix musicaux très pointus. En Jamaïque, celui qui chantait ou toastait, était également appelé DJ. C'était celui qui tenait le micro dans les soirées Dancehall Raggamuffin, appellation toujours d’actualité aujourd’hui. En Europe, notamment en France, dans les soirées JungleDrum n' Bass et Hip Hop, celui qui tient le micro, c'est le MC, Master of Ceremony. Ce dernier peut éventuellement toaster ou slamer sur le disque qu'est en train de jouer le DJ. Le plus connu est MC Jamalski, qui intervient le plus souvent d'ailleurs sur les sets de DJ Hype (Jungle/Drum n' Bass).

Pour conclure, le Dancehall jamaïcain et le Hip Hop américain des années 80 sont tous deux issus du RnB et du Reggae, et les sound systems témoignent de la naissance du Hip Hop du début des années 70.

 

Des sound systems jamaïcains aux raves parties (1984-1988) 

« Notre Wild Bunch était au départ un collectif de DJ’s très marqué par les sound systems jamaïcains. Les sound systems n’étaient jamais que des DJ’s ambulants, branchés sur des haut-parleurs qui crachaient un son de basse énorme. C’est ce que nous voulions faire au début de la Wild Bunch : nous avions notre propre sound system, nos DJ’s qui jouaient du Reggae et du Hip Hop. Tout est parti de là. Et même si Massive Attack est influencé par énormément de choses, nous sommes toujours tributaires du Reggae ». Daddy G., DJ du groupe Massive Attack.

 

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A la fin des années 70, Daddy G. joue du Reggae sur ses platines, de même que DJ Black balance des sonorités subversives jamaïcaines dans les soirées londoniennes. Les paroles et la musique des ghettos de Kingston alimentaient le mouvement Punk dès ses débuts. Pour preuve, le groupe The Clash s’est inspiré d’un album Reggae (Culture, 77 Clash).

 

En 1979, Margaret Thatcher arrive au pouvoir et la crise économique va se transformer en pugilat social. La résistance s’exprime dans la rue ou dans des concerts organisés par Rock Against Racism ou The Anti-Nazi League, où se mélangent musiques Reggae et Punk. La contestation s’organise sous un même slogan multiracial : « Black and White Unite and Fight ».

 

C’est à Bristol, petit port anglais comptant une petite communauté jamaïcaine, que The Pop Group répand une musique teintée de Punk, de Funk et de Reggae. La scène de Bristol cultive et développe une musique de danse, à l’esprit punk et d’inspiration black et jamaïcaine, propageant une idéologie se préoccupant des aspirations politique et sociale. C’est au sein de ce climat économiquement instable qu’émerge, au début des années 80, le collectif de DJ’s « Wild Bunch », dix ans avant que la ville ne devienne le fief de la musique Trip Hop avec des artistes tels que Massive Attack, Portishead et Tricky. 

Un nouvel art se développe : le « Do It Yourself » (DIY), un art de la débrouille et des fêtes hors les murs qui connote un esprit de rejet de l’ordre établi et de la brutalité économique et sociale du gouvernement de la « Dame de fer ».

Une culture du sound system agrémentée de tendances politiques, d’une scène bien implantée au sein de laquelle existe un amour du Hip Hop, de la Soul anglaise et un intérêt accru pour le « rare groove », mouvement créé par des DJ’s, explorateurs et aventuriers musicaux à la recherche de trésors vinyliques que l’on dit introuvables (1969-1975), agrémentés de Funk, de Jazz et de délires psychédéliques.

 

En 1981, Norman Jay, DJ de son état, est le premier à monter son sound system qu’il nomme « Good Times ». Armé de deux platines et d’un micro qu’il n’utilise que pour annoncer « les bombes » qu’il balance, base de données musicalement précieuses, où le Reggae et la Soul se mélangent à des bizarreries sonores inqualifiables. Puis, Jazzy B. (Soul II Soul) créa un phénomène Groove-Funk au sein de l’African Center à Londres.

 

Tout ceci fut le catalyseur des bals rebelles, plus connus sous le nom de rave, pirates ou non, appelés à l’époque « Wharehouse » et qui définissaient des soirées aux ambiances musicales au sein desquelles boîtes à rythmes et grosses enceintes étaient à l’honneur. A l’époque, on se rendait à ses soirées grâce au bouche à oreille.

 

Entre 1986 et 1988, le Wharehouse se développe jusqu’à l’explosion de la rave, qui s’avère être LA manifestation de toute la jeunesse britannique en mal d’événements festifs.

Grâce à la House, aux premiers sound systems et aux DJ’s, ce phénomène s’est étendu à Ibiza, puis à Chicago. Grâce aux DJ’s anglais, hallucinés par la puissance de cette nouvelle musique qui rassemblait de nouveau les gens autour de la fête, fête qui reprenait sa dimension exutoire ainsi que toute sa symbolique, la House (et plus tard, l’Acid House et la Techno) propageait un vent de fraîcheur musicale dans des villes où le taux de chômage était élevé (Leeds, Liverpool, Sheffield et Manchester). Manchester, où se trouve le fameux club, l’Haçienda, où officiait Laurent Garnier (Cf. "Electrochoc") devient alors l’épicentre du mouvement qui se propagera jusqu’à Londres, où il prit une telle ampleur, qu’il engendra deux choses : le tristement célèbre « Criminal Justice Act » et les Spiral Tribe, collectif de DJ’s et musiciens qui « plantèrent » leur son partout où ils pouvaient le faire, radicalisant la tradition du sound system jamaïcain et dispersant la vague de l’Acid House avant de traverser la Manche et d’envahir la France, apportant un nouveau concept, celui des fêtes libres…

« En Jamaïque, le son ne s’écoute pas, il se ressent… » - Exposition Jamaïca-Jamaïca du 4 avril au 13 août 2017, Cité de la Musique, Philharmonique de Paris, le 26 mai 2017, France, Europe, Planète Terre…

 

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A suivre : DJ STORY # 5 : Les premiers DJ’s du Rap

 

Sources :

  • DJ Culture ~ Ulf Poschart ~ 1995
  • Techno Rebelle : un siècle de musiques électroniques ~ Ariel Kyriou

 

Mise à jour & corrections : Phoebe le 16 janvier 2018

 

« En Jamaïque, le son ne s’écoute pas, il se ressent… » - Exposition Jamaïca-Jamaïca du 4 avril au 13 août 2017, Cité de la Musique, Philharmonique de Paris, le 26 mai 2017, France, Europe, Planète Terre…
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