Dogma95
15 mars 2011
Après vous avoir présenté deux mouvements artistiques ayant marqué notre Histoire, la Dadaïsme et la Nouvelle Vague française, je me fais un plaisir de vous faire découvrir, si cela n’est pas déjà fait, un troisième mouvement, le Dogme95, ce dernier ayant marqué les années 90 ainsi que le centenaire du cinéma.
A l’issue des deux premières chroniques, il apparaît clairement qu’à chaque événement bousculant l’histoire humaine, le milieu artistique semble vouloir insuffler un renouveau culturel dans la manière de voir, de produire et d’appréhender les objets et les arts.
La démarche, la motivation et l’envie résulteraient bien souvent d’associations diverses, engagées, militantes, d’un mécontentement général dû aux désagréments de la vie quotidienne d’une société, d’une nation (crise économique, famine, guerre, surexploitation industrielle, abus politiques, etc.) ; engendrant le souhait de vouloir faire bouger les choses qui semblent parfois paraître immuables car bien ancrées dans nos habitudes et notre imaginaire collectif.
Le cinéma est par excellence un art populaire mais apparaît au 21ème siècle comme une industrie apportant une indéniable réalité économique. Un art, oui, mais un art déformé et transformé à des fins commerciales dont l’objet-film est devenu un bien de consommation de masse comme la musique, n’aspirant qu’à engendrer des sommes colossales pour une poignée d’investisseurs.
Heureusement, ils existent un certains nombre de cinéastes qui ont su prendre conscience de leur profession et de la portée universelle de présenter des films sortant de la norme imposée par l’industrie cinématographique qui s’applique à généraliser un forme de films et non d’œuvre, programmés pendant un temps, restant à l’affiche pour peu qu’il possède un quelconque intérêt pour le public et jetés au rebus quand ils ne rapportent plus un sous !
Dogma95 est un mouvement artistique cinématographique lancé en 1995 par les réalisateurs Lars Von Trier et Thomas Vinterberg prodiguant de nouvelles règles sur la façon de construire un film, du scénario à la diffusion.
Le 13 mars 1995, les deux cinéastes écrivirent un manifeste, rendu public le 20 mars 1995, au Théâtre de l’Odéon à Paris, lors d’une rencontre cinématographique dans le cadre du centenaire du cinéma.
Le manifeste pose les questions sur le statut du créateur, la finalité de l’œuvre et son rapport avec le réel, entraînant une remise en question sur les rouages de la machine hollywoodienne.
Objectif et style
Le Dogme95 est lancé en réaction aux superproductions anglo-saxonnes et américaines et à l’utilisation abusive d’artifices et d’effets spéciaux, aboutissant à des produits formatés, jugés fades et impersonnels.
Le but est de revenir à une sobriété formelle plus expressive, plus originale et jugée plus apte d’exprimer les enjeux artistiques contemporains. Dépouillés de toute ambition esthétique et en prise directe avec le réel.
Les films du Dogme95 cristallisent un style vif, nerveux, brutal et réaliste, manifesté généralement par un tournage entrepris avec une caméra 35 mm portée au poing ou à l’épaule et avec improvisation de plusieurs scènes. Hélas, les films estampillés Dogma95 restent très mal distribués.
Les règles du Dogme95 ne seront jamais appliquées à la lettre, mais les réalisateurs adhérents au manifeste tenteront de s’en rapprocher le plus possible. Un label officiel marque les films qui répondent suffisamment aux critères du manifeste.
Le manifeste pose les questions sur le statut du créateur, la finalité de l’œuvre et son rapport avec le réel. Le but étant de lutter contre l’influence de la production cinématographique hollywoodienne et sur sa généralisation (formatage des films, public de masse, etc.). Le manifeste est radical et s’élève contre le cinéma individualiste, l’esthétique, les illusions et le prévisible dramatique (spontanéité dans l’action) afin d’engendrer une épuration du cinéma, pour laisser « la vie intérieure des personnages justifier l’intrigue ».
Ironie du réalisateur : « Les préceptes du Dogme95 sont venus d’un désir de se soumettre à l’autorité et aux règles que l’on ne m’a pas inculquées dans mon éducation humaniste et culturelle de gauche… »
Le refus de l’art en tant qu’objet de consommation entraîne une provocation fertile dans un monde dominé par la culture de masse ainsi qu’une contrainte dû aux règles strictes énoncées en ce qui concerne le langage cinématographique (écriture du script, tournage, montage), le manifeste est à prendre avec une certaine distance et engendre un paradoxe qui peut être facilement compréhensible : « la mort de l’auteur » dont la finalité est de faire un cinéma d’auteur.
Grâce aux nouvelles technologies, notamment l’apparition des premières caméras DV, il y a une dizaine d’années, la vidéo semble être le médium parfait pour véhiculer et accentuer l’effet vérité qu’il procure afin d’être le plus proche possible d’un simple enregistrement, la preuve que ça a eu lieu. Voir l’image comme un témoin de la vérité… Le paradoxe réside dans l’effet, entraînant une esthétique très identifiable de l’image, se rapprochant de l’amateurisme mais tout de même basée sur l’émotion.
Vinterberg : « […] Mais le Moi n’est pas facile à abattre. Bien qu’on parle de revêtir un uniforme, d’anonymat, de mort de l’auteur, on n’a jamais fait de films aussi personnels. Refuser décors et costumes, purger la dramaturgie de ce qui n’est pas essentiel, ce n’est pas assez précis : j’ai écrit le script, j’ai choisi les acteurs, il s’agit de mon goût. Même si nos noms n’apparaissent pas sur l’affiche, ils sont devenus des films d’auteur ».
Vinterberg remet donc en question la notion d’œuvre et d’auteur et que quoi qu’il en soit, il faut se dire que si l’on fait des films avec passion et professionnalisme en voulant livrer au monde un soupçon de réalisme et de réalité, même en faisant un minimum abstraction de ses goûts et choix personnels, l’auteur restera toujours maître de son œuvre !
Dogma 95 est reproduit ici dans son intégralité. Il a pour but de « s’élever contre le cinéma d’illusion ». Il présente une série de règles statutaires intitulées : « Vœu de chasteté ».
Le texte est signé par Thomas Vinterberg et Lars Von Trier.
Je jure de me soumettre aux règles suivantes, établies et confirmées par Dogma95 :
1. Le tournage doit avoir lieu en extérieur. Accessoires et décors ne peuvent être fournis (si un accessoire particulier est nécessaire à l’histoire, il faut choisir un des extérieurs où se trouve cet accessoire).
2. Le son ne doit jamais être produit séparément des images ou vice et versa. Il ne faut pas utiliser de musique, sauf si elle est présente là où la scène est tournée.
3. La caméra doit être tenue à l’épaule. Tout mouvement ou immobilité faisable à l’épaule est autorisé. Le film ne doit pas avoir lieu là où la caméra est placée ; c’est le tournage qui doit avoir lieu là où le film a lieu.
4. Le film doit être en couleur. L’éclairage spécial n’est pas acceptable, s’il y a trop de lumière, la scène doit être coupée ou bien il faut monter une seule lampe sur la caméra.
5. Trucages et filtres sont interdits.
6. Le film ne doit contenir aucune action superficielle (meurtres, armes, etc., en aucun cas).
7. Les aliénations temporelles et géographiques sont interdites, c'est-à-dire que le film a lieu ici et maintenant.
8. Les films de genre sont inacceptables.
9. Le format du film doit être un 35 mm standard.
10. Le réalisateur ne doit pas être crédité.
"De plus, je jure comme réalisateur de m’abstenir de tout goût personnel. Je ne suis plus un artiste. Je jure de m’abstenir de créer une œuvre, car je considère l’instant comme plus important que la totalité. Mon but suprême est de forcer la vérité à sortir de mes personnages et du cadre de l’action. Je jure de faire cela par tous les moyens disponibles et au prix de tout bon goût et de toutes considérations esthétiques.
Ainsi, je prononce mon vœu de chasteté".
Thomas Vinterberg & Lars Von Trier
Le 13 Mars 1995, Copenhague.