EXTRAITS DU HEIHÔ KADENSHO

La philosophie et les secrets de la stratégie

« Le but ultime de la pratique du sabre est de faire de cet art une partie intégrante de sa vie ».

En adoptant la philosophie du sabre, il sera possible d’appliquer les techniques les plus efficaces de manière instinctive et inconsciente, techniques utiles afin de parvenir à faire face à n’importe quelle situation.

Lorsqu’on brandit le sabre devant l’ennemi, il ne faut pas que l’âme s’attache à la seule technique. Ainsi, il faut éviter d’être prisonnier de cette dernière afin de ne pas donner l’opportunité à l’ennemi de contre-attaquer.

« Lorsque l’apparence extérieure est intrépide, le moi intérieur est calme ; lorsque l’apparence extérieure est agressive, le moi intérieur est sur la défensive ».

Il faut donc s’appliquer à ce que l’état du moi intérieur soit l’opposé de l’apparence extérieure. Grâce à une pratique continue, le moi intérieur et l’apparence extérieure ne feront plus qu’un.

Il est important de pratiquer sans attacher son âme à l’intention de porter une frappe ou une pique.

La porte est l’antichambre de la maison

Une porte est l’entrée d’une maison et c’est en passant cette porte qu’il est possible de rencontrer le maître de cette même maison. Par exemple, l’étude est la porte de la vérité et ce n’est qu’en passant cette porte qu’il sera possible d’atteindre la vérité. Il faut tout de même faire attention de ne pas confondre : ouvrir la porte ne signifie pas entrer dans la maison.

Entraînez-vous intensément

Il faut entraîner le corps jusqu’à ce qu’il se meuve automatiquement sans effort conscient, ainsi l’esprit ne sera pas encombré par les mouvements physiques. C’est en suivant un entraînement régulier qu’il nous sera possible d’appliquer les techniques de manière inconsciente sans avoir besoin de réfléchir. Ainsi, aucune place ne sera accordée au doute et à l’hésitation. Il est donc nécessaire de s’entraîner intensément, puis oublier l’entraînement, « tel est le mystère de la Voie ».

Le faux devient le vrai

La construction d’un stratagème est nécessaire de façon à ce que l’adversaire ne puisse résister même s’il est conscient de notre plan. Il faut apprendre à piéger l’adversaire. Une fois pris au piège, il nous sera possible de vaincre. Si le plan élaboré n’est pas au point, il faut immédiatement le modifier. Cette idée est issue de la terminologie bouddhiste appelée « hoben » (pieu mensonge), qui permet de garder secrètes ses véritables intentions.

Dans le shintoïsme, cela s’appelle le « shimpi » (mystère), qui fait naître une fausse sécurité chez l’adversaire. Ainsi, en gardant les choses mystérieuses, il est possible d’en récolter les bénéfices.

Dans les arts martiaux, cela s’appelle le « buryaku » (stratégie militaire). « Ryaku » (stratégie) signifie fausseté.

L’utilisation de la supercherie peut éventuellement conduire au succès. Un pieu mensonge peut aider à atteindre votre but.

L’offensive et la défensive

Tant que les deux adversaires se trouvent dans une position offensive, l’état d’esprit de l’adversaire ne diffère en rien du vôtre. Dans une position offensive, il est important de concentrer son esprit sur l’adversaire. Dès que le combat débute, il faut prendre l’initiative tout en attaquant avec intensité. Dans une position défensive, il faut attendre que l’adversaire bouge pour passer immédiatement à l’offensive.

Comment piéger l’adversaire ?

La relation entre l’offensive et la défensive est comparable à la relation entre le sabre et le corps. Pour vaincre l’adversaire, il est nécessaire de tenir le sabre en position défensive, tout en plaçant le corps à proximité du dit adversaire. Après cela, en gardant une position offensive du corps, on pousse alors l’adversaire à porter la première attaque.

Contrôler la relation entre l’esprit et le corps

Il est important de garder à l’esprit le lien établit entre l’offensive et la défensive, lien comparable à celui que l’on peut établir entre le corps et l’esprit. Ce dernier doit être sur la défensive alors que le corps doit adopter une attitude offensive.

Voir sans voir

« Jetant des coups d’œil furtifs à l’oiseau, la libellule se tient à distance. La libellule se déplace avec précaution, surveillant du coin de l’œil les mouvements de son ennemi ».

Ce poème signifie qu’il est crucial de ne jamais fixer son regard sur un point précis. Pour juger correctement la réaction de l’adversaire (face au piège tendu), on dit le voir sans le regarder, c’est-à-dire, qu’on ne doit pas fixer son regard sur un point précis. Pour se faire, il est nécessaire de garder les yeux tout le temps en mouvement et de jeter un œil entre chaque mouvement.

Frapper sans cesse, ne pas laisser l’adversaire relever la tête

« Il est plus difficile d’éviter d’être frappé que de frapper ».

Quand l’adversaire frappe, il est nécessaire de mettre de la distance entre vous et le sabre de ce dernier afin de laisser passer la frappe. A une distance convenable, la frappe de l’adversaire devient inefficace et mortelle. Il faut donc apprendre à tirer avantage de la situation. Lorsque l’on porte la première frappe, il ne faut jamais laisser le temps à l’adversaire de se ressaisir.

Vaincre l’adversaire en jouant sur le rythme

Pour jouer sur le rythme, il faut utiliser la technique « obyoshi kobyoshi, kobyoshi obyoshi », ce qui signifie littéralement, « battement lent, battement rapide, battement rapide, battement lent ».

Afin d’éviter que l’adversaire trouve le rythme des frappes trop agréable (ce qui lui permettrait de porter ses frappes avec plus de facilité), il est nécessaire de contre-attaquer soit en accélérant le rythme, soit en le ralentissant. Il ne faut donc pas chercher à harmoniser le rythme des frappes de l’adversaire.

Saisir le mouvement de l’adversaire dans son intégralité

On ne peut interpréter le « Nô » ou chanter le « Utai » sans comprendre l’ensemble de la musique. Il en est de même pour les arts martiaux. Il est important de juger correctement les frappes et les mouvements de l’adversaire afin de pouvoir en saisir le rythme et le vaincre plus aisément.

Se préparer pour affronter un adversaire offensif

Dans les arts martiaux, la stratégie est un élément très important qu’il ne faut pas négliger car elle permet de tirer avantage du mouvement initial de l’adversaire. Pour cela, il faut disposer de différentes stratégies. Avant tout combat, il faut se redonner du courage et se préparer à affronter un adversaire offensif en préparant son esprit à la défensive, ce qui permet de parer à toute attaque surprise.

Etre calme à l’extérieur, être rigoureux à l’intérieur

Demeurer calme extérieurement tout en gardant l’esprit présent et en éveil correspond à l’expression "entendre le son du vent et de l’eau". Cette métaphore décrit une apparence extérieure calme qui cache l’activité intérieure de l’esprit. Le corps ainsi que les membres ne doivent jamais paraître occupés. Il faut également être attentif à la relation entre l’offensive et la défensive, entre l’extérieur et l’intérieur.

Penser à garder un équilibre entre ces deux notions qui permet de passer du « yin » (négatif, immobilité) au « yang » (positif, action). Quand l’intérieur est « yang » et en action, l’extérieur doit être « yin » et immobile et vice et versa.

En gardant l’esprit immobile, il est aisé de mieux contrôler votre action. Le but de la stratégie est de développer une forme de l’esprit qui peut totalement contrôler l’alternance entre défensive et offensive, immobilité et action.

D’après Yagyu Jubei Mitsuyoshi, la métaphore « entendre le son du vent et de l’eau » signifie que durant un combat, l’esprit ne doit pas se préoccuper de l’adversaire, car cela aurait pour conséquence de ne plus être capable d’entendre le son du vent et de l’eau.

Un esprit borné est un esprit malade

La maladie naît d’un esprit rigide et borné en toutes circonstances. Tous ces maux résultent de notre état d’esprit. Il est donc important de savoir contrôler son esprit.

Se débarrasser des pensées au moyen d’autres pensées

« L’homme a des pensées et cependant n’a pas de pensées ; l’homme possède l’opiniâtreté et cependant n’a pas d’opiniâtreté ».

Un esprit sans pensées est appelé « munen » ou esprit libre de toutes pensées. Pour rendre l’esprit « munen », il faut se débarrasser des pensées au moyen d’autres pensées. Lorsqu’une pensée élimine l’autre, les pensées liées à l’élimination ainsi que la pensée éliminée disparaissent ensemble ; c’est ce qui est exprimé dans « l’homme a des pensées et cependant n’a pas de pensées ».

Entraîner l’esprit de manière à ce qu’il ne soit plus inquiété par la maladie

A un haut niveau d’entraînement, l’esprit peut se débarrasser d’une maladie en supprimant tout effort pour s’en débarrasser.

Au bout d’un moment, il sera possible de nous débarrasser naturellement de toutes idées fixes sans même y penser. La première chose à éviter est de conserver un esprit borné. Libéré de ce dernier, il ne sera plus possible d’être corrompu même dans une foule houleuse. Cet esprit demeurera toujours libre et rien ne pourra le perturber. Polissez votre esprit de manière à le garder libre et imperturbable, hors d’atteinte des maladies.

Agissez en laissant votre bon sens vous guider

L’expression « votre bon sens est la voie » signifie que pour éliminer une maladie tout en étant malade, il faut laisser agir votre bon sens. Ce principe est applicable à beaucoup d’autres domaines tels que le tir à l’arc, le combat au sabre, la calligraphie, etc.

Par exemple, si au tir à l’arc, vous êtes absorbés par l’idée d’atteindre la cible, vous aurez du mal à viser. Lors d’un combat au sabre, si l’on est concentré sur l’idée de porter ses frappes, il sera difficile de contrôler le sabre. Il en est de même dans la calligraphie, si l’on est possédé par l’idée de dessiner, le pinceau se déplacera difficilement.

Pour éviter tout cela, il faut arrêtez de penser que l’on doit atteindre la cible et garder un esprit naturel d’exécution. A méditer…

Le maître d’une voie peut s’accommoder de n’importe quelle situation donnée simplement car son esprit est comme un miroir limpide, il est totalement libre de toute pensée. L’état d’esprit ordinaire et seul est celui qui peut accomplir chaque chose avec un tel état d’esprit mérite le titre de maître.

Adopter l’esprit qui, une fois libéré, ne demeure pas sur place

Un grand prêtre mongol prénommé Abbot Chuho, enseignait à ses disciples à avoir un esprit disponible aussi appelé « hosin no kokoro ». A un niveau inférieur, cela signifie qu’il faut s’entraîner afin de garder un esprit disponible avant qu’il ne se fixe. En d’autres termes, si l’on porte une frappe au sabre, il faut rapidement retirer ce dernier afin que l’esprit ne reste pas fixé sur le point d’impact. A un niveau supérieur, cela signifie qu’il faut libérer notre esprit et le laisser dériver où bon lui semble afin qu’il ne reste pas à la même place.

« L’esprit retenu par une corde ne peut être libre ».

Un esprit disponible permet au corps de se libérer de tout mouvement.

Un esprit bien discipliné

Les concepts de « kei » (concept confucéen) et de « isshin furan » (concept bouddhiste) transmettent un état où l’esprit doit être concentré sur une chose afin de ne point être perturbé par autre chose. Il s’agit d’un moyen pour garder son esprit en paix car un esprit bien discipliné n’a pas besoin de tels moyens.

L’esprit calme et pacifié s’acquièrent avec la posture « Fudô Myôô » (posture correcte, paumes des mains jointes en répétant à haute voix « Fudô Myôô »). Ce qui permet d’atteindre l’état que l’on appelle « sanmitsu byodô » (égalité des trois secrets), état en harmonie avec le concept de « kei ».

La technique du « Mutô » (sans sabre)

C’est une technique qui consiste à éviter les frappes de l’adversaire lorsque l’on n’est pas armé. Cela consiste à éviter d’être touché plutôt qu’à essayer de désarmer l’adversaire et à utiliser tout ce qui est à disposition afin d’éviter d’être touché.

« Ma-ai » (distance) : au cœur du mutô

Le véritable objectif du « mutô » est de développer le sens du « ma-ai » ou de l’espace afin d’affiner le jugement sur la distance nécessaire pour éviter une frappe de l’adversaire. Aussi longtemps que l’on gardera cette distance avec l’adversaire, on n’aura pas à craindre d’être touché. Toutefois, si l’on décide de désarmer l’adversaire, il faut également accepter l’idée d’être touché.

Plonger sous la garde du sabre de l’adversaire

« Mutô » est une technique qui permet de se battre à mains nues contre un adversaire désarmé. Cette technique nécessite de se placer au plus près de l’adversaire au risque de recevoir la frappe adverse. Il faut plonger sous la garde adverse et s’emparer de son sabre au moment où il s’apprête à couper au-dessus de notre tête.

« Ki » (jugement et volonté) vient de l’intérieur, « Yu » (action) existe à l’extérieur

Tout possède une substance et une action. Un sabre est substance et couper est son action. La volonté est substance et ses conséquences extérieures son action.

Parce que la volonté existe à l’intérieur de vous, vos actions se réalisent à l’extérieur. Par conséquent, lorsqu’on frappe, coupe, leurre, il est nécessaire d’adopter soit une attitude offensive soit une attitude défensive.

La volonté qui subsiste à l’extérieur est appelée « sayo » ou action. Seule, la volonté farouche résulte en une action exemplaire.

« Un maître zen hautement discipliné possède un esprit tellement libre, que, quoiqu’il dise ou qu’il fasse, il ne dévie jamais de la voie de la nature des choses ».

Un corps unifié fait preuve d’habileté

« Jintu Shinpen », littéralement, pouvoir divin ou transformation, fait référence à la capacité d’agir en toute liberté. Le concept de « daiyu » (action émérite) peut décrire plusieurs actions telles que tenir un sabre, sauter en l’air, s’emparer du sabre de l’adversaire, frapper les pieds. Même si on néglige de travailler la volonté, le « daiyu » émergera lorsque ce sera nécessaire.

Le « ki » correspond à la volonté et au jugement et doit toujours rester en éveil. Si notre « ki » reste disponible, il sera possible d’agir promptement lorsqu’un événement inattendu se produira. La « daiyu » est cette action rapide. Quand le « ki » n’est pas encore mature, le « sayo » (volonté extérieure) ne peut se produire.

C’est en continuant à exercer notre esprit qu’il sera possible d’amener le « ki » à maturité et le « daiyu » pourra émerger. Lorsque le « ki » atteint le stade ultime, il se diffuse dans tout le corps et le « daiyu » peut s’exercer à partir de toutes les parties du corps.

Une personne possédant le « daiki daiyu » est capable de vaincre uniquement par le regard, le « mizume », littéralement, la défaite par le regard. Ce terme désigne un état d’échec dans lequel le regard de quelqu’un qui possède le « daiki » vous absorbe tellement et d’une façon si profonde que l’on oublie que nous sommes armés d’un sabre. Même si cela n’est que momentané, il en résultera une défaite.

Une action libérée de toutes conventions

La vie acquiert généralement certaines règles et quelques conventions. Selon le bouddhisme zen : « Là où le « daiyu » se révèle pleinement, il n'est nul besoin de suivre des règles ou de conventions ».

Une personne qui parvient au « daiki daiyu » n’adhère pas aux schémas préétablis des pratiques et des règles. C’est en général une personne qui a atteint la perfection et qui peut agir en toute liberté.

Un homme faisant preuve de « daiki » est ce type d’individu. Le « ki » est un état d’esprit dans lequel l’homme est prêt à tout. Lorsque le « ki » est rigide, il restreint l’esprit et le prive ainsi de liberté. La liberté d’action n’est possible que lorsque le « ki » est unifié et qu’il se répand dans tout le corps. Lorsque l’action est libre, elle est appelée « daiyu ».

L’entraînement pour dissimuler votre esprit

« L’esprit change dès que son environnement change. Ce changement est subtil, tellement subtil, que l’on ne peut le percevoir ».

Cette expression est très importante lors de l’entraînement des arts martiaux et du zen. Dans les arts martiaux, « l’environnement » correspond aux différents mouvements de l’adversaire.

« L’esprit change dès que son environnement change ».

Cette phrase indique que l’attitude mentale change avec les changements intervenant dans les mouvements de l’adversaire. C’est-à-dire, lorsque l’adversaire brandit son sabre au-dessus de la tête, à gauche ou à droite, votre esprit suit les mouvements.

« Vous ne pouvez percevoir ce changement ».

Cette phrase est très importante dans les arts martiaux et signifie que l’esprit qui ne se fixe nulle part, ne peut pas vraiment être perçu. L’esprit humain devient visible dès qu’il est effleuré par l’émotion ou traversé par une pensée.

« Si vous avez quelque chose à l’esprit, votre visage le montre ».

Les arts martiaux, le zen

Le point commun qui unit les arts martiaux au zen est une répugnance pour un esprit rigide et des idées fixes. Quelle que soit la chose apprise, il est toujours plus important de s’entraîner car on se doit d’empêcher l’esprit de s’arrêter en un seul endroit.

L’état naturel de votre esprit est tout.

« Un maître de stratégie est un homme qui a maîtrisé toutes les techniques pour ensuite les abandonner toutes. Il agit toujours en suivant l’état naturel de son esprit ».

Cela doit également être le cas dans la vie quotidienne. Ce n’est qu’en recourant à un état d’esprit naturel que l’on sera capable de contrôler librement un sabre ou un arc et des flèches.

"L’esprit naturel est le plus important, l’esprit ouvert est le plus important".

 

A SUIVRE : Etude technique du Kenpô par Kotoda Yahei Toshisada

 

Source :

Tactiques secrètes : leçons de grands maîtres des temps anciens  ~ Kazumi Tabata ~ 2003

 

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