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Jusqu’à présent, je ne connaissais rien du théâtre nô, si ce n’est que je savais qu’il constituait un des théâtres traditionnels japonais avec le kabuki.

L’occasion m’a été donné de découvrir le Nô lors d’un atelier organisé par la Maison de la Culture du Japon à Paris.

Le Nô constitue un art et comme tout art chez les Japonais, il se décompose en diverses techniques particulières. Il est dit que les samouraïs des 15ème et 16ème siècles étaient tenus d’en connaître les préceptes et de le pratiquer.

 

Qu’est-ce que le Nô ?

Le Nô (drame lyrique) japonais est l’un des plus anciens genres de théâtre classique qui constitue un spectacle de divertissement, sans forcément faire référence au mystique ou au religieux, mais plutôt, d’un point de vue personnel, au surnaturel. Le Nô n’a que très peu de points communs avec le théâtre littéraire européen que nous connaissons.

 

Pour Zeami (1363-1443), alias Kanze Motokiyo, acteur et dramaturge japonais, et théoricien du Nô, l’essentiel de cet art se situe dans la danse et dans le chant. Le texte ne fait l’objet que d’un support conforme à quelques règles élémentaires de composition. Mais Zeami avait renversé cette dernière tendance, mettant à profit ses qualités de poète de génie.

L’une des caractéristiques du Nô est de relater les faits quand toute action est achevée, parfois des siècles après la mort du héros, d’où l’atmosphère caractéristique de ces pièces, située entre rêve et réalité.

 

Bien que dans la plupart des pièces Nô, le personnage secondaire soit un moine et porte souvent sur des points de la doctrine bouddhique, ce n’est pas un théâtre religieux, mais plutôt un théâtre constitué d’éléments théologiques proposant de simples prétextes au plaisir esthétique.

 

Entre les 16ème et 19ème siècles, le Nô fut un art réservé à l’aristocratie, surtout militaire. Malgré cela, ce genre de spectacle était à l’origine destiné à un public très large.

D’après Zeami, le Nô est « un long poème chanté et mimé, accompagné d’un orchestre, constitué d’une ou plusieurs danses qui peuvent n’avoir aucun rapport avec le sujet ».

 

Au cours de la séance d’initiation, séance que j’ai pris plaisir à suivre avec délectation, une réelle curiosité et un plaisir attentionné, l’atelier comportait une partie consacrée à la préparation « physique » de l’acteur afin qu’il puisse prendre pleinement conscience de son corps. Cela consistait à effectuer des frottements, d’une façon plus ou moins énergique, sur toutes les parties du corps. Assise « à la japonaise » en face du Maître, j’essayais de faire le lien entre le Ciel en me frottant le sommet du crâne et la Terre, en dirigeant le sacrum vers le bas. En adoptant une certaine posture pas si facile à exécuter, il était question de se tenir telle une marionnette, me donnant l’impression de flotter dans les airs.

 

Mais ce qui m’a le plus surprise, c’est la façon de se déplacer en marchant d’une façon si particulière que cela me donnait l’impression de glisser juste au-dessus du sol. Cela m’a d’ailleurs rappelé la façon dont je m’exerce à marcher lors de mes entraînements au kenjutsu.

Il à noter que le théâtre Nô comporte trois catégories d’acteurs exclusivement masculins : le waki, le shite et le kyôgen, ce dernier étant moins prestigieux, mais néanmoins utile et nécessaire, que les deux premiers.

 

Les acteurs du Nô

Les pièces de Nô ne comportent jamais qu’un seul et unique personnage. Tout d’abord, il y a le shite, littéralement « celui qui fait, qui agit » ; c’est lui qui danse et chante et qui représente le personnage principal et celui dont le rôle est le plus complexe et est vêtu d’une façon somptueuse.

 

Ensuite, vient le waki, « celui du côté », qui est le personnage secondaire et qui tient la plupart du temps le rôle d’un moine vêtu d’une manière plus sobre.

 

Occasionnellement, il entre le premier sur la scène et après avoir conté le voyage qui amène la pièce sur les lieux de l’action, il s’assoit au « waki-za », endroit où il ne bougera plus sauf pour exorciser un démon ou pour rester immobile tel un spectateur impassible. Son rôle est néanmoins important car c’est lui qui provoque l’arrivée du shite.

 

La plupart du temps, le shite n’est rien d’autre qu’une vision d’un waki, pouvant être certainement associé à un être ayant une vision chamanique. Ce dernier est donc le médium entre le waki et l’audience, médium sans lequel rien ne se passerait. Le shite ne danse ni ne chante, il déclame.

 

La troisième catégorie d’acteurs est constituée par les kyôgen, toujours un peu méprisés, bien que certains acteurs soient des comédiens d’une rare qualité. Sans eux, le Nô perdrait une grande partie de sa valeur et de son intérêt. Le rôle du kyôgen est de détendre l’atmosphère en jouant une farce constituée de formes comiques, grossières et un peu plus « légères ». Le kyôgen intervient à l’intérieur du Nô pour exécuter un interlude nommé « ai-kyôgen », ce qui permet au shite de pouvoir changer de costume. Le kyôgen s’entretient avec le waki au sujet de la pièce, en donnant parfois une version parodique qui contraste avec la version noble de la pièce.

 

L’orchestre et le chœur

Tout comme dans le théâtre gréco-romain, le théâtre Nô possède également un chœur et un orchestre. Ce dernier fait son entrée en scène au tout début de la représentation et il est aussi le dernier à la quitter.

 

Le rôle de l’orchestre est essentiel car il constitue un bruitage rythmé, destiné à créer une atmosphère propice à l’évocation d’un certain type de personnage. L’orchestre se compose d’un joueur de flûte et de deux joueurs de tambours.

 

Il intervient pour préparer l’entrée de l’acteur au début de la pièce et sa rentrée au début de la seconde partie du spectacle. Il soutient le chant de l’acteur ou du chœur dans les passages lyriques ; pour rythmer la danse ou pour accompagner un récit du chœur mimé par l’acteur.

 

« Dans tous les cas, son rythme heurté, incantatoire, contribue à créer chez le spectateur un état second, quasi hypnotique, qui le rend perméable à la magie du Nô ».

 

Le chœur ne participe pas à l’action et se compose de quatre, huit ou douze chanteurs qui restent assis et immobiles à droite de la scène pendant toute la durée du spectacle. Le chœur chante à l’unisson et relaie l’acteur principal lorsque ce dernier doit mimer un long récit. Parfois, le chœur commente l’action du personnage ou décrit un paysage.

 

L’orchestre et le chœur constituent des éléments ayant une valeur décorative, éléments à ne pas négliger lorsque l’on a chance de pouvoir « contempler » un spectacle de Nô.

 

Au cours de cette séance d’initiation au Nô, après avoir effectué les différents exercices d’échauffement du corps ainsi que les techniques de déplacements propres à la discipline, le Maître procéda à la distribution d’éventails, accessoires essentiels et indispensables du Nô.

 

Généralement, « le grand éventail de danse » possède un dessin assorti au costume de l’acteur et constitue l’accessoire le plus important. L’éventail peut représenter aussi bien une arme qu’un objet quelconque ou une branche d’arbre frémissant au vent. Il peut également représenter une multitude d’éléments symboliques.

 

Bien entendu, il y a une façon particulière de le tenir. En effet, on le tient en mettant l’auriculaire à l’arrière, sur l’orifice situé sur le manche de l’éventail, en opposition au pouce que l’on pose sur le trou situé à l’avant. Cela m’a rappelé étrangement la façon de tenir un sabre et il est clair que dans certaines situations, il ne peut que représenter le fameux katana du bushi.

 

Dans le théâtre Nô, il n’y a point de décor, ce qui permet au spectateur de laisser libre court à son imagination. Il existe également une façon de le déplier : de la main gauche, on doit se saisir de la face arrière de l’éventail puis on le déplie en effectuant un mouvement vers l’arrière, en position horizontale.

 

Durant l’atelier, il était également question du rythme des pas et de ses changements. Au Japon, le rythme semble être une notion très importante, quel que soit l’art que l’on pratique. Car dans les arts martiaux, il est aussi question de ce rythme que l’on doit savoir changer par rapport au rythme de l’adversaire et qu’il est important d’observer.

 

Une journée de Nô

 

Une représentation classique se compose de cinq pièces, entrecoupées par des farces appelées « kyôgen ».

 

L’utilisation de l’expression « une journée de Nô » prend toute sa signification quand on connaît la durée d’un spectacle Nô. En effet, l’ensemble formé par les cinq Nô et les quatre Kyôgen se déroule sur une moyenne de dix heures, les plus courtes pièces durant un minimum de quatre heures.

 

Auparavant, et principalement durant des festivités particulières, trois à cinq journées de spectacles se succédaient. Ce qui aurait semblé être une éternité pour un public néophyte occidental ; ce qui n’est pas forcément le cas pour un Japonais qui a pour habitude d’assister à de longs événements. Toutefois, les écoles de Nô modernes de Tôkyô auraient tendance à organiser des représentations beaucoup plus réduites sur la durée. Néanmoins, à Kyoto, les spectacles sont donnés dans leur intégralité.

 

En fait, réduire la durée du spectacle serait une chose assez grave, car cela bousculerait l’harmonie décrite par Zeami, selon laquelle il porte une analyse esthétique et psychologique. La durée du programme correspond au degré de réceptivité du public. L’attention doit être croissante de la première à la troisième pièce et décroissante par la suite. Le rythme de l’interprétation se ralentit dès la fin de la première moitié du spectacle pour ensuite s’accélérer de nouveau dès la seconde moitié.

 

Ce rythme est décrit par le principe « Jo, Ha, Kyû », c’est-à-dire, « ouverture, développement, finale », ce qui correspondrait dans le cas du théâtre européen à l’introduction, au nœud et au dénouement. C’est une structure typique du Nô décrite dans les moindres détails.

 

Afin d’attirer l’attention du spectateur, le Nô débute généralement par une courte pièce, brillante mais peu complexe qui est sensée rassembler l’audience dans une communion dans l’esprit du Nô.

 

La première pièce est dite « pièce de waki » ou « votive » ou « de la première catégorie ». On peut y découvrir un personnage surnaturel qui prédit prospérité et longue vie à tous.

Les trois pièces suivantes se composent de l’élément « Ha », signifiant « détaillé, développé ». Ces trois pièces sont régies par la même structure « Jo, Ha, Kyû ».

 

Les principales pièces de Nô sont d’une excellente qualité, citons parmi elles, « Kanehira » et « Sanemori » qui sont des œuvres crées par Zeami.

 

Ces pièces relatent à peu de chose près toutes la même histoire où un moine rencontre un vieillard sur un ancien champ de bataille. Le vieillard s’avère être un spectre qui revient sous la forme du guerrier qu’il fut jadis.

 

Aux trois pièces précédentes, succède « le pièce de femme » qui se caractérise par le « yûgen », autrement dit, « le charme subtil », qualité indispensable « à l’éclosion de la fleur », comme le soulignait Zeami qui recommandait que cette pièce soit jouée par des jeunes femmes ou de jeunes acteurs.

 

A ce niveau du spectacle, le récit relate l’apparition d’une dame d’antan, héroïne d’une célèbre histoire d’amour. Le charme qui se diffuse de « la pièce de femme » tient à la beauté des attitudes des acteurs, à la grâce de la danse, lente et presque statique, et à la douceur du chant.

 

Et c’est justement par le chant que cette séance d’initiation de Nô s’est achevée. Ce fut un plaisir électrisant doublé d’une attention de tous les instants que je pus apprécier la voix du Maître qui entonnait « Hagoromo », une chanson extrêmement populaire et connue au Japon, à tel point que si je la chantais à un Japonais, il en serait certainement surpris mais également honoré !

 

Dans ce chant, au texte poétique et évocateur, il est question d’une fille du Ciel, qui de ses yeux, voit la pitié en vérité, tout joliment vêtue qu’elle était.

C’était la première fois que je chantais en Japonais et ce fut également un plaisir de découvrir cette langue si étrange à travers un chant traditionnel.

 

Cet atelier m’a semblé fort intéressant et très instructif concernant le jeu de l’acteur japonais, j’aurais souhaité qu’il dure toute la journée. J’invite quiconque qui s’intéresse de près ou de loin à la culture japonaise ainsi qu’au théâtre à venir voyager, le temps d’une petite leçon de théâtre Nô, au pays des samouraïs d’antan.

 

Sources :

Maison de la Culture du Japon à Paris

La tradition secrète du Nô ~ Zeami ~ traduction et commentaires par René Sieffert ~ Connaissance de l’orient ~ 1960

Voir également « Dôjôji et autres nouvelles » : http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/categorie-10982829.html

 

 

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