L'univers de Quentin Tarantino # 3 : Kill Bill, la saga
03 avr. 2011
ANALYSE FILMIQUE EXTERNE
Les personnages
L’une des bases de la théorisation du dispositif cinématographique est l’identification primaire. C’est un phénomène constant, généralement accompagné par d’autres phénomènes d’identification, plus dépendants du rapport de chaque individu-spectateur à la situation fictionnelle. Ces identifications secondaires recouvrent ce que la critique cinématographique a découvert depuis fort longtemps, à savoir que le film suscite chez le spectateur des affects, de la sympathie, de l’antipathie et que ces affects sont souvent dirigés vers les personnages en tant que tels. D’où l’idée que l’on ne s’identifie pas forcément au « bon » et que le « méchant » peut susciter de l’aversion.
L’identification reste par conséquent, un phénomène subjectif dans tous les sens du terme. Il n’existe pas d’indices identitaires absolus. En revanche, les éléments textuels qui prêtent à identification sont sujette à caution dans la mesure où l’on sait que les identifications secondaires privilégient certains éléments de la narration, axés sur les traits constitutifs des personnages et les événements unitaires constitutifs. Au cinéma, ces éléments narratifs deviennent prétextes à identification dans la mesure où ils sont visualisés.
Bien que Kill Bill s’inscrive dans le courant du genre films d’actions, il est évident que la focalisation et l’identification se font avant tout à travers les personnages et le caractère constitutif qui leur est propre.
Il est à noter que la caractérisation donne des personnages tous intéressants du point de vue narratif et fictif, donnant ainsi le choix au spectateur féminin de s’identifier aux personnages qui marquera le plus sa conscience ainsi que son inconscient.
En effet, la saga Kill Bill compte plus de personnages féminins que masculins, ces derniers se cantonnant au rôle de personnages secondaires ou au rôle de figuration (entité). Par conséquent, il semblerait que tout l’intérêt des deux films soit porté par le fait que les personnages soient des femmes à forte personnalité, combatives, impartiales, intraitables et guerrières, particulièrement belles et sexy.
Ici, le modèle conventionnel de l’image de la femme faible est dévié ; bien qu’il fasse appel à des figures de styles classiques tels que le regard caméra et le gros plan, Tarantino bouleverse tout l’imaginaire collectif constituant une image de la femme parfaite, peut conventionnelle et hors norme.
L’étude des identifications secondaires amène à s’intéresser de près aux personnages et aux relations que le spectateur entretient avec eux. Mise en avant de l’hypothèse de l’existence d’une certaine homologie de situation entre spectateur et personnage du film, notamment lorsqu’il s’agit d’un personnage en position de narrateur.
Marc Vernet a cerné cette homologie à partir de deux figures stylistiques particulières : le regard caméra et la voix off.
Le regard caméra est un effet produit à la projection du film. Le spectateur a l’impression que le personnage, dans la diégèse, le regarde directement, mettant en évidence trois espaces différents : le tournage, l’univers diégétique et la salle de cinéma. Les conséquences du regard caméra est de prendre le public pour témoin, par le regard et la parole (cf. séquence pré-générique, Kill Bill Volume 2). Le regard caméra est également un regard ambigu parce qu’il est le fruit d’un compromis entre la bonne et la mauvaise rencontre. On le retrouve dans le film classique dans deux situations diégétiques opposées : la rencontre amoureuse et le rendez-vous avec la mort.
Dans le cas précis de Kill Bill, il est évident qu’il s’agit d’un rendez-vous fixé avec la mort dont Bill sera l’une des victimes.
Kill Bill pourrait-il être considéré comme un road-movie contemporain ?
L’histoire d’une quête amenant le personnage principal dans des situations extrêmes, aux quatre coins du monde.
Kill Bill aurait-il eu le succès qu’il a eu si les personnages n’avaient pas été des femmes ?
Kill Bill est un film dédié aux femmes : représentation de la femme-guerrière dans l’imaginaire collectif contemporain.
La problématique sur ce qui touche à la femme comme objet de désir et objet de pulsion scopique ainsi qu’à la différence de position entre les figurants hommes et femmes par rapport au rôle du regard. Les analyses féministes sont pratiquement inexistantes dans la littérature analytique française, ce qui n’est pas le cas dans les pays anglo-saxons. Ce courant appelé, « Gender studies », s’est considérablement développé en Amérique du Nord, dans le cadre institutionnel de l’Université,
La référence la plus connue et la plus répandue, mais non moins importante à ce jour, reste celle de l’article à vocation théorique de Laura Mulvey dans « Visual Pleasure and Narrative Cinema », publié en 1975.
Le point de départ de cet article se situe dans le regard du sujet humain donnant une interprétation sur la différence entre les sexes. Dans la théorie psychanalytique, la femme symbolise la menace de la castration, signifiant d’altérité pour l’homme. Le dispositif cinématographique est fondé sur deux mécanismes subjectifs principaux : d’une part, le voyeurisme, une pulsion qui prend l’autre comme objet. Le fait de regarder une autre personne comme objet a donc toujours une base érotique. D’autre part, l’identification, le cinéma est lié à la forme humaine, à tous les niveaux, échelle, espace, histoires, il nous propose une sorte de miroir. Ces deux mécanismes sont vus par Mulvey comme relativement contradictoires, puisque l’un implique séparation entre sujet et objet du regard, l’autre, identification.
Dans Kill Bill, le réalisateur donne-t-il le choix au spectateur masculin à une possible identification ? Il semblerait que le spectateur soit systématiquement exposé au statut de voyeur, bien qu’il ait encore le choix (limité) de s’identifier aux personnages masculins.
Dans le réel, le plaisir du regard est pourtant divisé en masculin (actif : plaisir de regarder) et féminin (passif : plaisir d’être regardée). Au cinéma, la présence visuelle de la femme dans le film narratif tend à geler le flux de l’action (drama) en provocant la contemplation érotique. Cette contradiction est résolue dans les moments de pur spectacle (gros plans sur les différentes parties du corps) ou de spectacle dans le spectacle (mise en abîme). Dans le film narratif classique, le rôle de l’homme est actif, c’est lui qui fait survenir les événements et c’est lui aussi qui est porteur du regard du spectateur, « neutralisant » le danger de la femme comme spectacle, puisque la femme, symbolique de la castration, menace toujours de faire surgir l’anxiété.
Dans Kill Bill, ce danger est mis en avant par le choix du cinéaste. En effet, le personnage principal est une femme mais pas comme les autres ; c’est une tueuse, une combattante, une guerrière, ce qui vient accentuer cette symbolique de la castration ainsi que la relation faite avec le port du sabre (relation omniprésente), comportant une symbolique phallique.
Les premières analyses se sont portées sur l’analyse du « film de femmes », au sens de « films dans lesquels une femme a le rôle principal », qui se préoccupaient de mettre en évidence la différence de statut entre regard masculin et regard féminin énoncé par Mulvey.
Aujourd’hui, les analyses s’interrogent davantage sur la possibilité d’une « alternative » au cinéma hollywoodien classique. Quel que soit le film analysé, la question semble être bien moins de repérer des différences de représentation entre hommes et femmes sur l’écran, que de chercher à comprendre et à décrire la façon dont un film peut (pourrait, devrait) s’adresser à un sujet spectateur féminin.
Sources :
L’analyse des films - les analyses féministes aux USA - J. Aumont & M. Marie - 1998
L’analyse des films - les identifications secondaires - J. Aumont & M. Marie - 1998
L’analyse des films - psychanalyse et narratologie : narrateur, personnage, spectateur - J. Aumont & M. Marie - 1998