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Réalisation : Quentin Tarantino

Scénario : Quentin Tarantino & Uma Thurman

Année : 2003

Pays : USA

Musique : RZA

Genre : Action

Synopsis : Une jeune mariée enceinte assassinée, une escouade de tueurs à gage sans scrupules, une jeune femme en cavale, le tout assaisonné par un esprit de vengeance insaisissable. Un scénario bien rodé pour un film s’inscrivant directement dans le genre « Action », dont le montage-image dynamique englobe le montage d’une continuité dialoguée surprenante, jouant sur la persistance rétinienne ainsi que sur la capacité de mémorisation du spectateur.

Avertissement : cette chronique dévoile tout de l’intrigue du film.


Introduction

La question se pose : Kill Bill Volume 1 aurait-il eu le succès qu’il a eu si les personnages n’avaient pas été des femmes ?


A la base, le film durait quatre heures et à donc été divisé en deux parties. Développant le thème de la vengeance, ce film possède de nombreuses références cinématographiques, ce qui n’est point étonnant de la part du cinéaste.

Cette présentation constitue une possibilité d’analyse cinématographique partielle et non exhaustive, mais surtout basée sur des choix d’étude d’ordre personnel. J’ai procédé au découpage technique des séquences à respectant le découpage d’origine, exception faite de la dernière séquence, séparée en deux, considérant la première partie comme une conclusion et la toute dernière comme une introduction au Volume 2.


Diégèse, récit et histoire

La narration est dite non-linéaire car les événements sont relatés sans respecter leur chronologie, style déjà utilisé dans Reservoir Dogs (1992) et Pulp Fiction (1994). Cet effet de style dans l’écriture scénaristique n’est pas nouveau. En effet, il a déjà été utilisé dans le cinéma d’avant-garde dont Buñuel et Godard restent les maîtres incontestés du genre déconstruit.

Les effets recherchés par ce style de narration  sont multiples puisqu’ils élaborent un puzzle que le spectateur doit reconstituer, traduisent l’état mental du ou des personnages et ainsi amènent à une pluralité des points de vue et résiste à la notion de fatalité narrative. De plus, elle contribue à la dilution du temps qui passe ainsi qu’à la création d’un suspense.


« Il semble plus intéressant d’établir des connexions entre des images et des événements en se fondant sur des principes non-linéaires, plutôt qu’en suivant des intrigues pré-formatées ». Mike Figgis, cinéaste britannique.


Les thèmes apparents et/ou sous-jacents sont nombreux et semblent être intéressants à développer :

L’art de la fabrication du sabre

Représentation de la femme-guerrière dans l’imaginaire collectif contemporain

Kill Bill, entre (néo)-réalisme gore et surréalisme fantastique.

Ces thématiques feront éventuellement (certainement) l’objet d’une chronique à l’issue de l’analyse Volume 2.

 

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PRE-GENERIQUE : Ouverture du Volume 1

Le pré-générique s’ouvre sur une citation en intertitre :

« La vengeance est un plat qui se mange froid » ~ Vieux proverbe klingon

« Revenge is a dish best served cold » ~ Old klingon proverb

Puis, nous découvrons un gros plan en noir et blanc du visage de la mariée blessée et agonisante, constituant une accroche narrative.


GENERIQUE

Pendant que la bande-son nous fait entendre  la chanson de Nancy Sinatra « Bang Bang (My baby shot me down) », la caméra en plan fixe nous montre la silhouette du personnage endormi sur un lit.


SEQUENCE 1 : CHAPTER ONE, n°2

Dès les premiers plans, le récit s’inscrit dans un style d’action pure, car la séquence débute sur une scène très violente de combat entre deux femmes, ce qui donne un caractère intrigant à la scène créant par la même occasion, un effet de surprise, car nous ne connaissons pas encore les raisons de cette bataille acharnée. D’autant plus que l’intertitre reste mystérieux, ce qui constitue une double-accroche et un intérêt certain pour le spectateur. Dans cette séquence, Black Mamba, le personnage principal, affronte Vernita Green alias « Vipère cuivrée ».

 

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On entend un BIP au moment où nous sommes sensés entendre le nom du personnage principal qui aurait une fonction de MacGuffin mais qui ne semble en rien gêner la compréhension de l’histoire ni même troubler l’esprit du spectateur. Ce qui nous laisse à penser que finalement, le nom du personnage n’est pas plus utile à la compréhension de la narration qu’un autre élément ou alors, ne pas connaître l’identité du personnage constituerait le fait d’effacer toute symbolique qu’un prénom et un nom de famille peuvent susciter dans la pensée de collective, effaçant par la même occasion l’effet cliché et stéréotypé.

L’importance de la voix off reflète (comme toujours) une focalisation mentale sur le personnage principal, apportant des informations capitales sur la narration dont la caractérisation est définit comme telle :

« Je suis sans pitié, sans scrupules, sans compassion et sans indulgence, pas sans intelligence ! ».

Ce qui nous enjoint à comprendre que le personnage est déterminé à se venger quel que soit le prix à payer.

Le monologue voix off en japonais renforce cet esprit de vengeance, faisant référence à l’honneur et l’esprit combatif des guerriers samouraïs :



« Pour un vrai guerrier, quand il s’engage dans un combat, vaincre son ennemi doit être le seul souci. Réprime toute émotion humaine, étouffe toute compassion… Tue quiconque te barrera la route, fût-ce Dieu ou Bouddha lui-même. C’est le fondement même de l’art du combat ».

 


En fin de séquence, le gros plan sur « la liste des cinq à tuer » vient confirmer que cette vengeance ne fait que débuter, ce qui explique le choix de l’intertitre : Vernita Green était la personne N°2 à exterminer, après O-Ren Ishii, personnage que le spectateur découvrira par la suite. La séquence se termine par un fondu au noir.


SEQUENCE 2 : CHAPTER TWO, The Blood-splattered bride (La mariée était en sang)

Bien que Quentin Tarantino n’ai pas fait référence au film de François Truffaut, La mariée était en noir (1968), le titre du chapitre deux nous renvoie tout de même à ce film ainsi que quelques éléments narratifs. Et même s’il y a quelques similitudes, le parallèle s’arrête à la façon dont l’histoire est traitée à travers le scénario et le montage !

Cette séquence est un flash back définit par l’intertitre : « Quatre ans et demi plus tôt, à El Paso »

Le cinéaste donne plusieurs directions de point de vue, ce qui laisse présager des éléments de surprise dans le récit et de multitudes possibilités dans l’agencement narratif.

Bien qu’on ne la découvre que partiellement, la scène du massacre décrite par le shérif  du comté est un rien sarcastique qui nous rappelle étrangement le style ironique des frères Coen :


« C’est du boulot d’affranchi. On sent qu’il y a un souci de propreté dans la carnage. Même si ça évoque une certaine folie meurtrière, […], ils n’en ont pas mis partout si tu vois c’que j’veux dire. Si on avait l’esprit mal tourné, on pourrait presque admirer le style ! »


Ellipse temporelle : La mariée est dans le coma

Tension dramatique : division du cadre en deux parties (référence aux films de Brian De Palma) induisant une visualisation d’ensemble de deux actions simultanées. Tarantino aurait pu utiliser un montage alterné et pose donc la question du point de vue à adopter.

Bande son : musique légère contrepoint musical

Introduction d’un nouveau personnage : Elle Driver, membre des Vipères Assassines (Deadly Viper Assassination Squad en version originale), nom de code : Vipère de Montagne.

 

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On ne voit jamais le visage de Bill et on ne le verra jamais (du moins dans le Volume 1), ce qui a le don de créer le mystère autour de ce personnage charismatique qui semble s’acharner à vouloir supprimer Black Mamba, ainsi que d’attiser la curiosité du côté du spectateur. Tout au long du film, on n’entendra que sa voix et le spectateur n’aura droit qu’à découvrir quelques parties de son corps, mais jamais son visage.

La mariée se réveille et s’enfuit. La vengeance peut commencer et le personnage principal prendra tout son temps pour préparer cette riposte à la mesure du préjudice subit (flash back). Gros plan et ralenti sur une arme à feu en action ; ce détail détente/tir/balle dans le barillet ne peut qu’engendrer une signification plus ou moins d’ordre sexuel, mais qui reste sous-jacent et ne pourra éventuellement compris qu’en présence d’autres éléments narratifs. L’arme, objet de tous les désirs et de toutes les convoitises, objet de mort et de haine, replacée dans le contexte du film, symbole phallique par excellence, démontre le caractère possessif de Bill. Ce qui, pour le coup, vient renforcer le caractère du personnage principal qui possède un esprit combatif et déterminé, sans pitié pour ceux qui lui ont fait du mal.

La voix off introduit un flash back ; nous apprenons l’existence du Détachement International des Vipères Assassines et présente par la même occasion, le personnage d’O-Ren Ishii, nom de code : Mocassin d’eau. Fondu au noir, fin de la séquence.

 

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L’intérêt de cette séquence, c’est qu’elle vient renforcer le leitmotiv du personnage principal, entraînant un effet d’identification et marquant l’assise de la narration.


SEQUENCE 3 : CHAPTER THREE, The origins of O-Ren Ishii

La voix off introduit le récit qui se transforme à son tour en anime japonais pour laisser place à des images d’une violence extrême, soulignée par une bande-son rappelant les westerns spaghettis, constituant un léger contrepoint musical. La référence suprême qui nous vient à l’esprit, c’est bien entendu, le film d’Oliver Stone, Natural Born Killers (Tueurs-nés, 1994).

Sur le plan narratif, le récit se focalise sur le personnage d’O-Ren Ishii, constituant un flash-back dans la diégèse.

Puis retour au présent, ellipse temporelle, treize heures se sont écoulées durant lesquelles, le personnage principal tente de retrouver l’usage de ses membres inférieurs. Ellipse et flash back sont ici utilisés d’une façon judicieuse et intelligente, sur le plan narratif. Ici commence l’histoire de la vengeance de Black Mamba qui s’envole pour Okinawa.


SEQUENCE 4 : CHAPTER FOUR, The man from Okinawa (L’homme d’Okinawa)

On apprend que le personnage principal, Black Mamba, sait parler le japonais et souhaite se procurer un sabre de samouraï, car « elle a de la vermine à exterminer ». Elle va donc à la rencontre d’un maître forgeron, Hattori Hanzô, qui a formé cette même vermine à son école.

Dans cette séquence, une des scènes (celle où Black Mamba découvre la collection de sabres d’Hattori Hanzô) prend un aspect cérémoniel, presque sacré. En effet, Hattori Hanzô (personnage qui a réellement existé), malgré sa petite apparition, nous donne le temps d’apprécier le fruit de son travail qu’il considère comme une valeur esthétique et affective (pour qui sait apprécier toute la beauté de cette arme !).

L’ellipse temporelle correspondant à un flash forward : peu à peu les éléments de l’histoire se mettent en place et Hattori Hanzô se résoudra à fabriquer un ultime sabre, objet qui servira la vengeance de « la Guerrière aux cheveux d’or ».

Le katana est l’arme la plus tranchante qui existe. Symbole de pouvoir, d’esprit martial et d’honneur, il représente l’âme du samouraï japonais.


SEQUENCE 5 : CHAPTER FIVE, Showdown at House of Blue Leaves (Bataille rangée à la Villa Bleue)

La voix off constitue un  retour narratif sur les éléments constituants l’univers d’O-Ren Ishii, reine de la pègre à Tokyo.

Cette séquence est le résultat d’une lente mise en place du duel final apportant une esthétique toute particulière et un intérêt sur les décors ainsi que les objets qui le constituent qui nous laisse penser que rien n’a été filmé au hasard : importance du décor, espace diégétique, cadrage, dancefloor, éclairage.

Une luma suit le personnage principal en plongée totale, le laissant librement évoluer au sein d’un espace contigu ; ici, les éléments du décor nous laissent découvrir un espace sonore constituant un rapport espace/son jouant avec le hors cadre.

Le premier combat débutera quand Black Mamba coupe le bras de Sofie Fatale (avocate et bras droit d’O-Ren), acte qui a le don de faire fuir toute la clientèle des lieux, laissant place à un espace vide, dont le dancefloor reste l’élément central, mis en avant par l’effet lumineux du sol, présupposant que l’heure du carnage est arrivée et que le spectacle (chorégraphié) aura bien lieu… sur la piste de danse.

L’effet esthétisant et dramatique se fixe sur le passage de la couleur au noir et blanc ainsi que sur l’éclairage ; l’image surexposée indique un effet de stylistique, la lumière se focalise sur le personnage principal s’en référant (certainement) à la métaphore de l’ange de la mort venant compléter sa collection de victimes, car la séquence reste très violente et bien entendu, d’un gore très réaliste, dont le rythme est parfaitement agencé par un montage rapide et dynamique. Les plans restent courts mais très choquants.

 

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Les combats qui suivront feront référence à des caractéristiques surréalistes : les scènes ne s’inscrivent plus dans un contexte réaliste, certainement pour atténuer l’extrême violence de la séquence, en la rendant irréelle et fantastique, le tout chorégraphié au millimètre près.

Le duel entre O-Ren Ishii et Black Mamba prend des allures d’un rituel, faisant directement référence aux mythiques duels des films spaghettis. O-Ren finira trépanée par la puissance du dernier sabre forgé par Hattori Hanzo. Le décor semble magique et fantasmogorique (souligné par le dialogue), rappelant les jardins zen japonais.


« Si tu ne sais pas te battre en samouraï, au moins, tu mourras en samouraï ».


Ainsi, la boucle est bouclée car cette séquence serait sur le plan narratif, la première séquence et donc considérée comme un flash back, puisque que chronologiquement parlant, elle a déjà eu lieu.


SEQUENCE 6 : Clôture du Volume 1

Voix off d’Hattori Hanzô :


« La vengeance n’est jamais une ligne droite. C’est la forêt. On peut donc finalement s’y égarer, s’y perdre, oublier par où on est entré ».


Sur les dernières paroles prononcées par Hattori Hanzô, l’image laisse place au gros plan de la liste des cinq à tuer, ponctuée par des plans dont on se doute qu’ils appartiennent au Volume 2, envisageant un effet d’annonce et élabore une accroche appelée dans le langage cinématographique « cliffhanger » (littéralement suspense au bord du précipice). En effet, les dernières paroles de Bill laissent présager une suite : l’enfant de la mariée massacrée dans la petite chapelle d’El paso est belle et bien vivante !

Pour la petite histoire, Hattori Hanzô (1541-1596) était un célèbre ninja japonais, qui mena son premier combat à l’âge de seize ans. Sa férocité au combat lui a valu le pseudonyme d’Oni Hanzô (Hanzô, le démon).


Conclusion

Le film s’inscrit dans la plus pure tradition des films de samouraïs avec des incursions d’images gores et réalistes, marque de fabrique du cinéaste, avec comme leitmotiv, le désir d’une vengeance surréaliste.

A propos du néo-réalisme, style cher au réalisateur, constitue une nouvelle forme esthétique transcrivant une réalité supposée dispersive et elliptique. Le réel n’est plus représenté ou reproduit, mais bien visé. Le néo-réalisme vise un réel à déchiffrer toujours ambigu, qui ne se limite pas au contenu de ses premières manifestations. L’ensemble des images-mouvements, perceptions, actions et affections subit un bouleversement. Ce qui caractérise le néo-réalisme, c’est une montée de situations purement optiques et sonores qui s’opposent aux situations sensori-motrices fortes du réalisme traditionnel.

Cette situation sensori-motrice définit un espace qui suppose une action qui la dévoile ou suscite une réaction qui s’y adapte ou la modifie. Une situation purement optique ou sonore s’établit dans ce que l’on appelle « l’espace quelconque », qui paradoxalement, est un espace qui n’apparaît pas encore comme un milieu réel.

Dans le néo-réalisme, les liaisons sensori-motrices ne prennent de la valeur qu’en suscitant les troubles qui les affectent, les relâchent, les déséquilibrent ou les distraient entrainant une crise de l’image-action. Tarantino maîtrise à souhait ce style et, est un cinéaste qui a toujours su retranscrire la réalité et raconter des histoires, dans un souci de réalisme et d’esthétique qui lui confère un style propre à sa façon de filmer, à sa façon de voir les choses.

Les influences cinématographiques sont nombreuses, renforcées par la bande-sonore aux multiples références musicales ; et assumées par le réalisateur, suggérant clins d’œil, hommages et citations qui viennent confirmer l’étendue de ses connaissances filmiques. Encore une fois, Tarantino nous prouve qu’il aime le cinéma, qu’il aime faire des films et qu’il agit tel « un conservateur » du cinéma international, remettant au goût du jour, certains films et acteurs tombés dans l’oubli.

 

A suivre...


Sources :

L’image-temps - Gilles Deleuze - 1985

L’image-mouvement - Gilles Deleuze - 1983




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