L'univers de Wes Craven # 5
31 août 2010ŒIL POUR ŒIL, CRI POUR CRI
Analyse d’une séquence (celle dans le bureau du proviseur du lycée)
Cette séquence qui ne dure pas plus de vingt secondes, et dont le déroulement est très rapide (les plans 6 & 9 n’excèdent pas dix images, c’est-à-dire, 3 ou 4 dixièmes de secondes), est extrêmement simple dans son découpage.
Pour filmer un meurtre, Wes Craven a recours à la plus vieille méthode qui soit, celle du champ-contrechamp.
Un champ est un élément de prises de vues. C’est la portion d’espace retenue à la prise de vues et qui est délimitée par le cadre.
Contraire : hors champ - Opposé : contrechamp
Un champ-contrechamp est un élément d’écriture cinématographique. C’est une figure de style qui fait alterner un champ donné et un champ spatialement opposé.
Le champ-contrechamp est très utilisé quand il s’agit de filmer une conversation, il représente un ping-pong visuel souvent considéré comme une solution paresseuse de mise en scène. Il obéit à des règles, notamment en ce qui concerne la mise en place de la caméra, notamment la règle des 180°, qui délimite la ligne imaginaire à ne pas franchir.
Preuve que ce film s’adresse à notre imaginaire cinéphile, de l’action nous ne percevons, en plans rapprochés et jamais reliées entre elles, que les unités : le masque du meurtrier, visage de la victime, couteau qui rentre dans le ventre ; ces trois plans se succédant au rythme de la musique et des cris.
Cette séquence en outre, n’a pas de réelle utilité dramatique, hormis celle de mettre fin aux soupçons qui pèsent sur le proviseur.
Elle n’est que l’ultime répétition avant l’apothéose finale.
Léger flash-back : alerté par les bruits, le proviseur Himbry inspecte placards et couloirs, plusieurs fois, face à son image dans le miroir, il sursaute, croyant se trouver nez à nez avec le tueur.
Ici, sans le savoir, il y a déjà un effet d’annonce. Le personnage regarde son reflet dans le miroir.
Dans le langage cinématographique, filmer un personnage se regardant dans un miroir, annonce bien souvent une mort certaine.
Ainsi dans Psychose d’Alfred Hitchcock (et par la force des choses, dans le Psycho de Gus van Sant), le personnage féminin, Marion Crane, se regarde dans un miroir, quelques temps plus tard, on la retrouvera assassinée dans une salle de bain d’un motel.
De même que dans La Haine de Mathieu Kassovitz, Vinz, un des principaux personnages de l’histoire, se regarde dans un miroir en se parlant à lui-même. Vinz subira le même sort vers la fin du film…
Mais revenons en à Scream avec la séquence dans le bureau du proviseur...
PLAN 1 : Il referme la porte de son bureau.
PLANS 2 et 3 : Ces plans donnent une idée très précise de la place du spectateur. Cette toute petite avance que nous avons sur le personnage est nécessaire pour que nous jouissions de notre prestige (nous sommes les témoins les mieux placés et les mieux protégés de l’action), mais doit être assez réduite pour que nous partagions l’effroi de la victime (nous vivons l’action).
Sans cette alternance de présence directe au film (où le spectateur s’oublie, et de décollement (où il reprend conscience), il n’y a pas de film d’horreur, pas même de cinéma.
PLANS 2 et 3 : Le tueur […] arrive dans le dos de la victime, mais ce n’est pas du hors champ qu’il vient.
Dans le plan 1, il était dissimulé derrière la porte vitrée, c'est-à-dire à un endroit caché du champ. Voilà une loi qui vaut pour tout Scream : le territoire du tueur, dans l’instant qui précède son apparition, n’est pas le hors champ réel, mais un hors champ artificiel fabriqué par un écran, caché à l’intérieur du champ, tel qu’il terrifie de si magistrale manière dans la scène d’ouverture, est davantage sonore que visuel ; l’image est en quelque sorte appelée par le son.
Et encore ne s’agit-il pas de hors champ au sens strict puisque le tueur affole d’abord ses victimes par téléphone.
Le hors champ a une fonction très importante dans le film d’horreur et d’épouvante, car c’est grâce à lui que l’effet de surprise aura lieu.
Il a de ça de magique, que l’on n’est pas obligé de voir tout ce qu’il se passe, il fait donc appel à l’imagination du spectateur.
C’est par exemple, ne pas montrer la totalité d’un meurtre perpétré. Même si le spectateur ne voit pas tout, il en conclura, grâce aux points de montage ainsi qu'aux éléments narratifs, que le meurtre a bien eu lieu, même s’il ne voit qu’une flaque de sang pour conséquence. Dans ce cas là, on fait appel à l’esprit de déduction du spectateur que l'on nomme dans le langage cinématographique, on appelle cela : la partie pour le tout.
Un plan est une série de photogrammes enregistrés au cours d’une même prise. Il se caractérise à la fois par sa durée et par son rapport à l’espace.
Exemple de trois plans successifs
Comparons les plans 7 et 8, puis les plans 11 et 12.
Même allongement vertical de la bouche, même courbe dans le dessin des yeux, on ne peut qu’être frappé, grâce à l’arrêt sur image, par l’identité sans l’expression du tueur et de la victime.
Ils se renvoient le même air de stupéfaction et d’horreur, comme un échange interminable de questions sans réponse.
Les sursauts du proviseur face à sa propre image préfiguraient cette ressemblance maintenant renforcée par le champ-contrechamp et la similitude des cadrages ( plans 7 et 8 ).
De nouveau manque l’autre : le masque humilie et raille la victime en ne lui laissant pas d’autre choix que celui du mimétisme, de la reproduction et par conséquent le frustre de son unique jouissance de victime, le cri.
Le masque (plans 3,7,8,12 & 14), en fait, est double, tout à la fois masque de tueur (le dessin du visage qui évoque une tête de mort, la cape noire, le couteau) et de la victime.
A l’observer, on voit bien qu’inspirer la peur et avoir peur sont une seule et même chose, que l’on n’a rien inventé de plus terrifiant que l’image de la peur, que rien n’est plus fort en somme que la peur de la peur.
Et le masque de fonctionner lui-même comme une mise en abyme : il n’incarne rien (comme le dit un adolescent cinéphile : "motives are incidental" (le mobile est accessoire), si ce n’est la peur elle-même, qui peut s’exprimer sans objet véritable ; ce qui n’est que pure logique à l’intérieur d’un film où elle est un phénomène auto-entretenu, réenclenché à partir d’émotion procurées par d’autres films.
Avec son expression grotesquement figée comme sous le choc passé d’un effrayant spectacle, le masque dit l’universalité de la condition de spectateur, et sa bêtise...
Au théâtre, le masque a pour fonction de créer un autre visage afin de révéler une figure envahie de la psyché, les passions, les humeurs ou la profondeur de l'âme.
PLAN 16 : Hommage à Psychose naturellement, conclut de la plus directe des façons : le tueur est dans l’œil de la victime, littéralement en lui.
Pour terminer, je dirais que dans Scream, Craven apporte une auto-critique sur son œuvre… en s’auto-citant.
Scream 2 (Wes Craven, USA, 1998)
Synopsis : Phil Stevens et sa copine Maureen Evans sortent ensemble voir en avant-première le film "Stab", inspirée de la tuerie de la ville de Woodsboro l'année précédente. Le public porte d'ailleurs en grande partie le costume du tueur. Mais parmi les fans déchaînés, se cache un nouvel assassin, qui poignarde devant toute l'audience la pauvre Maureen...
Sidney Prescott, une des réelles survivantes du premier massacre, s'est inscrit à la fac de Windsor où elle apprend l'art dramatique, avec son ami Randy. Mais avec ce nouveau fait divers, la jeune femme prend peur et ne peut à nouveau plus faire confiance à personne. Surtout qu'un meurtre intervient dans l'enceinte même du campus : la jeune Casey Cooper a été défenestrée après avoir subi deux coups de couteau.
Pour Sidney, ça ne fait aucun doute : le cauchemar recommence. Mais qui peut donc s'acharner à vouloir sa mort ? Et pourquoi ?
Scream 3 (Wes Craven, USA, 2000)
Synopsis : Cotton Weary, l'un des survivants de la tuerie de la faculté de Windsor, rentre tranquillement chez lui après avoir terminé le tournage de l'émission quotidienne qu'il anime. Le téléphone sonne. Au bout du fil, un fan... qui s'avère être un dangereux tueur, prêt à tout pour retrouver la trace de Sydney Prescott.
La jeune femme reste terrée dans une maison surprotégée, afin d'effacer les souvenirs traumatisants dont elle a été précédemment l'héroïne malheureuse lors des massacres perpétrés à Woodsboroo et à Windsor. Le sujet semble quant à lui à la mode, puisque John Milton a décidé de produire un troisième film, "Stab 3", relatant les agissements du mystérieux tueur masqué.
Mais la réalité rattrape à nouveau la fiction lorsque l'une des actrices principales est sauvagement assassinée sur le plateau. L'inspecteur Kincaid décide de faire appel aux survivants des premiers évènements, l'ex policier Dewey Riley, devenu consultant sur "Stab 3", la journaliste Gale Weathers et Sydney.
Mais bientôt la vague de meurtres continue. Qui s'acharne à vouloir détruire Sydney ? La clé du mystère ne remonte-t-elle pas aux origines de toute cette histoire ?
Sources :
Fantastique et Science-Fiction au cinéma d’Alain Pelosato - 1999
Analyse filmique par Emmanuel Burdeau