Le cinéma japonais # 1 : Du muet au parlant & Histoire des genres
13 juin 2011D’un bout à l’autre de la planète, la naissance du cinéma nous a permis de découvrir de nouvelles contrées ainsi que des cultures différentes, une lucarne de l’infini qui nous permet de garder un œil sur le monde qui nous entoure. En tout point du globe, les inventions traversent les époques pour se développer au sein des cultures et améliorer les techniques déjà existantes. Grâce au cinématographe, lorsque que les frères Lumières filmaient la Sortie d’usine ou l’arrivée d’un train en gare de La Ciotat, à l’autre bout de la terre, plus précisément au pays du soleil levant, les premiers films tournés étaient des scènes de rue et de geishas. L’industrie cinématographique n’est pas que l’apanage des Américains et des Européens. Les Japonais nous prouvent également qu’il n’existe pas un cinéma mais des cinémas.
Du muet au parlant
Tout comme en Occident, les premières stars sont issues du théâtre, plus particulièrement du Kabuki. L’acteur le plus célèbre est Matsunosuke Onoe, qui joua dans de nombreux films entre 1909 et 1926, sous la direction du réalisateur Shôzô Makino qui popularisa le Jidaigeki, littéralement théâtre d’époque dont la référence reste Rashômon d’Akira Kurosawa.
Les films étant muets, le cinéma emploie des benshi (l’équivalent des bonimenteurs), qui commentaient et interprétaient les films, parfois accompagnés de musique jouée par un orchestre. La grande popularité de ces films s’explique en partie par le retard de l’industrie cinématographique de passer au parlant.
Le benshi commentait les films, lisait les intertitres (pour un public largement analphabète) et énonçait les dialogues des acteurs durant la projection de films muets. Les textes étaient inventés par les benshi pour l’occasion et se substituaient à l’autonomie narrative du film. Il se pouvait même qu’il raconte une histoire différente à partir d’un même film.
Hélas, il reste très peu de films de cette époque car les bobines ont été détruites lors du séisme de 1923 et des bombardements de la Seconde Guerre mondiale.
Le cinéma durant la guerre
Durant la guerre sino-japonaise, la production cinématographique est sous le contrôle de l’Etat (loi du 01/10/1939). Pour tourner un film, il fallait avoir une autorisation de l’Etat qui exerçait une censure avant même que les films ne soient produits.
En 1939, la censure applique les règles morales, sociales et de bienséance et assure un contrôle total sur la production cinématographique. Ainsi, Le Goût du riz au thé vert (1939) de Yasijurô Ozu est censuré car il décrit l’oisiveté des femmes bourgeoises et cela n’est pas autorisé.
Terres et soldats de Tomotaka Tasaka décrit les souffrances de la guerre tout en édifiant le militarisme japonais. D’autres films s’appliquent à retranscrire le sacrifice de soi mais les thèmes tournent toujours autour du militarisme.
En 1941, le « Bureau d’information publique » ne produit plus que deux Geki-eiga (films de fiction) par mois et les films constituent un outil de propagande non négligeable quel que soit le genre.
Le film, Quarante-sept rônins (film en deux parties 1941-1942), reconstitue d’une façon très esthétique, l’histoire des 47 rônins, qui n’est pas une pure fiction et fait partie de l’histoire japonaise classique et est enseignée en tant que telle. Elle correspond a un fait historique qui s’est déroulé en 1701 dans la région d’Ako, où un groupe de samouraïs s’allièrent afin de venger la mort de leur maître. Cette histoire fait partie de la culture japonaise et véhicule des valeurs de loyauté, de sacrifice, de dévouement et d’honneur dont tout Japonais doit s’inspirer dans sa vie quotidienne. Il n’est donc pas étonnant qu’un film comme les 47 rônins soit considéré comme un film patriotique est soit utilisé comme un élément de propagande.
Historique des genres
Le Jidaigeki (théâtre d’époque, film historique)
C’est un genre de films historique dont l’intrigue se déroule dans le japon féodal, la plupart du temps à l’époque Edo. C’est un genre très ancien qui connu son expansion avant la guerre et son apogée pendant les années 1950. Grâce au développement des techniques cinématographiques telles que le cinémascope et l’usage de la pellicule couleur, le Jidaigeki était un style capable de retranscrire l’espace scénique du théâtre kabuki, ce qui contribua à le rendre très populaire. Le Chambara-eiga est considéré comme un sous-genre du Jidaigeki et s’y substitua dans les années 1960/70, genre qui met généralement en scène des combats de sabre. A la même époque, le Jidaigeki est un genre qui décline au cinéma et investit le domaine audiovisuel à travers la production de téléfilms.
Le Gendaigeki (théâtre contemporain)
Par opposition au Jidaigeki, le Gendaigeki désigne les films dont l’intrigue se déroule dans le monde contemporain. Ce genre représente la majeure partie de la production cinématographique nippone mais n’a été découvert en Occident que très tardivement. Les réalisateurs les représentatifs du style sont Yasuzo Masumura, Yasujiro Ozu et Kon Ichitawa.
Le Giri-Ninjo et le Yakuza-eiga (film de chevalerie et film de yakuza)
Le conflit entre les obligations morales et sociales du devoir et les sentiments constituaient souvent les thèmes principaux de l’intrigue dans le théâtre traditionnel, puis dans le cinéma japonais à travers le Giri-Ninjo puis les films de Yakuza classiques.
Les Yakuza-eiga sont des films qui racontent l’histoire de la mafia japonaise. Ce genre de films furent réalisés en grand nombre durant les années 1960/70. Contrairement aux films de gangsters américains et aux films policiers européens, l’intrigue des Yakuza-eiga ne repose pas sur le crime ou la lutte contre les forces de l’ordre, mais s’applique à retranscrire les conflits internes au sein de la mafia japonaise.
A l’origine des Yakuza-eiga, il y avait le Ninkyo-eiga, film de chevalerie dans lequel l’intrigue se situe entre la période féodale et la Seconde Guerre mondiale, film produit par la maison de production Toei. Ces films traités de l’influence de l’Occident dont la figure représentée était celle d’un honorable hors-la-loi dont la personnalité se retrouvait tiraillée entre le devoir (giri) et le sentiment (ninjo).
Le Yakuza-eiga constitue un style moralisateur mettant en avant les valeurs de loyauté, de courage, de discipline, le code de l’honneur et le dévouement à l’obayun (le parrain). Dans ces films la représentation du yakuza est très idéalisée et apparaît comme une retranscription de l’image contemporaine du samouraï.
Dans les années 1970, un nouveau genre de Yakuza-eiga fait son apparition, le Jitsuroku-eiga (littéralement, vrai document), donnant une image du yakuza plus réaliste et plus immorale du personnage dans un style parfois proche du documentaire. Le Yakuza-eiga dériva vers une représentation exacerbée de la violence à des fins uniquement commerciales. Le Jitsuroku-eiga est popularisé grâce au film de Kinji Fukasaku, Combat sans code d’honneur (1973). Des réalisateurs tels que Takashi Miike et Takeshi Kitano sont les plus représentatifs du genre.
La Nouvelle-Vague japonaise : Nûveru-Vâgu (prononcé nuberu-bagu)
La Nouvelle-Vague japonaise (également appelée Shôchiku nûberu bâgu) est un mouvement cinématographique qui débute à la fin des années 1950 et prend fin au milieu des années 1960. La Nouvelle Vague nippone regroupe des réalisateurs qui ont en commun une lecture analytique, parfois critique, des conventions sociales et une certaine prise de distance à l’égard des mythologies cinématographiques établies, en ignorant ou en nuançant la superbe des héros telle que signifiée dans le Chambara-eiga ou le Yakuza-eiga et s’efforcent généralement des problématiques exogènes et sociales ou intimistes, familiales ou tensions internes.
LES SEPT SAMOURAÏS
Titre original : Shichinin no samourai
Réalisation : Akira Kurosawa
Scénario : Shinobu Hashimoto, Hideo Oguni et Akira Kurosawa
Genre : Chambara-eiga (films de sabre)
Pays : Japon
Année : 1954
Synopsis : En 1652, un village japonais est déchiré par la guerre civile. Les paysans, harcelés par des bandits qui pillent, violent et tuent, décident d’engager des samouraïs afin d’assurer leur protection. Kambei, aidé par son disciple Katsushiro, recrute quatre soldats errants ainsi que Kikuchiyo, guerrier fantasque, qui saura établir un climat de confiance avec les paysans.
Le cinéaste Akira Kurosawa contribua à faire connaître le cinéma japonais en Occident après la Seconde Guerre mondiale. Les Sept samouraïs est un Chambara-eiga, littéralement un film de sabres, qui relate une histoire à travers une époque qui a marqué l’histoire du Japon, la période Edo dit de Tokugawa (1603-1868). Ce film est souvent considéré comme faisant partie du genre western, par correspondance avec la classification occidentale des films. Par ailleurs, un remake américain fut produit en 1960, prémices du western spaghetti, Les Sept Mercenaires (The Magnificent Seven) réalisé par John Sturges. La narration divise la figure du héros solitaire en sept personnages possédant chacun l’une de ses composantes.
Contexte historique du film : la période Edo
Edo est l’ancien nom de la ville de Tôkyô. En 1600, la bataille de Sekigahara marque le début de cette période ravagée par les guerres civiles. Le shogunat contrôle le pays (politique, administratif, économique) et l’empereur est cantonné à une simple fonction spirituelle. Les Tokugawa réorganisent l’Etat afin d’assurer la paix ainsi qu’un total contrôle dans le pays, ils le divisent en fiefs gouvernés par des daimyos (seigneurs). A cette période, un protectionniste nippon, appelé sakoku (littéralement, fermeture du pays), se développe marquant une politique isolationniste instaurée par le shogunat (expulsion des chrétiens, restriction des ouvertures portuaires aux étrangers, interdiction à tous les Japonais de sortir du pays sous peine de mort) ; un blocus commercial est commandité envers les pays occidentaux surtout envers les pays européens. En 1858, une xénophobie apparaît au sein de la noblesse qui reproche au shogun de céder aux pressions étrangères (Russie, Grande-Bretagne, Hollande, France), ce qui provoqua la chute du bafuku (gouvernement judiciaire japonais). C’est également l’époque qui voit la naissance du théâtre Kabuki.
Le cinéma d’après-guerre au Japon
En 1951, le Rashômon d’Akira Kurowasa (Lion d’Or à Venise et Oscar du meilleur film étranger aux USA) contribue à faire connaître le cinéma japonais en Occident.
C’est également la période des films de genre, notamment les Kaijû-eiga (films de monstres) tels que Godzilla, réalisé en 1954 par Ishirô Honda.
La Nikkatsu, société de production, distribue également des films américains dès 941, puis se spécialise dans la production de films (Nikkatsu Action) dont les thèmes récurrents mis en avant sont la violence et la sexualité débridée d’un héros aux allures rebelles, notamment dans le Pinku-eiga (films érotiques) ; ainsi que dans des séries B peu coûteuses destinées à être diffusées en première partie de soirée.
Le Chambara-eiga
Appelé également Kengeki (théâtre de sabre), le Chambara-eiga (eiga signifie cinéma en Japonais) désigne des films dont le thème central tourne autour des combats de sabre et qui se déroulent avant la période d’industrialisation. Le genre pourrait être comparé aux films de capes et d’épées ou aux westerns (1960/70) occidentaux. L’intrigue du Chambara-eiga se déroule généralement dans le Japon féodal et le genre se situe entre un cinéma de divertissement et un cinéma d’auteur.
Ce genre cinématographique connut son apogée durant les années 1950, puis s’opéra un changement au sein du genre qui délaissa les histoires à la morale chevaleresque des films de samouraïs au profit des sagas, souvent produites en plusieurs épisodes, dont les narrations décrivent des protagonistes troublés et sulfureux (un rônin maudit dans la série Lone Wolf and Cub, un policier sado-masochiste de l’époque Edo dans Hanzo the Razor, une jeune femme vengeresse dans Lady Snowblood, un masseur aveugle dans Zatoichi).
Le Chambara-eiga décline dans le courant des années 1980 et de nos jours, il n’est plus qu’exploité de façon anecdotique.
Zatoichi et Les sept samouraïs sont les films les plus représentatifs du genre ainsi que des réalisateurs tels qu’Akira Kurosawa et Kenji Misumi.
LE SABRE DU MAL
Titre original : Dai-bosatsu tôge
Titre anglais : Sword of Doom
Réalisation : Kihachi Okatomo
Scénario : Shinobu Hashimoto
Genre : Giri-ninjo/Chambara-eiga
Pays : Japon
Année : 1966
Synopsis : Printemps, 1860, la caste des samouraïs sait qu’elle va bientôt disparaître. Pendant que certains se concentrent l’enseignement de la Voie du sabre, d’autres sont nostalgiques d’un temps révolu, d’autres encore choisissent la violence et le nihilisme absolu… Ryunosuke Tsukue est l’un d’entres eux : sabreur invincible et doué dont la botte secrète est la garde « Silence et Regard calme », s’impose comme étant un violent tyran nihiliste, sans attache et sans scrupule.
Le réalisateur
La narration de ce film décrit une période chaotique de l’histoire du Japon. Le réalisateur dépeint un personnage sans foi ni loi, un rônin qui a oublié les valeurs fondamentales du bushi. Le mot honneur est proscrit au sein de l’histoire. A travers le personnage de Ryunosuke, le cinéaste détruit la prestigieuse figure du samouraï ainsi que son code de l’honneur afin d’en démystifier l’aspect héroïque et d’en faire ressortir la facette psychologique retranscrite par la folie. Néanmoins, on peut avoir le plaisir d’observer la composition du cadre qui témoigne d’une certaine esthétique géométrique des plans de la place faite au katana, âme du guerrier japonais, ainsi que des scènes de combats.
Par ailleurs, on trouve un bon résumé de la psychologie du personnage à travers une phrase du dialogue : « Imbécile, le sabre est l’âme. L’étude du sabre, c’est l’étude de l’âme. Ame perverse, sabre pervers », c’est alors que Ryunosuke est comme possédé, il entend des voix et voit des apparitions (à travers un jeu d’ombres chinoises). Ainsi, le film se trouve divisé en deux parties bien distinctes : la première définit le caractère du personnage principal, retranscrit par la composition du cadre et de sa linéarité ainsi que par la présence incontournable du sabre qui contribue à ce cadre, mis en opposition avec l’âme du rônin qui ne respecte pas le code de l’honneur du bushi. La deuxième partie retranscrit la folie et la fureur d’un personnage romantique mais qui perd la raison, dont le sabre est témoin, car il tue pour la mort et non pour la vie, pour qui connait les fondements du bushido, certaines séquences de ce film sont assez compréhensibles d’un point de vue idéaliste.
Possible problématique : A travers deux œuvres issues du cinéma japonais, comment la représentation du samouraï est-elle retranscrite dans l’imaginaire collectif ?
Possible piste d'analyse cinématographique :
Le film Les Sept samouraïs apparaît comme étant une œuvre patriotique véhiculant les valeurs traditionnelles « délaissées », dont l’intrigue tourne autour de sept personnages, sept guerriers, qui s’unissent pour défendre les biens de la communauté. Le village représente le peuple qui se regroupe autour de la figure du sage, du patriarche. Kurosawa nous livre différentes représentations de l’image du samouraï, bien éloignées de celle existante dans l’imaginaire collectif occidental.
Par opposition, Le Sabre du mal est un film qui retranscrit l’image du guerrier solitaire et sans maître (rônin), romantique mais sans scrupule, en prise avec ses propres maux et à ses préoccupations existentielles, un peu plus proche de la prestance du bushi d’antan. Le film se présente comme une ode au kendo, dont certaines séquences en retranscrivent l’essence même, faisant directement référence à l’art du sabre, ce qui ne manquera pas de combler de bonheur tout amateur de kendo qui se respecte.
Tout comme le Western classique qui situe ses histoires dans l’Ouest américain à l’époque la Frontière, le Chambara-eiga retranscrit une époque de l’histoire du Japon bien précise (époque Edo) dans un lieu défini et circonscrit à des lieux certainement mythiques. Mais le Western n’est pas à l’origine d’un genre historique mais il l’est devenu par la force des choses.