La J-Horror : un cinéma spécifique japonais

J-Horror est un terme désignant la littérature et le cinéma d’horreur au Japon. La J-Horror se distingue par ses thématiques et son traitement unique par rapport à l’Occident, plus axée sur l’horreur psychologique et la création de tension (fantôme, poltergeist, possession, chamanisme).

Les origines de la J-Horror remontent aux histoires des périodes Edo (1600-1868) et Meiji (1868-1912), mais le genre en tant que tel n’apparaît que durant les années 1990, notamment avec la publication en 1993 du roman de Masako Bandô, Le Pays de la mort (Shikoku), premier volume de la collection Horror des Editions Kadokawa.

La J-Horror a fortement influencé Hollywood avec des films tels que Ring, Dark Water, The Grudge, remake de Ju-on, Pulse, remake de Kaïro ou encore One Missed Call, remake de La Mort en ligne.


Mythologie et folklore sino-japonais

Chaque peuple, chaque culture, chaque langue invente ses versions de la réalité et en nourrit l’imaginaire. Ainsi, des mythologies s’imposent et les idéologies qu’elles recouvrent mettent en avant des figures, des images et des idées, et présentent leurs conceptions de la réalité comme le reflet de la nature des choses.

Le merveilleux et le surnaturel constituent le seul élément commun présent dans toutes les cultures humaines, dans l’espace et dans le temps. Pourtant, l’Histoire est loin d’être un espace géographique et temporel homogène et regroupe bien souvent des formes de merveilleux très différentes les unes des autres. Les mondes imaginaires de l’Extrême-Orient et de l’Occident entretiennent des rapports différents dans leur approche du fantastique et de la science-fiction.

Les textes japonais issus du merveilleux ont été recueillis plus tôt que les textes occidentaux. Ainsi, le Kojiki, littéralement, le livre des choses anciennes, textes archaïques en trois volumes et daté de 712 avant J.C. constitue, avec Le Dit de Hôgen et d’autres contes tels que Konjaku-Monogatari-Shû (31 livres, 11ème et 12ème siècle après JC), une source inépuisable de récits merveilleux et légendaires qui viennent alimenter l’imaginaire populaire ainsi que la littérature et le cinéma fantastiques contemporains.

Au Japon, les contes issus de ces textes sont ainsi appelés « monogatari » et s’intègrent au sein d’une Histoire rappelant une époque, une dynastie ou un personnage, ce qui permet d’apporter aux légendes et au folklore un certain degré de vraisemblance parfois même de réalisme.

La conception insulaire de l’Extrême-Orient apparaît comme étant un signe incompréhensif de la part de l’Occident. Par exemple, dans certains textes taoïstes, les Asiatiques situent certaines îles sur cinq monts sacrés. Il existe évidemment de vraies îles, situées au Nord de la mer de Chine dont l’île Hsuang qui constitue un pays où vivent des saints et des fées, où les plantes sont faites d’or et de jade et où on y fabrique un encens spécial qui permet de ressusciter les morts. Dans l’imaginaire chinois, on trouve également de nombreux dragons qui vivent dans les mers, les fleuves et les lacs et se mêlent aux humains. Les dragons asiatiques n’ont rien à voir avec leurs homologues médiévaux occidentaux. Les premiers sont soumis aux caprices de leur hiérarchie et ont les mêmes soucis que les hommes, les seconds sont bien souvent gardiens d’un précieux trésor, kidnappent les jeunes filles et ravages les villages.

Le sambito, l’homme-requin, est une créature tout droit sortie de l’imaginaire japonais. Cet homme-requin, dont la physionomie se rapproche de celle de l’être humain mais dont le corps est noir comme de l’encre, possède certains pouvoirs magiques, mais reste une créature bannie du « merveilleux palais des dragons qui se cache au fond de la mer ».


Imaginaire et fantastique japonais

La pensée extrême-orientale ne sépare pas forcément le naturel (le réel) du surnaturel, ce qui permet de faire la relation entre un monde rationnel et l’impensable dont la folie en est le thème principal.

Cette terreur ne provient pas forcément d’un monstre ou d’une créature imaginaire et c’est ce qui crée bien souvent une déstabilisation car la pensée extrême-orientale fonctionne en terme d’opposition binaire faisant référence au Yin et au Yang : ordre et désordre, mâle et femelle, etc. Rien n’existe sans son opposé.

Les vérités sont donc toujours détaillées et sont liées à des situations, à des périodes et à des lieux définis. L’idée d’une complémentarité et d’une continuité est mise en avant plutôt qu’une idée qui opposerait une essence matérielle à une essence spirituelle.

Le folklore sino-japonais possède également son lot de fantômes. Cependant, les revenants ne font pas peur et ne sont pas différents des vivants ; ils se mêlent aux humains pour festoyer ou pour les épouser ou même avoir des relations sexuelles et sont également capables de rendre des services.

C’est grâce au film Ring réalisé en 1998 que l’Occident découvre le personnage du « yurei », qui est un fantôme japonais, qui à la suite d’une expérience émotionnelle forte est resté sur terre. Suivant les sentiments qui le rattachent au monde physique, le yurei apparaît sous une forme particulière. Dans le cinéma d’horreur, le plus commun reste le « onryô », motivé par un sentiment de vengeance. Même si les yurei de type masculin existent, ils ont généralement l’apparence d’une femme. Ils portent des vêtements blancs, couleur du deuil au Japon.

 

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Dans les croyances japonaises, la mort d’une personne et la disparition de son enveloppe charnelle (nikutai) ne signifie pas nécessairement la montée au paradis. Le yurei est donc une entité qui a laissé sur terre un chagrin, une colère ou un regret et qui ne peut quitter ce monde. Généralement, ses apparitions se font ressentir auprès de personnes frappées par un sort.

Au Japon, l’image d’une femme à la chevelure désordonnée sous un capuchon, ou dans une robe flottante sans pied correspond à la description de l’archétype du yurei, figure qui a longtemps alimenté l’ukiyo-e qui en a fixé la forme.

L’ukiyo-e, littéralement « image du monde flottant », est un mouvement artistique de l’époque Edo, faisant référence à la peinture populaire et narrative, surtout constituée d’estampes japonaises gravées sur bois. La représentation contemporaine du yurei est issue d’une ancienne gravure élaborée en 1673 et intitulée « Kazaninkisakiaraschi », qui le montrait dépourvu de jambe. Ce concept a perduré jusqu’à nos jours et a exercé une grande influence sur les artistes qui succèderont.

Le jour des fantômes (yurei nohi) est une fête que l’on célèbre le 7 juillet de chaque année.


RING, LA SAGA

 

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Réalisation : Hideo Nakata

Titre original : Ringu

Scénario : Hiroshi Takahashi, d’après le roman de Koji Suzuki

Genre : J-Horror

Pays : Japon

Année : 2001

Synopsis : Mise en scène dans un décor moderne du conte traditionnel japonais « La jeune fille au fond du puits ». L’intrigue se déroule à Tokyo où le fantôme mortifère d’une jeune fille s’est introduit dans le film d’une cassette vidéo ; qui le regarde est frappé par la malédiction et meurt au bout d’une semaine. A mi-chemin entre la tradition et la légende urbaine, le film est basé sur la quête d’un couple recherchant l’origine de la malédiction afin de sauver leur jeune fils. Cette quête les mènera à un ancien puits au fond duquel, les parents découvriront la dépouille d’une jeune fille qu’ils enterreront afin de lever le mauvais sort.

 

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L’apparition des spectres japonais peut parfois se résumer à la manifestation d’une simple voix comme dans Rashômon (la Porte de Rashô) d’Akutagawa Ryûnosuke. Dans Ring, la malédiction se manifeste par la présence d’une cassette-vidéo qu’il ne faut pas regarder sinon on est condamné. La trame du scénario se base sur un mélange de superstitions et de légendes urbaines. L’auteur, Koji Suzuki, remet au goût du jour le thème du « yurei » en le replaçant dans un contexte urbain et contemporain, avec une mise en abîme des médias, apportant une critique sous-jacente sur l’effet néfaste et contrefait du domaine audiovisuel qui est, en définitive, un monde de leurre.

Dans Dark Water, roman également écrit par Koji Suzuki, la peur et l’angoisse sont forgées sur la présence d’un fantôme, dont la spécificité repose sur le ressenti et la pesanteur de cette même présence, caractérisée par l’absence de visibilité du spectre, qui hante des lieux ou poursuit un être vivant. Des films tels que Ring ou Dark Water jouent sur l’effet de suspense mais également sur le montré et le caché, effets classiques utilisés dans le cinéma de genre, faisant lui-même appel à l’imaginaire inconscient du public, à la différence que l’horreur joue sur la psychologie du spectateur, entrainant une différence sur l’effet de peur au Japon, car elle ne repose pas sur les mêmes angoisses humaines, ce qui peut paraître très déstabilisant pour un lecteur ou un spectateur occidental habitué à lire du Graham Masterson ou du Stephen King.


Le fantastique et l’horreur dans le cinéma japonais

Les textes fantastiques les plus empreint de littérature occidentale sont ceux d’Akutagawa Ryûnosuke (1892-1927) avec son recueil de récits brefs et intenses : « Rashômon et autres contes ». Ces textes font références à des anciens contes issus du Konjaku-Monogatari-Shû que l’auteur a réécrit en leur accordant une dimension plus fantastique, c’est-à-dire plus proche de l’horreur que du merveilleux, tout en remettant au goût du jour des thèmes d’anciennes histoires folkloriques, en usant d’un style littéraire moderne.

Contrairement aux pays occidentaux, le Japon a su conserver son passé tout en évoluant dans un présent moderne, à l’image de la ville de Kyôtô, cité mélangeant tradition et modernité.

 

DARK WATER

 

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Réalisation : Hideo Nakata

Titre original : Honogurai mizu no soko kara

Scénario : Ken'Ichi Suzuki, d’après le roman de Koji Suzuki

Genre : J-Horror

Pays : Japon

Année : 2003

Synopsis : Récemment divorcée, Yoshimi Matsubara décide d’emménager dans un nouvel appartement avec sa fille âgée de six ans. Alors que son mari s’acharne à récupérer la garde de leur fille, Yoshimi perd progressivement pied dans un immeuble qui se révèle être insalubre mais qui devient surtout le théâtre d’événements étranges et effrayants. A l’image de l’eau qui s’infiltre insidieusement partout, l’horreur s’installe inéluctablement dans le quotidien des deux personnages. La mort, sous les traits d’une petite fille habillée d’un ciré jaune, semble chaque seconde être un peu plus proche d’eux…


Le décor misérabiliste d’une maison insalubre envahie peu à peu par l’eau et les moisissures où une femme et son enfant tentent de survivre. Ici, le thème classique de la maison hantée est traité sur le mode minimaliste.


« Ici, rien que les éléments nécessaires à la création d’un regard sur les choses, une subjectivation qui conduit à une sorte d’intériorisation. Comme si le décor que voient les spectateurs était dans une certaine mesure le monde intérieur de la femme, exploitée à l’extérieur par la société, et qui se réfugie dans son univers. […] Le spectateur est peu à peu, comme la petite fille, glacé par cette pluie de malheur qui suinte dans les interstices ».


Selon Hideo Nakata, cette omniprésence de l’eau est pour les Japonais liée à une présence maléfique et figure comme étant une source traditionnelle de peur.


« Pour les Japonais, l’eau est un élément de terreur. Elle fait et a fait énormément de victimes lors des raz-de-marée, des crues et des tsunamis ».


THE GRUDGE

 

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Réalisation : Takashi Shimizu

Scénario : Stephen Susco, d'après le film japonais Ju-on

Genre : J-Horror/Fantastique

Pays : USA

Année : 2004

Synopsis : A Tokyô, une jolie maison cache d’horribles mystères. Un fléau s’abat sur tous ceux qui en franchissent le seuil… Le scénario reprend également, comme dans Dark Water, le thème de la maison hantée.


Dans tous ces films, le thème de la présence du mal liée à un passé dans lequel il est question soit d’un suicide, d’une disparition, d’une mort ou d’un assassinat constitue un sujet assez récurrent. Le but étant d’opérer à un exorcisme ou d’en rechercher l’origine afin de pouvoir échapper à la malédiction ou d’annihiler le mal à la source.

Les films traitent ce sujet dans le cadre d’images très fortes dont le suspense se rapproche des thrillers américains, tout en conservant un contexte original et symbolique, ce qui a le don de leur donner une saveur particulière, dont les remakes ne peuvent qu’en retranscrire qu’une faible ou fausse idée.

A suivre : Animes et mangas nippons


Sources :

La revue des ressources : Les imaginaires d’Asie ~ Roger Bozzetto ~ 2006

La revue des ressources : Littérature et cinéma fantastique au Japon ~ Roger Bozzetto ~2007



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