Dans les années 1990, l’effet de la récession et de la crise remet au goût du jour le film noir, enrichissant considérablement le genre. En effet, le style est désormais issu d’un cinéma érudit dont la citation en est le principal élément et dont les sujets ont été considérablement enrichis.


Dans une Amérique où la violence gratuite peut se faire sentir à chaque coin de rue, laissant libre cours au déferlement d’une délinquance moderne, le néo-noir (genre décliné en psycho-noir et tech-noir) fait apparaître l’essence de l’antihéros où émerge la figure du justicier sauvage (souvent donné) sous le caractère du meurtrier en série mais pas seulement.
De nos jours, trois tendances surgissent et sont témoins du genre illustrant la période postmoderne :

La première reste fidèle au type de films de gangsters conservant l’ancrage à un environnement social, décrivant le personnage du criminel comme étant psychotique. Les films de Coppola, de Scorsese ou de De Palma en sont de très bonnes illustrations.

La deuxième met l’accent sur le caractère pathologique du criminel que l’on retrouve dans des films tels que Le silence des agneaux de Jonathan Demme (1991) et Seven (1995) de David Fincher.

La troisième subjectivise la seconde en agrémentant le caractère criminel, amenant le spectateur à s’identifier au personnage, malgré lui et de l’intérieur. Ainsi, le spectateur est forcé de reconnaître en lui-même la pulsion qui motive le personnage et fait de lui un complice actif et même indispensable de la machination dont il est la première victime. Dexter, série télévisée américaine créée par James Manos Jr. en est un très bon exemple.

La frontière entre la réalité vécue et la vie de l’imagination rapproche également le genre du fantastique, utilisant des variations sur les thèmes du rêve, du désir, du fantasme et du cauchemar.

Quelques illustrations de la période postmoderne

Une nouvelle génération de cinéastes est apparue, réinventant littéralement le genre.
Le film noir et le néo-noir se décomposent de nos jours en psycho-noir et en tech-noir, films mettant en scène des personnages au caractère particulier, souvent hors norme ou hors la loi, dénonçant un pouvoir absolu de la part d’une société ou d’une organisation secrète et mettant en scène des décors apocalyptiques aux influences surréalistes, expressionnistes et gothiques, voire plus proches du naturalisme pour certains films, en ce qui concerne certains réalisateurs.

Voici une liste non exhaustive de quelques films issus de la période postmoderne, très différents les uns des autres mais qui se rejoignent dans l’expression esthétique d’un style qui a fortement évolué durant l’histoire du cinéma.

Angel Heart (Alan Parker, 1987) relate l’histoire d’une enquête apparemment banale, dont Harry, détective privé de seconde zone, est chargé par un étrange commanditaire de retrouver une personne qui s’avère être lui-même. Thème du double et de la mémoire perdue qui sont abordés, avec comme de décor de fond la Nouvelle Orléans d’après guerre. Ce thriller se rapproche d’une esthétique jouant sur le clair-obscur retranscrivant une ambiance d’insaisissable moiteur qui rappelle les trottoirs humides des villes telles que Chicago ou New York du temps de la prohibition, une des spécificités du film noir des périodes préclassique et classique.

Lost Highway (David Lynch, 1996) décrit les crimes d’un assassin schizophrène pouvant changer de corps et ainsi préserver son esprit. Le film retranscrit le dédoublement de la personnalité féminine en référence au film Vertigo d’Alfred Hitchcock, conservant un univers propre au David Lynch : étrange, mystérieux et souvent déconcertant et déroutant pour le spectateur.

Pulp Fiction (1994), film qui a obtenu la palme d’or au Festival de Cannes 1994, réalisé par Quentin Tarantino qui utilise volontairement la parodie citationnelle, créant délibérément un sentiment d’excessivité dans ses productions et renouant avec le conte à dormir debout.
Variations sur le même thème influencées par le film de gangsters et le film noir agrémenté d’un naturalisme à l’italienne : tueurs à gages, monde de la nuit, armes à feu, intrigues de bande organisée se côtoient au sein d’un récit dont le montage rythmé impose une dynamique narrative, se profilant tel un puzzle dont le spectateur doit rassembler les différentes pièces afin de reconstituer l’histoire, telle une enquête, construite sur le mode du flash back.

Dark City (Alex Proyas, 1998), constitue un précurseur du film Matrix réalisé par les frères Wachowski, du moins, en ce qui concerne la narration. En effet, les récits se rejoignent, relatant l’histoire d’un personnage ordinaire, souvent
« victime » d’une société de consommation ou d’une organisation secrète, qui se doit d’accomplir une mission dont il ne connaît pas les composantes, tout en recherchant son passé.
L’influence gothique et les forts contrastes des images retranscrivent une ambiance très proche des films noirs des années 1930, également teintée d’expressionnisme allemand.
Ce film constitue avec d’autres films un genre appelé le « tech-noir » dont les influences sont nombreuses et se rapprochent par conséquent du film noir avec de grandes incursions dans le fantastique dont l’univers se rapproche de celui de la Science Fiction.

Sin City (Frank Miller & Robert Rodriguez, 2005) se situe dans la veine des productions « made in Tarantino », le film est avant tout issu d’une bande dessinée créée par Frank Miller, retranscrite en images, adaptation cinématographique inspirée du film Pulp Fiction. L’histoire est différente mais les procédés se rejoignent.
Chaque séquence introduit un personnage dont on entend les pensées et dont le spectateur suit les aventures à la manière d’une investigation.
A la limite du thriller, Sin City retrace l’histoire de multiples personnages aux nombreuses intrigues, dans la lignée des films noirs de la période postclassique.

Naturalisme et exotisme

Qu’il soit de gangsters ou noir, le film criminel décrit par définition une transgression de la norme sociale et morale, représentant des personnages sur le thème de l’autre, proclamant pour ainsi dire un naturalisme lié à un exotisme certain, retranscrit sous les traits de l’immigrant (italien, allemand, cubain, portoricain, mexicain) pour les périodes préclassique à postclassique. Dans la période postmoderne, la figure de l’immigrant s’est transformée en êtres venus d’ailleurs, psychopathes, schizophrènes et autres meurtriers en série, introduisant également l’image de l’antihéros ou du caractère ordinaire gratifié d’une mission qu’il aurait bien volontiers refusé ou qu’il se doit d’accepter contre son gré car l’avenir du monde en dépend.

Plus proche du thriller fantastique, les récits sont souvent construits autour d’une intrigue mettant l’accent sur l’intégration de l’autre au sein de la société ou de son expulsion, en corrélation avec l’univers diégétique du film, qui est l’ensemble d’éléments dont le point de vue du spectateur accorde une cohérence à l’univers fictionnel de la narration, établissant de ce fait, une norme et une marge, certainement issue de l’imaginaire collectif.
Le terme « diégèse » vient du grec signifiant récit ; il désigne l’histoire et l’univers fictif qu’elle présuppose ou post suppose. L’histoire et la diégèse concernent la partie du récit non spécifique au film.

Tout ce qui constitue le film noir, et, par extension, tout ce qui constitue ses déclinaisons, affectionnent l’exotisme et les nombreuses bizarreries qui viennent renforcer le genre car le style est centrifuge et ne déteste jamais franchir les frontières et explorer les marges.

Sources documentaires :
Hollywood : la norme et la marge ~ Jean-Loup Bourget ~ 1998
Dictionnaire mondial des films ~ Bernard Rapp & Jean-Claude Lamy ~ 2000

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