Résumé de la conférence donnée par Gilles Deleuze philosophe français (1925-1995), influencé par le stoïcisme Spinoza, Nietzsche, Marx, Bergson, Sade, Foucault (entre autres), dans le cadre de la fondation de la FEMIS du 17/05/1987.

Deleuze écrivit de nombreuses œuvres notamment sur la philosophie, la littérature, le cinéma et la peinture.

Source : www.webdeleuze.com

 

Qu’est-ce qu’avoir une idée au cinéma ?

Si l’on fait du cinéma ou que l’on veut faire du cinéma : Qu’est-ce qu’avoir une idée ?

On se dit souvent : « Tiens, j’ai une idée ! »

D’une part, tout le monde sait bien qu’avoir une idée, c’est un événement qui arrive rarement et avoir une idée, selon Gilles Deleuze, c’est une fête, une joie. Mais ça reste peu courant.

D’autre part, avoir une idée, n’est pas une conception générale. Une idée est déjà vouée à tel auteur ou à tel domaine. Une idée peut s’appliquer tantôt dans le domaine de la peinture, tantôt dans celui de la littérature, mais également en philosophie ou en science. Et ce n’est évidemment pas la même personne qui peut avoir tout ça.

Les idées doivent être traitées comme des potentiels. Les idées sont donc des potentiels déjà engagés dans tel ou tel mode d’expression et donc inséparables de ce même mode.

En fonction des techniques que nous connaissons, nous pouvons avoir une idée dans tel domaine : une idée en cinéma ou une idée en philosophie.

 

Qu’est-ce qu’avoir une idée en quelque chose ?

La philosophie n’est pas faite pour réfléchir sur n’importe quoi, ni pour réfléchir sur autre chose. D’une manière générale, une personne n’a pas besoin de la philosophie pour réfléchir. Par exemple, les seules personnes capables de porter une réflexion sur le cinéma sont les cinéastes, les critiques de cinéma ainsi que les cinéphiles. Ces personnes n’ont, à la base, absolument pas besoin de la philosophie pour analyser les œuvres cinématographiques. Et si la philosophie devrait réfléchir sur quelque chose, elle n’aurait aucune raison d’exister.

Si la philosophie existe, c’est qu’elle possède son propre contenu. Alors, on est en droit de se poser la question : Qu’est-ce qu’un contenu philosophique ?

La philosophie est une discipline tout aussi créatrice et inventive que toutes les autres disciplines. C’est une discipline qui crée des concepts et ces derniers ont besoin d’être inventés. Pour fabriquer ces dit-concepts, il faut qu’il y ait une nécessité, sinon, il n’y a rien du tout. Cette nécessité reste une chose très complexe. Le philosophe ne s’occupe pas de réfléchir sur le cinéma, mais propose plutôt d’inventer des concepts.

Quand on dit : « Je fais du cinéma », on ne crée pas de concepts, mais on fabrique ce que Gilles Deleuze appelle « un bloc de mouvements-durée ».

Le cinéma raconte des histoires tout comme la philosophie et ces histoires sont des concepts. En cela, il n’y a pas tellement d’opposition entre les sciences et les arts.

Si n’importe qui peut parler à n’importe qui, si un cinéaste peut parler à l’homme de science, si l’homme de science peut parler à un philosophe et inversement, c’est en fonction de leur activité créatrice à chacun, car à la base la création se constitue comme un acte solitaire. Et c’est donc au nom de ma création que j’ai quelque chose à dire à quelqu’un. Si on aligne toutes les disciplines qui se définissent par leur activité créatrice, il existe une limite qui leur est commune : l’espace-temps.

Ex : confère « Notes sur le cinématographe » de Robert Bresson, une excellent livre au demeurant !

 

« Un créateur n’est pas une personne qui travaille pour le plaisir, car un créateur ne crée que ce dont il a absolument besoin ».

 

Histoire de l’idiot et des sept samouraïs

Avoir une idée au cinéma n’est pas la même chose que d’avoir une idée ailleurs. Et pourtant, il y a des idées au cinéma qui pourraient être largement exploitées dans d’autres domaines. Par exemple, il existe des idées au cinéma qui pourraient être d’excellentes idées de roman, mais elles n’auraient pas la même forme.

En se basant sur le film d’Akira Kurosawa Les sept samouraïs (Japon, 1954), les samouraïs sont hantés par une question idiote : « Nous autres samouraïs, que sommes-nous ? »

Une idée en cinéma pourrait être du même type car elle est déjà engagée dans un processus cinématographique. Une idée n’est en outre pas un concept. Observer ce en quoi quelque chose est proprement cinématographique, c’est déjà une idée cinématographique.

 

Qu’est-ce qu’avoir une idée cinématographique ?

C’est faire une scission du visuel et du sonore et cela constitue une idée cinématographique que d’assurer cette disjonction du voir, du sonore et du parler. Par exemple, une voix parle de quelque chose, en même temps, on parle de quelque chose et en même temps, on nous montre autre chose et ce dont on nous parle est sous ce qu’on nous montre.

 

Qu’est-ce que l’acte de création ?

Avoir une idée n’est pas non plus de l’ordre de la communication. Qu’est-ce que la communication ? C’est la transmission et la propagation d’une information, qui constitue un ensemble de mots d’ordre, eux-mêmes intégrés dans un système de contrôle.

Quel est le rapport entre l’œuvre d’art et la communication ? Aucun, car l’œuvre d’art n’est pas un instrument de communication et elle n’a rien à faire avec la communication, car l’œuvre d’art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il existe une affinité fondamentale entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance.

Quel est ce rapport mystérieux entre l’œuvre d’art et l’acte de résistance ? Même si les hommes résistent, ils n’ont parfois ni le temps ni la culture nécessaires pour avoir un moindre rapport avec l’art.

Selon Deleuze, André Malraux (1901-1976) développa un bon concept philosophique. Malraux dit de l’art « que c’est la seule chose qui résiste à la mort ».

Qu’est-ce qui résiste à la mort ? C’est l’art, tout simplement, d’où le rapport entre l’acte de résistance, l’art et l’œuvre d’art.

 

« Tout acte de résistance n’est pas une œuvre d’art, bien que, d’une certaine manière elle en soit un. Toute œuvre d’art n’est pas un acte de résistance et pourtant, d’une certaine manière, elle l’est ».

 

Confère les œuvres de Jean-Marie Straub (1933-2006), cinéaste français.

Par exemple, qu’est-ce que la parole de Bach ? C’est sa musique qui se constitue comme un acte de résistance. Mais un acte de résistance contre quoi ? Ce n’est pas un acte de résistance abstrait , c’est un acte de résistance contre et de la lutte active contre la répartition du profane et du sacré. Et cet acte de résistance dans la musique apparaît comme un cri.

Selon Deleuze, l’acte de résistance possède deux faces : d’une part, il est humain et d’autre part, il constitue l’acte d’art.

 

« Seul l’acte de résistance résiste à la mort, soit sous la forme d’une œuvre d’art, soit sous la forme d’une lutte des hommes ».

 

 

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