La Voie du guerrier


« Par la colère, plonge-les dans le désarroi, par l’humilité, plonge-les dans l’orgueil. Par la fuite, épuise leurs forces, sème la division en leur sein. Prends-les au dépourvu, déplace-toi dans l’inattendu. Sois subtil, jusqu’à l’invisible ; sois mystérieux, jusqu’à l’inaudible ; alors tu pourras maîtriser le destin de tes adversaires ». Sun Tzu, l’Art de la guerre


La culture japonaise semble impénétrable et étrangère car nous n’en connaissons que des clichés et stéréotypes. Nous pensons que le mystère a pour objectif la dissimulation d’un secret mais le seul et unique secret réside dans ce même mystère, utilisé à des fins stratégiques.

Ce mystère constitue l’un des principes des arts du combat qui imprègnent la vie sociale, politique et culturelle des Japonais.

Ceux qui entendent comprendre la civilisation et l’esprit nippons doivent faire une analyse approfondie de la culture militaire qui a dominé le Japon pendant des siècles.

Le Bushidô, la Voie du guerrier, a longtemps constitué le corps d’assise de la civilisation nipponne jusqu’à marquer profondément l’inconscient collectif de la nation.

Le Japon contemporain conserve de nos jours la marque du Bushidô, qui apparait dans l’éducation ainsi que dans les arts.

Le sens de la réserve et du mystère, l’humilité et la fierté sont les signes caractéristiques du comportement japonais.

Pour qui souhaite réellement saisir toute l’essence du Japon, il est impératif de comprendre cette culture de la stratégie.


Introduction : la voie de la stratégie


La plus grande partie de la science de la stratégie du samouraï provient directement de l’art chinois de la guerre. Selon Miyamoto Musashi (1584-1643) et Yagyû Munenori (1541-1646), la Voie n’est ni un loisir ni un exercice intellectuel, mais bien l’apprentissage d’un mode de vie. Aux yeux du guerrier, il était important d’apprendre à vivre sous la contrainte, voire à survivre au chaos.

Le Bouddhisme zen est perçu comme étant la source de l’inépuisable équanimité que recherchaient les samouraïs. L’art de l’avantage et les enseignements zen sont directement liés à certains aspects de la culture des samouraïs, ce qui démontre une certaine influence déterminante sur l’ensemble de la société nippone. L’art de l’avantage a lui-même influencé le zen qui adopta à son tour certaines formes appartenant à l’art de la guerre.

Afin de comprendre (presque) toutes les subtilités de la société japonaise, il est bon de s’en référer à certains textes classiques et très importants, constituant une partie de l’Histoire de l’Empire du Soleil levant.


Kojiki, le livre des choses anciennes : les origines mythologiques du sabre


Texte archaïque, constitué de trois volumes, daté de 712 avant J.C. qui recouvre tout le Shintoïsme et écrit par l’Aron Futa No Yasumaro.

Kojiki et « l’Epopée des Années Hôgen », rapportent un sens magique et animiste à la mythologie japonaise qui regroupe un ensemble de récits légendaires à l’origine du Shintô, influencés par les courants bouddhistes et confucianistes du 6ème siècle.

Le Kojiki est une œuvre mythologique se rapportant à la légende la Grotte Céleste constitués de rites destinés qui, selon certaines interprétations, à calmer, secouer, agiter et à consolider l’âme et selon la philosophie Zen, la « via negativa » est le premier point selon la devise qui consiste à ne penser, ni au bien, ni au mal.


Amaterasu o mi kami, Auguste divinité illuminant le Ciel et la Grotte Céleste

 

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Déesse du Soleil et reine « des hautes plaines célestes » est la divinité la plus honorée dans le panthéon Shintô, évoquée dans le Kojiki ainsi que dans le Nihonshoki. Vénérée dans le plus ancien temple Shintô à Naikû, à Ise sur l’île de Honshû. Le temple est détruit tous les vingt ans puis reconstruit dans sa forme originale.

En colère du fait de ses incessantes disputes avec son frère, Susano-wo, la légende raconte qu’Amaterasu se serait retirée dans la grotte céleste. Afin de la persuader de sortir de sa grotte, tous les kamis se seraient présentés devant la retraite d’Amaterasu, organisant une immense fête en saluant une belle jeune femme. Poussée par la curiosité, la déesse sortit de sa cachette et découvrit son reflet dans le miroir, Yata No Kagami.

Susano-wo fut bannit de la Terre Céleste, la barbe coupée et les ongles arrachés, exilé à Izumo.

Selon le mythe, elle est considérée comme étant l’ancêtre de tous les empereurs japonais. Déesse de la culture du riz, du blé et du ver à soie, elle est représentée sur le drapeau japonais par le disque solaire rouge.


Susano-wo et Kusanagi no tsurugi, l’épée magique

 

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Susano-wo (la rapide divinité impétueuse) est le kami des tempêtes, fils d’Izanagi et frère d’Amaterasu, représenté comme un homme sans barbe et sans ongle à l’aspect féroce, bannit de la Terre Céleste pour avoir offensé sa sœur.

Lors de son séjour sur Terre, Susano-wo se retrouva dans le district d’Izumo où il promit de combattre Yamata No Orachi, le dragon à huit têtes et à huit queues, venu pour enlever et dévorer la dernière fille du village, la princesse Kushi-inada.

En échange de la main de la princesse, Susano-wo combattit le dragon en lui faisant ingérer du saké, ce qui eut pour conséquences de réduire les réflexes du dragon que Susano-wo put vaincre sans difficulté en lui tranchant ses huit têtes.

C’est à l’issue de ce combat que Susano-wo découvrit Kusanagi no tsurugi, l’épée magique, cachée dans l’une des huit queues de l’animal fantastique, épée qu’il offrit, en guise de pardon à Amaterasu, devenant l’un des attributs, avec le miroir et l’ambre (objets également trouvés dans les queues du dragon, selon une autre version du mythe).

Kusanagi no tsuguri est une épée légendaire comparable à Excalibur et à Durandal des mythes occidentaux. Il constitue l’une des trois reliques sacrées de l’empire du Japon.

Kusanagi, « le sabre faucheur d’herbe » est également appelé, Ama no Murakumo no Tsurugi, littéralement, le sabre précieux rassembleur de nuages. Elle ressemblerait à une épée à double tranchant datant de l’âge de Bronze, très différente du sabre contemporain japonais.

Les attributs d’Amaterasu

 

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Le joyau

Le magatama (曲玉), Yasakani no magatama (八尺瓊曲玉), situé au Kôkyo (皇居) à Tôkyô, illustre la bienveillance. C'est tantôt un croc ou un coccyx humain, tantôt un joyau en pierre ou en ambre censés maintenir en équilibre les deux forces cosmiques de catabolisme et d’anabolisme. Chokurei est une sorte de spirale, utilisée dans le rite impérial et représente le premier symbole du Reiki.

Dans le pouvoir des pierres, l’ambre serait efficace contre l’infortune, en collier, bracelet ou amulette.


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L’épée

L’épée représente le deuxième symbole du Reiki. L'épée magique, Kusanagi (草薙剣), conservée au temple Atsuta (熱田神宮, Atsuta Jingû) à Nagoya, représente la valeur et la capacité de discernement du bien et du mal. Seiheki est une sorte de déformation de la lettre du sanscrit tibétain “Ah”.

 

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Le miroir

Honshazeshonen et Daikomyô sont des idéogrammes courants désignant littéralement le retour à l’origine pour le premier et l’étoile polaire, entre Soleil et Lune, et également l'Empereur pour le second. Il symbolise le miroir, Yata no kagami (八咫鏡), conservé au grand temple d'Ise (伊勢神宮, Ise jingû) dans la préfecture de Mie, symbolise la sagesse originelle.

 

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Ninigi No Mikoto, les Bijoux impériaux et Jimmu, premier empereur du Japon


Amaterasu confia à son fils (ou son petit-fils, variante selon les mythes), les trois joyaux impériaux, le joyau, l’épée et le miroir afin qu’il puisse régner sur terre. Ninigi No Mikoto est l’ascendant du premier empereur du Japon, Jimmu.


Nihonshoki, les Chroniques du Japon


Texte de trente volumes, rédigé par le prince Toreni, fils du quatrième empereur du Japon, l’Empereur Temmu (622 ou 631-686). Ce texte débute par des récits mythologiques pour ensuite rapporter toute la lignée des successifs empereurs japonais.


Fudoki, les Chroniques des Provinces


Rapports écrits commandés, en 713, par l’impératrice Gemmei (661-721), 43ème empereur du Japon et 4ème femme a tenir ce statut ; afin de rapporter les coutumes, l’histoire, la géographie des différentes provinces japonaises. Aujourd’hui, il n’en reste plus que cinq regroupant les chroniques des provinces de Bungo, Hizen, Harima, Hitachi et Izumo.


Muchü-mondo, les dialogues dans les rêves : bouddhisme, Zen et méditation


Texte écrit par Müso (1276-1351), durant la période Kamakura (1185-1336), correspondant au  Moyen-Age, texte représentatif du Bouddhisme japonais. Les Dialogues dans les rêves vise l’au-delà et respecte le concept de l’abandon des idées de réputation et de profit.

Les expressions « Vide », « Le soleil est clair à minuit » et le mythe de la Grotte Céleste renvoient à une même vérité constituant la spiritualité nippone. Cette mythologie met l’accent entre le sujet et l’objet, point sur lequel le Zen insiste beaucoup.

Fonction du Zen : mettre de l’ordre d’abord dans son esprit, dans son intérieur par la suite puis dans les relations extérieures.

Le mot « Zen » provient du terme Sanscrit « Dhyana » (Inde), désignant l’attitude méditative dans la concentration. Le Zen est l’héritier du Bouddhisme qui fût importé en Chine au 6ème siècle après J.C. Le Ch’an chinois correspond au Zen japonais.

Les moines Esaï (Yôsaï) (1141-1215) et Dôgen (1200-1253) sont les fondateurs du Zen au Japon. Les dix tableaux de la quête du bœuf sont des recueils célèbres illustrant et expliquant les différentes étapes amenant vers le chemin de l’illumination, le Satori, littéralement, illumination ou éveil.


Les dix tableaux de la quête du bœuf


L’idée principale consiste en la réalisation de la Vérité (Nirvâna) qui peut être atteinte par l’étude et la connaissance du Dhamma (l’enseignement). Mais la connaissance est insuffisante si elle ne devient pas une pratique quotidienne. D’après le Dhammapada (anciens textes canoniques bouddhiques), celui qui étudie mais qui ne met pas ses connaissances en pratique serait comme celui qui compte les vaches de son voisin. Celui qui est moins érudit mais consent à la pratique, tirera de l’enseignement joie et bénéfice.


« Jamais la haine n’éteint les haines en ce monde. Par l’amour seul les haines sont éteintes. C’est une loi ancienne ».  Verset 5 du Dhammapada


Le Dhamma est comparé à un cadeau dont l’unique but est de nous faire traverser la rivière et non pas de devenir un objet d’attachement.

Le Zen vise à se concentrer sur l’esprit. Autrement dit, « voir avec ses propres yeux », « expérimenter directement ». Le thème le plus important du zen est la réalisation de la Bouddhéité par la vision directe de sa propre nature. Le Zen insiste beaucoup sur la soudaineté de la réalisation du Satori, comme s’il s’agissait d’une qualité particulière. De nombreux maîtres Zen ont pu réaliser leur Satori au travers de contemplations d’éléments simples de la vie quotidienne.

La réalisation de l’Eveil, de l’Illumination, de l’Emancipation n’intervient qu’après une longue période de discipline sévère, d’un entraînement, d’une lutte et des pratiques.

Conformément à l’enseignement et à la croyance bouddhique, les pratiques ont pu être acquises au cours des vies antérieures ou de la vie présente.

L’événement n’est soudain que parce qu’il ne peut être ni prévu ni programmé, ni fixé par un acte volontaire, par conséquent, l’Eveil ne peut être prévu dans le futur et ne peut être approchable que par la pratique de la méditation. Cet événement se produit au moment où on l’attend le moins ou à des moments insolites, résultat d’une lutte et d’un entraînement éprouvant et long.


« Les Maîtres Zen admettent eux-mêmes que « tout le monde ne peut pas espérer avoir l’entraînement suffisant pour réaliser l’expérience merveilleuse du Satori ».


La finalité du Zen est donc de parvenir au Satori, état d’Eveil permettant de s’attendre à l’inattendu ainsi que de s’y adapter, Ici et Maintenant, afin de vivre au-delà. Après avoir abandonné son ego, il est possible de pratiquer le Zen selon l’esprit de non profit, permettant d’entrer dans un domaine démunis d’émotions, libérant la pensée dans un état nommé « pensée-sans pensée, ni arrière-pensée » (Hishiryo).

Le Zen a influencé de nombreux domaines artistiques tels que la cérémonie du thé (chanoyu), la calligraphie (Shô-do) ainsi que la quasi-totalité des arts martiaux tels que le kenjutsu, l’ïaido (l’art de couper en dégainant le sabre ou dégainement du sabre véritable) et, bien entendu, le bushidô.

« C’est par la pratique que l’on apprend ».

Par exemple, l’aïkidô est la Voie de l’énergie du Ciel ; c’est une méthode de défense et de contrôle de son propre ki (énergie vitale) et par conséquent du contrôle de celui de l’adversaire. Le but fondamental de l’aïkidô est de permettre au ki de circuler harmonieusement dans chaque être qui pratique cette méthode.

Le karatedô est la Voie des mains nues et est un art destiné à se défendre contre les envahisseurs dont l’origine se situe sur l’île d’Okinawa.


Gorin-no-Shô, le traité des cinq roues : Shintoïsme, Bouddhisme et Bushidô

 

Considéré comme « la fleur du Bushidô », ce texte représente l’esprit des Temps Modernes, dont le seul but recherché est de trouver le moyen d’avoir l’avantage. Ecrit par Miyamoto Musashi (1584-1643) à la fin de sa vie, le Gorin-no-Shô est un manuel pratique permettant d’atteindre un idéal à travers de nombreuses étapes et exercices.

D’après Musashi, le « Vide » est le néant par nature, dont le but est de polir deux vertus essentielles : la sagesse et la volonté. Le « Vide » exprime le but de la Voie. Dans le Traité des cinq roues, il est dit que dans le « Vide », il y a le bien et non le mal.

Grâce à la magie, il est possible de parvenir à la vérité et ceux qui y portent entrave auront : « la barbe coupée, les ongles des pieds et des mains arrachés ».

Dans le Kojiki, la magie unifie et renforce la société primitive mais son défaut est d’engendrer de nombreuses superstitions.

Le Za-Zen évite les superstitions mais n’est accessible qu’à un nombre réduit de personnes.

Le Bushidô renforce l’unification sociale à travers des règles et des codes, sans danger de superstition mais limité à une période historique.

 

bu

 

Dans le Bushidô, le kanji « Bu » signifie « arrêter l’épée », c’est-à-dire, cesser d’utiliser son arme pour finalement arriver à ne plus se battre, dont l’idée transmise consiste en la sagesse immobile.

« La plus grande victoire que l’on peut remporter est celle que l’on a sur soi-même. Le combat intérieur est le plus difficile, car c’est le seul vrai combat de la Vie ».

C’est la simple transcription de la tradition Zen dans le contexte du valeureux guerrier éveillé.

Le samouraï utilisait plus de quarante sortes d’armes et étudiait le « kobudo », arts martiaux japonais (avant 1868) au sein d’une koryu, école ancienne. Il suivait la Voie du sabre en respectant les règles du Bushidô, conférant au katana une symbolique particulière, dont il constituait l’âme.

 

Fudochi, la sagesse sans bouger

Fudochi, la sagesse sans bouger

 

Le Shintoïsme ou la Voie des dieux est le culte religieux japonais possédant de grandes affinités avec les arts. Il véhicule un certain nombre de concepts visant l’harmonie régissant la nature et les rapports humains. Le Shintô n’est pas une doctrine mais un ensemble de pratiques. Il devint religion d’Etat durant la période Meiji (1868-1912).

Le Traité des cinq roues trouve ses origines dans le Bouddhisme Zen et dans le Bushidô et vient compléter le Kojiki, qui trouve ses origines dans le Shintoïsme et Les Dialogues dans les rêves, dont les origines bouddhiques enjoint à la pratique du Zen.

Ces trois textes sont des classiques fondamentaux pour qui souhaite connaître le noyau de la spiritualité japonaise.


Subtile différence entre Bushi et Samouraï

 

Durant la période Heian (794-1185), il existait une caste guerrière comprenant des chevaliers, les bushis (littéralement, guerriers gentilshommes), munis d’un « yumi » (arc), dont la destiné était vouée au combat afin d’agrandir la puissance du clan. Avant cela, on nommait les guerriers, « mono no fu », appellation utilisée jusqu’au 8ème siècle.

Le « buke » (maison des guerriers) désignait la noblesse militaire attachée au « bakufu » (gouvernement militaire) par opposition au « kuge », noblesse de cour attachée à l’Empereur.

Cette nouvelle caste de buke est apparue durant la période Kamakura (1185-1333). La classe de guerriers professionnels a été crée par la volonté de l’empereur Katsumi qui souhaitait conquérir les terres Aïnous à la fin de la période Nara (710-794).

Inspiré par le modèle chinois, le Japon avait fondé une armée répartie en corps de mille soldats et officiers (gunki), rattaché et mis au service du « kokushi » (gouverneur de province). S’apercevant de son inefficacité, l’empereur décida en 792 de mettre en place un nouveau système appelé « kondesei » qui avait l’avantage de n’être constitué que de jeunes cavaliers archers issus de milieux plus aisés. Cette milice tomba en désuétude vers le 10ème siècle, période durant laquelle apparurent les premiers samouraïs.

Au début de la période Edo (ou dite de Tokugawa, 1603-1868), Les samouraïs étaient considérés comme des fonctionnaires armés, unifiés autour d’un maître ou seigneur (shogun).

La différence entre le bushi et le samouraï réside dans le fait que ces deux types de guerriers n’ont tout simplement pas vécu à la même période historique.

 

A SUIVRE : Les trente-six stratégies du samouraï

 

Source : La Voie du Samouraï ; Pratiques de la stratégie au Japon - Thomas Cleary - 1992


 


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