Le film de zombie est indéniablement associé au film gore, car il ne faut point omettre que ces chères créatures revenues du royaume des morts sont des êtres sanguinolents et sanguinaires, adeptes d’une hémoglobine servie, si possible, à une température corporelle avoisinant le 37°C !

A partir des années 1990, le film de zombie devient donc inévitablement gore, un prétexte supplémentaire pour déverser des hectolitres de globules rouges à l’écran.

  

Les origines du gore

  

Le Gore représenterait le prolongement cinématographique du théâtre sanglant : le Grand-Guignol, ce dernier n’étant pas un des premiers théâtres à représenter des effets sanglants sur scène. Au 5ème siècle avant JC, les tragédies grecques évoquaient des scènes d’une extrême violence (Cf. Eschyle, Euripide et Sophocle). Bien que nous ne possédions que très peu de documents sur la question, il apparaît que l’horreur, la souffrance et la mort étaient formulées par le biais des dialogues.

 

Même si le Gore ne remonte pas à la tragédie grecque, Aristote prouve que l’intérêt du public pour l’horreur visuelle ne date pas d’hier. En effet, il ouvre un débat moral et esthétique, qui se prolongera à travers les siècles, sur le bien-fondé de telles représentations, tout en évoquant la fonction cathartique de la tragédie, qui suscite pitié et crainte et qui opère la purgation propre à de pareilles émotions.

  

Le théâtre du Grand-Guignol : une origine française

 

Le théâtre du Grand-Guignol était un établissement situé dans le 9ème arrondissement de Paris, plus exactement, rue Chaptal. A l’origine, c’était une chapelle, devenue par la suite l’atelier du peintre orientaliste et illustrateur français, Georges-Antoine Rochegrosse (1859-1938). En 1896, l’endroit devint un théâtre où l’on y joue des pièces naturalistes. Pour des raisons de moralité, le théâtre fut victime de la censure et fut baptisé par son propriétaire « Théâtre du Grand-Guignol », faisant référence à la célèbre marionnette lyonnaise, porte-parole des canuts (ouvriers tisserands du 19ème siècle), contre la répression de la police napoléonienne.

 

En novembre 1897, « Lui ! » est une des premières pièces jouées au théâtre du Grand-Guignol qui comporte déjà les caractéristiques du style grand-guignolesque dans le jeu des comédiens (comique de geste, over-playing (sur-jeu), et, annonce l’arrivée de la peur sur scène.

 

Dès son ouverture au public, le théâtre présente en alternance des tragédies ainsi que des comédies. L’établissement est racheté en 1898 et devient dès lors le théâtre de l’horreur. En 1901, la mort est représentée à travers un acte de pendaison et dès 1904, mutilations et effets sanglants constituent les atouts d’une surenchère d’effets horrifiques, qui marquera un certain excès (1910) et entrainera le déclin du théâtre Grand-Guignol en 1937 ainsi que sa fermeture définitive en 1962.

 

« Avant la guerre, tout le monde croyait que ce qui se passait sur la scène était purement imaginaire, maintenant, nous savons que cela - et pire encore - est possible ».

 

Le déclin du Grand-Guignol tient dans le fait que le genre lui-même produisait sa propre parodie et ce théâtre ne sollicitait pas les autres thèmes du genre fantastique. Sa seule volonté était de créer une horreur crédible, proche du quotidien et puisait son inspiration parmi les faits divers.

Si le public se rendait au Grand-Guignol, c’était surtout pour se délecter de l’horreur représentée sur scène et de ce fait, rejoint le spectateur de film gore.

 

« On va au Grand-Guignol lorsqu’on a besoin d’émotions fortes, comme on va aux Folies-bergère lorsqu’on a envie de voir de jolies cuisses ». René Wisner (1931)

 

La comparaison est sans détour mais a le mérite d’être claire, nette et précise : Gore, Sexe and Rock n’ Roll !

Le théâtre du Grand-Guignol de la rue Chaptal était donc reconnu tel un théâtre de spécialités horrifiques tout comme certains cinémas parisiens le furent dans la projection de films de genre. Le théâtre représentait des pièces basées sur le corps anatomique (cf. théâtre médical) et insistait lourdement sur la mécanique de l’épouvante. Les effets horrifiques apparaissaient généralement lors du dénouement de la pièce, afin de créer un certain suspense. Le théâtre du Grand-Guignol poussait le sanglant jusqu’à son paroxysme ; du grotesque au burlesque - il n’y a qu’un pas - au risque de perdre toute vraisemblance. Les pièces comiques tournaient en dérision les situations les plus dramatiques, venant contrebalancer l’horreur représentée sur scène.

 

Un cinéma de l’excès

 

Les différentes déclinaisons concernant les films gore participent à une stratégie de l’excès. En effet, quels que soient sa durée et l’effet produit à l’écran, les images gores impliquent une rupture dans l’économie du drame. En règle générale, les films qui ne proposent qu’une seule scène gore correspond à une rupture narrative. C’est d’ailleurs le cas dans C’est arrivé près de chez vous (Rémy Belvaux, André Bonzel et Benoît Poelvoorde, 1992, Belgique), le gore donne la réalité au corps du personnage éviscéré. Le film est une parodie des reportages tv racoleurs, dont la ménagère de moins de cinquante se délecte, qui montrent des actes ignobles sous couvert d’information. Après avoir bien ri des forfaits du personnage principal, les réalisateurs dévoilent l’horreur filmée et culpabilisent le spectateur. Le même effet a également été utilisé dans Million Dollar Baby (Clint Eastwood, USA, 2004), film dans lequel le récit est clairement divisé en deux parties et la séquence du dernier combat, qui s’avère être d’une extrême violence, constitue également un point de rupture.

 

La scène gore constitue également une rupture temporelle. Même si les scènes apparaissent dans la continuité de l’action, elles constituent une coupure dans le rythme du film lui imposant son propre tempo. Le gros plan, élément du gore par excellence, marque également une rupture temporelle, une sorte d’arrêt sur image, de la même manière qu’un ralenti a pour effet de dilater le temps.

 

La multiplication exacerbée des scènes gores dans un film finissent par réduire l’intrigue au simple énoncé. Les débordements sanglants doivent trouver une place au sein de la narration qui bien souvent n’est qu’un prétexte pour créer des scènes gores. Le Gore n’a jamais trop exploité les anciens mythes ancestraux, délaissant lycanthropie et porphyrie au genre fantastique, les films gores exploitent à outrance les thèmes du psychopathe et du mort-vivant. Loin du zombie originel teintée de magie vaudou, le Gore a mis en avant une image contemporaine du zombie qui ressuscite sans raison, dévorant et contaminant les êtres vivants ; représentation qui contribue à l’élaboration de personnages idéaux : mettre des macchabées putréfiés, qui ne pensent pas, qui agissent d’une façon mécanique, parfois, standardisée et qui prolifèrent à une vitesse vertigineuse, correspond à la structure répétitive du gore et au goût de la surenchère érythrocytaire. Sur ce dernier point, la promesse de tout montrer et de montrer l’immontrable a toujours constitué un élément commercial dans le cinéma gore.

 

Au risque de tomber dans la parodie, le genre a toujours montré une escalade dans la nature de l’horreur.

Le jeu de la surenchère connaît évidemment ses limites en ce qui concerne les variantes de la représentation à l’écran (Cf. Article Jeux de massacres sans frontières). Mais quand il n’y a plus de tabous à briser, il n’y a plus rien à montrer. Le plus bel exemple reste Braindead (Peter Jackson, Nouvelle Zélande, 1992), film qui constitue dans un  même temps, l’apogée du gore et un des chefs-d’œuvre du genre, mais également son déclin ainsi que la représentation de l’excès en question proposer par le genre. Il est vrai que l’on peut difficilement faire mieux (ou pire !) en matière d’excédents corporels sanguinolents, tant et si bien que le film, dont la narration reste assez simple, en devient absurde. Le sang, acteur principal et prépondérant, tient son rôle à la perfection et rempli bien sa fonction : il n’y a que deux choix possibles en regardant ce film, mourir d’écœurement ou… de rire !

 

Le Gore se soucie peu du psychisme des personnages et de l’intrigue, d’où cette fascination à mettre en scène des tueurs psychopathes et sans âme. L’accumulation de l’hémoglobine à l’écran renforce la structure récurrente du gore et ainsi finit par créer cette distanciation tant appréciée des amateurs du genre. Cette distanciation est une des principales composantes de l’effet gore, car le spectateur n’est jamais impliqué dans le récit puisqu’il est toujours conscient qu’il s’agit d’une fiction quelle que soit les atrocités perpétrées à l’écran.

 

« A l’instar du cinéma d’épouvante qui offre la peur sans le danger, le gore satisfait l’attirance/répulsion pour la mort et le sang dans le cadre rassurant de la fiction ».

 

A SUIVRE...

 

Source  :

Le cinéma gore : une esthétique du sang ~ Philipe Rouyer ~ 1997


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