Présentation

L'illumination créatrice est un monogatari (littéralement : choses racontées, dites). Style propre à la littérature japonaise,  un monogatari est un conte ou un récit rédigé en prose.

Le titre original de ce conte écrit par Akutagawa Ryûnosuke est : Gesaku Zammai, titre difficile à traduire, dont la source est extraite du Journal de Bakin, rédigé par Aeba Kôson.
"Gesaku" signifie littéralement composition pour divertissement.
Le terme japonais "Zammai" désigne une absorption complaisante dans une chose ou dans un état, une sorte d'extase libérée de tout souci ou préoccupation. Mot dérivé du chinois "sammaï", dont l'origine en sanskrit, "samâdhi", caractérise la concentration d'esprit.

Par conséquent, "Gesaku Zammai" pourrait signifier : composition pour divertissement dans la concentration d'esprit ou composition dans une absorption complaisante ou tout simplement, libération de l'esprit.

L'auteur

Akutagawa Ryûnosuke est né en 1892 à Tôkyô, auteur, perfectionniste torturé, atteint de divers maux, il se suicida en 1927.
Très tôt il s'intéressa à la littérature sino-japonaise ainsi qu'à la littérature occidentale. Ses auteurs de prédilection et de référence étaient Baudelaire, Strindberg, Anatole France et bien d'autres encore.
Il remit au goût du jour la technique du monogatari. Mais Akutagawa était plus qu'un romancier, fusion du conteur, du poète en prose, son style était caractéristique d'un naturaliste à la Française, prônant le culte du "moi" idéaliste et le raffinement de la décadence, lui confèrant une certaine confusion de la vie.
Il écrivit des récits d'époques plus ou moins anciennes, décrivant des lieux plus ou moins éloignés, mondes irréels, purement imaginaires, afin d'exprimer ses sujets avec plus de force, plus d'efficacité.
Microcosmes de la vie quotidienne, création d'un monde d'ordre différent, récit à caractère fantaisiste, un monde où nous éprouvons des émotions pures et intenses que notre vie réelle est incapable de fournir.
A partir de 1923, il délaissa les nouvelles et les contes imaginaires au profit de récits réalistes, souvent autobiographiques. Il fut remarqué par Mori Ogai (1862-1922) et Natsume Sôseki (1867-1916), deux maîtres de l'époque qui considéraient l'écriture comme un art, un métier et non une forme de vie.
Akutagawa était préoccupé par le souci de la forme et pour le fond, il recherchait une émotion vive et intense.
Ce souci de la perfection de la forme se fit sentir dès ses premiers écrits. Il suffira de lire les premières lignes de Rashômon pour se rendre compte de cette recherche perpétuelle de perfection, de ce souci du détail obsessionnel :

"Cela s'est passé un jour au crépuscule : un homme de basse condition était là, sous la Porte Rashô, à attendre une accalmie de la pluie.[...]"

"[...] L'auteur écrivait tout à l'heure : "Un homme de basse condition était là à attendre une accalmie de la pluie." A vrai dire, cet homme n'avait rien à faire, même si la pluie cessait de tomber. [...] Aussi la disgrâce de cet homme renvoyé par le patron qu'il avait servi depuis longtemps n'en était-elle en réalité qu'une conséquence insignifiante. Il aurait donc mieux valu dire : "Un homme de basse condition, dépourvu de tous moyens, était bloqué par la pluie, sans savoir où aller." [...]"


L'histoire

Maître Bakin (écrivain japonais, 1767-1848) est confronté à la critique de son dernier roman intitulé Hakkenden (Histoires des huits chiens-guerriers), chef-d'oeuvre en 96 volumes relatant l'histoire de huit guerriers incarnant chacun les huit vertus principales du confucianisme : charité, justice, politesse, sagesse, fidélité, honnêteté, piété filiale, respect.
Malgré toutes les difficultés qu'il rencontra, il arriva à cet état d'esprit dans lequel un écrivain peut s'adonner complètement à son oeuvre au mépris de tout ce qui se passe autour de lui.

"Par expérience, Bakin savait qu'entendre dénigrer ses oeuvres était pour lui plus néfaste que désagréable"

A cet effet, il sut s'éloigner des critiques malveillantes de ses oeuvres.

La transe de l'écrivain

L'illumination créatrice est un magnifique conte, surpenant et agréable à lire. Akutagawa décrit à merveille ce que peut être l'inspiration du moment. Quel que soit l'art pratiqué, il existe un état que je qualifierais d'extatique, de béatitude consciente, transportant le personnage hors de lui et du monde sensible. Ce qui donne tout son sens au titre original de l'oeuvre.

"[...] Au début de son travail, un point lumineux, presque imperceptible, remuait dans la tête de Bakin.
Dix lignes..., vingt lignes..., à mesure que son pinceau avançait, ce petit point lumineux augmentait de volume.[...]
[...] Mais dans sa tête, cet éclat céleste de tout à l'heure, bien plus grand déjà, se mit à se transformer en une coulée lumineuse, plus rapide qu'un fleuve. Redoublant de force à chaque instant, ce torrent l'entraînait malgré lui. Déjà ses oreilles n'entendaient plus le chant des grillons. Ses yeux ne se plaignaient plus de la faible clarté de la lanterne. Son pinceau glissait maintenant souple et rapide. Dans une attitude de lutte contre le Géant divin, il écrivait avec acharnement. Semblable à la galaxie traversant le firmament noir, le courant lumineux, on ne sait d'où, jaillissait continuellement.[...]"

"[...] Mais le courant lumineux ne ralentit point. Inondant tout dans son vertigineux soulèvement, il pénétrait tout son être comme une vague énorme et écumante. Maintenant, il avait complètement submergé l'esprit de l'écrivain. Dans l'oubli de tout, Bakin se lançait rageusement dans la direction où se ruaient les flots. Son pinceau galopait comme une tempête. [...]"

"[...] Ceux qui sont étrangers à cet enthousiasme, comment pourraient-ils comprendre l'âme ingénue de celui qui crée ? Ici la "Vie", purifiée de ses déchets, ne luit-elle pas, magnifique comme un métal vierge au yeux de l'auteur ? [...]"

L'extase libérée de toute préoccupation, Bakin put achever son Hakkenden en toute quiétude...

Akutagawa pensait qu'il ne fallait ne rien laisser à l'état d'inconscience. A mon humble avis, il avait raison !
De ce fait, L'illumination créatrice apparaît comme un conte autobiographique faisant référence à l'esprit torturé qu'était Akutagawa, une mise en abîme poétique, judicieusement racontée.

"Ecris jusqu'à la limite de tes forces. Peut-être écriras-tu maintenant ce que tu ne pourras jamais plus écrire."
Akutagawa, Novembre 1917


Source : Rashômon et autres contes ~ Akutagawa Ryûnosuke, traduction et introduction par Arimasa Mori













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