Androide-de-Metropolis Fritz Lang 1927L'expressionnisme est un mouvement artistique apparu au début du 20ème siècle en Europe du Nord, plus particulièrement en Allemagne. Il touche plusieurs domaines artistiques tels que la peinture, l’architecture, la littérature, le théâtre, le cinéma et la musique.

 

Caractéristiques de l’expressionnisme

 

En peinture, l'expressionnisme vient de la réaction contre l'impressionnisme français. Il préconise des formes dures et caricaturales, issues de terreurs romantiques. Il se définit par la supériorité de l'intellect sur la nature : tout est recomposé, stylisé. C'est l'antithèse du réalisme. Ne s’attachant plus à la description d’une réalité physique, le mouvement la soumet afin de mieux exprimer les états d’âme de l’artiste.

 

L’expressionnisme s’inscrit dans la continuité du fauvisme mais rompt avec l’impressionnisme à travers des formes très agressives et des couleurs violentes ainsi qu’à des lignes acérées.

Ce courant artistique exprime la projection d’une subjectivité tendant à déformer la réalité afin d’inspirer au spectateur une réaction émotionnelle. Les représentations sont fondées sur des visions angoissantes, déformant et stylisant la réalité afin d’atteindre un très haut niveau d’intensité expressive. Elles sont également la réflexion de la vision pessimiste qu’avaient les expressionnistes de leur époque, hantés par la menace de la première Guerre Mondiale.

 

Les œuvres expressionnistes mettent en scène des attributs influencés par la psychanalyse et le symbolisme. Le mouvement est également marqué par une contre réaction à l’académisme et la société.

 

Quelques exemples de peintures expressionnistes

 

Le cri by edvard Munch 1893

 

Le Cri d’Edvard Munch (1863-1944, Norvège)

 

Die grossen blauen Pferde by Franz Marc 1911

Die grossen blauen Pferde de Franz Marc (1880-1916, Allemagne)

 

Vincent van Gogh 1853-1890) Les oliviers (1889)

Les Oliviers de Vincent van Gogh (1853-1890, Pays-Bas)

Grâce à l’avancée de la technique photographique, l’art pictural perd sa fonction de reproduction de la réalité objective, ce qui renforce la composante subjective lui permettant de s’affranchir des normes.

 

En architecture, l’exemple le plus représentatif du mouvement reste La Tour Einstein à Potsdam, édifiée entre 1917 et 1921 par Erich Mendelsohn (1887-1953, Allemagne).

 

Erich Mendelsohn Einstein Tower Potsdam 1917-1921

Le premier dramaturge expressionniste fut August Stramm (1874-1915, Allemagne). L’influence du cinéma sur le théâtre fut évidente, tant les œuvres dépassent le conformisme des représentations théâtrales conventionnelles.

 

Le cinéma expressionniste

 

Dans le cinéma, l’expressionnisme est considéré comme un mouvement d’avant-garde, il a été fondé à Münich en 1910. Il va prendre le relais sur les autres arts en appliquant une stylisation géométrique des décors ; contrastes saisissants d'ombres et de lumières, emploi du clair-obscur, raideur des gestes, écrasement des personnages, ambiances "démoniaques", tel est le climat caractéristique qui aspire à montrer une optique déformée de la réalité.

 

A la veille de la première Guerre Mondiale, le cinéma allemand va connaître un essor artistique. Jusque là, les pays d’Europe de l’Est étaient très mal ravitaillés en films. Pourtant, l’industrie germanique apprit que le cinéma Outre-Atlantique était devenu une entreprise profitable. Les grandes industries allemandes s’unirent pour fonder une puissante société de production : l’Universum Film Akliengesellschaft, plus connue sous le nom d’UFA.

 

L’expressionnisme apparaît comme une métaphore déformée établissant le destin d’une Allemagne de la République de Weimar.

 

Sur le plan technique, il évolua sans perdre son principe initial : vision subjective du monde à travers la magie des éclairages et de grandes toiles peintes afin d’activer le jeu mouvant de grandes ombres noires. L’emploi expressif de la lumière devint la marque de fabrique du cinéma allemand, expressionniste ou non. Pour que les opérateurs puissent utiliser toute les ressources de la photographie d’art, il fut décidé que les films seraient tournés uniquement en studio.

 

Le Cabinet du docteur Caligari (Robert Wiene, 1919)

 

Titre orignal : Das Kabinett des Doktor Caligari

 

Le Cabinet du Docteur Caligari by Robert Wiene 1919

Synopsis : Dans une fête foraine, en 1830, le docteur Caligari exhibe Cesare, un somnambule. Celui-ci prédit à un étudiant, Alan, qu'il vivra jusqu'à l'aube. Il est en effet assassiné dans son lit. Son ami Francis soupçonne Caligari. La jeune fille que convoitaient Alan et Francis est enlevée par Cesare. Poursuivi, le somnambule s'écroule après avoir abandonné son fardeau. Francis poursuit Caligari qui se réfugie dans un asile de fous, dont il s'avère être le directeur...

 

Le Cabinet du Docteur Caligari fut le premier type tragique créé pour le cinéma et marque le début de l’expressionnisme. Ce film présentait une vision du monde qui désarticulait la perspective, les éclairages, les formes, les architectures. Afin d’harmoniser cet univers déformé, les acteurs étaient affublés de costumes extravagants et maquillés d’une manière outrancière. Le jeu des acteurs se rapprochait de la pantomime. Afin que le public puisse accepter les audaces de la mise en scène, un prologue et un épilogue devaient expliquer que ce monde fantastique était la vision d’un fou. La morale était ainsi retournée : l’autorité, assimilée à la folie criminelle, devenait gardienne de la raison.

 

Ce film reste aujourd’hui l’une des clés de l’âme allemande. Le leitmotiv du scénario suggérait la révolte contre les cruautés de la guerre et contre l’autorité.

 

Le scénario et l’idée de le traiter dans le style expressionniste enthousiasmèrent le producteur Erich Pommer qui dirigeait la DECLA (Deutsche Eclair), regroupements de productions cinématographiques franco-allemandes.

 

Ayant tourné le dos à l’expressionnisme, Carl Mayer, scénariste du Cabinet du Docteur Caligari, devint l’une des figures montantes du Kammerspiel, littéralement "théâtre de chambre".

 

Le Kammerspiel était reconnu comme étant l’autre mouvement ayant marqué le cinéma allemand. Souvent opposé à l’expressionnisme, ces deux courants entretenaient d’étroits points communs tels que les thèmes sociaux.

Le Kammerspiel influença une part du cinéma allemand moderne qui s’orienta vers le réalisme avant de dominer une partie des films noirs aux Etats-Unis et les films policiers en France.

Friedrich W. Murnau réalisa Nosferatu, le Vampire. Bien qu’il fût tourné en extérieur, le film est chargé d’une certaine poésie.

 

Nosferatu, le vampire de Friedrich Wilhelm Murnau (1922)

 

Titre original : Nosferatu, eine Symphonie des Grauens

 

Nosferatu by Friedrich W. Murnau02 1922

Synopsis : En 1838, Hutter, jeune clerc de notaire, part conclure une vente avec un châtelain des Carpathes. Après des rencontres menaçantes et de funestes présages, il est reçu par le comte Orlock qui n'est autre que la réincarnation du vampire Nosferatu (symbolique du messager sinistre de la peste), créature qui ne peut vivre qu'en suçant le sang des humains.

Ce chef d'œuvre du cinéma muet d'épouvante tourné en décors naturels est la première adaptation fidèle du célèbre roman de Bram Stocker, Dracula, publié en 1897.

 

Par son absence de sous-titres, le Kammerspiel contraignait les scènes à une longue exposition et à une intrigue linéaire (unique). Cette simplicité n’impliquait pas forcément une universalité.

 

Les œuvres les plus importantes du cinéma expressionniste

 

L’horreur, le fantastique et le crime sont des thèmes prédominants dans le cinéma expressionniste.

 

Les Trois Lumières de Fritz Lang (1921)

 

Titre original : Der müde Tod

 

Les trois lumières Fritz Lang 1921

Synopsis : Aux abords d'une petite ville, sous les apparences d'un étranger à la silhouette longiligne et au visage grave et triste, la mort monte dans une diligence où se trouve déjà un couple d'amoureux. Tous trois arrivent dans "une petite ville perdue dans le passé". L'installation du mystérieux voyageur intrigue. Achetant un terrain près du cimetière, il l'entoure d'une impressionnante muraille loin des regards indiscrets...

 

Le Golem de Paul Wegener et Carl Boese (1920)

Titre original : Der Golem : Wie er in die Welt kam

 

Le montreur d’ombres de Arthur Robison (1923)

Titre original : Schatten - Eine nächtliche Halluzination

 

Le Cabinet des Figures de Cire de Paul Leni et leo Birinsky (1924)

Titre original : Das Wachsfigurenkabinett

 

Le Cabinet des Figures de Cires

ð  .Dernier film clôturant le mouvement expressionniste en 1924.

 

    Docteur Mabuse, le joueur de Fritz Lang (1922)

    Titre original : Doktor Mabuse, der Spieler

 

   Engagé par la DECLA, Fritz Lang commença par écrire des scénarios de films policiers et macabres.

 

Avec le Docteur Mabuse, Fritz Lang associa l’expressionnisme du décor aux intrigues policières dont il restait le spécialiste. Son film fournit une représentation de la dépravation de l’Allemagne au temps de l’inflation.

Metropolis de Fritz Lang (1927)

 

Metropolis02 Fritz Lang 1927

Synopsis : Des ouvriers travaillent dans les souterrains d'une fabuleuse métropole de l'an 2026. Ils assurent le bonheur des nantis qui vivent dans les jardins suspendus de la ville. Une femme-robot mène les ouvriers vers la révolte...

 

Avec ce film, Fritz Lang entreprit un hymne prophétique sur la future Allemagne.

 

"La fable fut prophétique pour ceux qui vécurent dans une Europe occupée qu’on voulait faire semblable à Metropolis".

 

Metropolis est un film où la science fiction y était l’expression d’un grand dessein politique. Cette œuvre majeure de l’histoire de l’expressionnisme marque la fin du cinéma allemand d’après guerre.

 

Le contexte politique

 

M. Le Maudit de Fritz Lang (1931)

Titre original : M - Eine Stadt sucht einen Mörder

 

M. Le Maudit Fritz Lang 1931

Synopsis : Un meurtrier d'enfant jette les habitants de Düsseldorf dans la terreur et l'hystérie si bien que la police et la pègre se mettent toutes les deux à sa poursuite. Des avis de recherches sont lancés et une récompense est promise…

 

Ce premier film parlant réalisé par Fritz Lang s’inspirait des crimes retentissants du Vampire de Düsseldorf. Lang voulu nommer son œuvre "Les Assassins sont parmi nous", mais on fit savoir au producteur que le film serait boycotté s’il gardait ce titre, considéré comme injurieux pour la nation allemande. Loin d’être une satire politique, Lang souhaitait présenter le meurtre comme étant une psychose sexuelle et individuelle. Le réalisateur proposait le thème qui domina toute sa carrière : la culpabilité.

 

"Son meurtrier était condamné par la pègre qu’il déshonorait, mais ce solitaire traqué, interprété de façon émouvante et inquiétante par l’acteur principal, apparaissait plus comme une victime que comme un bourreau".

 

La pègre justicière dans M. Le Maudit, redevenait criminelle dans Le Testament du Docteur Mabuse.

 

Le Testament du Docteur Mabuse de Fritz Lang (1933)

 

Le testament du docteur Mabuse Fritz Lang 1933

Grâce au succès du Docteur Mabuse (1922), Fritz Lang réalisa Le Testament du Docteur Mabuse (1933), dans lequel la parabole politique était plus qu’explicite, puisque le héros, présenté comme la chose du docteur Mabuse prisonnier, accomplissait les volontés de ce maître criminel.

 

Pendant la guerre, Fritz Lang dû se justifier à propos de l’histoire : un bandit fou, subordonnant le directeur de l’asile et dirigeant son propre gang, devait stigmatiser le terrorisme hitlérien, les doctrines du III° Reich ainsi que les théories nazies.

 

La référence à Mein Kampf, écrit en prison par Hitler, était tellement claire que le film fut interdit par Goebbels, ce qui n’empêcha pas ce dernier de proposer à Fritz Lang la direction de la production cinématographique du Reich.

 

Lang, dont la mère était juive, s'enfuit pour Paris, puis Hollywood, tandis que Théa von Harbou, son ex-compagne, adhéra au parti nazi et deviendra l’une des cinéastes du III° Reich.

Le cinéma hitlérien dénonçait le Kammerspiel et l’expressionnisme en les qualifiant "d’art dégénéré".

 

Entre 1925 et 1930, l’Allemagne accorda un intérêt pour les "Kultur-Films" et leur production fut sollicitée par l’UFA, avant qu’Hitler ne transforme ce genre documentaire en film de propagande.

 

L’évolution de la crise allemande marqua le déchaînement dans un pays à peine remis de l’inflation, de plus, elle s’accompagnait d’une crise politique permanente qui entraîna la chute du cinéma expressionniste.

 

"L’art ne peut être entièrement privé de liberté. La disparition du cinéma allemand, tué ou chloroformé, par le nazisme, laissa un vide profond en Europe occidentale".

 

Le cinéma allemand dans le discours critique américain

 

Entre 1921 et 1927, certains films allemands étaient importés aux Etats-Unis en raison de leur portée artistique qui se différenciaient des productions hollywoodiennes.

 

Les critiques américains leur trouvaient une explication esthétique qui se détachait du style hollywoodien conventionnel. Chaque film était évalué sur la base de trois critères esthétiques définis par des binômes opposés : spectaculaire/excessif, complexe/élitiste, artistique/complaisant.

 

Les journalistes considéraient les films allemands comme des œuvres d’art sophistiquées.

La première réalisation à être perçue comme telle fut Le Cabinet du Docteur Caligari, qui, lors de sa sortie aux Etats-Unis, était qualifiée d’influence cubiste ou de post impressionniste.

 

"L’art de Caligari s’exprimait à travers un authentique thriller, solide, cohérent et logique".

 

Dès 1923, les studios hollywoodiens recrutèrent des réalisateurs allemands afin d’accroître leur prestige et se donner une image de producteurs d’art populaire. Les studios prétendaient faire des « films hautement artistiques » afin de satisfaire un public restreint en comblant la demande d’une minorité, voulant ainsi outrepasser l’étiquette de « marchands de loisirs pour masses ».

 

Sources :

·         Histoire du cinéma mondial – 9ème édition, revue et augmentée - Georges Sadoul – 1949

·         Faire l’histoire du cinéma, les modèles américains – Robert C. Allen et Douglas Gomery - 1993

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