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ANALYSE FILMIQUE


Réalisation & Scénario : Lars Von Trier

Musique : Björk

Année : 2000

Pays : Danemark/Allemagne/Islande/Suède/USA/France

Genre : Comédie musicale dramatique


Synopsis : Dans les années soixante, Selma, immigrée tchécoslovaque, habite avec son fils une petite ville des Etats-Unis. Atteinte d’une maladie qui l’a rend peu à peu aveugle, Selma travaille très dur dans une usine de métallurgie, poussant ses limites et négligeant les règles de sécurité afin d’économiser l’argent nécessaire pour sauver son fils atteint de la même maladie. Passionnée de comédie musicale, Selma participe à des répétitions en compagnie de son amie et collègue de travail, Cathy, qu’elle surnomme Cvalda, ce qui lui permet d’échapper aux soucis et aux difficultés qui constituent son quotidien. S’évader le temps d’une danse, le temps d’une chanson dans une ville où les étrangers sont mal acceptés. Quand toutes ses économies ont été dérobées par l’officier de police ruiné et sans scrupule, Voulant récupérer son argent et souhaitant se défendre, Selma tue l’officier au cours d’une lutte. Jugée à tort (acte d’auto-défense) puis emprisonnée, elle sera condamnée à la peine capitale (Selma n’est pas une citoyenne américaine) malgré son innocence (car les tous les faits non pas été pris en compte) par pendaison.


Dancer in the dark est une comédie musicale dramatique comportant des incursions dans le mélodrame. L’ambiance du film est très pesante dès les premières secondes : cinq minutes d’écran noir en guise d’ouverture, accompagnées d’un orchestre symphonique en guise de bande sonore qui envahie l’oreille du spectateur dès le début du film, annonçant que l’ouïe sera beaucoup plus sollicitée que la vue.

Les séquences chantées et dansées agissent sur le spectateur comme des éléments libérateur, une pause dans le drame, proposant une atmosphère plus douce et plus légère dans la narration, hormis les deux dernières séquences qui viennent accentuer l’aspect mélodramatique du film, soulignant la gravité de l’instant : Selma ne pourra pas échapper à la pendaison mais personne ne pourra pas l’empêcher de chanter.


Techniques cinématographiques

 

Dancer in the dark n’est pas un film du Dogme 95 bien que le réalisateur en utilise certaines règles. Lars Von Trier a porté son choix sur un style naturalisme dans sa forme, quasi proche du style documentaire (caméra à l’épaule). En effet, les différents sujets traités y sont nombreux et viennent illustrer le film tels des éléments de dénonciation ou du moins un constat social et humain, témoin des injustices sociales de l’époque. Ce naturalisme-documentaire est associé à un symbolisme latent, surtout mis en avant durant les séquences musicales et chorégraphiées, qui fonctionnent telle une mise en abîme du fait de nombreuses citations qu’il génère. Ce symbolisme restera très prononcé et accentué dans les œuvres qui succèderont : Dogville (2002) et Antichrist (2008).

 

Ce style semi-documentaire est dû à l’utilisation d’une centaine de caméras DV, qui constituaient à l’époque une innovation technique dans le domaine audiovisuel, lors des séquences chantées et dansées, permettant l’utilisation d’échelles de plans peu courantes pour le genre, donnant au film une dimension différente par le biais d’un montage dynamique et haché de plans fixes et très courts, rythmant ces mêmes séquences. Une transgression originale qui le distingue des comédies musicales dites classiques où les échelles de plans se cantonnaient à des plans larges ou d’ensemble et à des mouvements de caméras tels que des travellings gauche-droite, permettant la liberté de mouvement aux acteurs.


Thèmes abordés

 

Les thèmes abordés sont divers et variés et témoignent du cinéma engagé cher au cinéaste. A travers la retranscription du milieu ouvrier immigré et du déterminisme social, le film constitue une critique virulente des conditions de travail dans l’Amérique libérale, protectionniste et xénophobe des années 60. Il constitue également un réquisitoire contre la peine de mort aux Etats-Unis et de ses injustices sociales. On y retrouve aussi la symbolique du sacrifice de la femme mais qui est beaucoup moins suggérée que dans Breaking the Waves (1996).


Le chant : une anomalie du dialogue cinématographique

 

Le dialogue chanté fait partie d’une des anomalies du dialogue cinématographique mais constitue une convention propre à la comédie musicale, souvent justifié par l’histoire, ce qui ne l’empêche pas de résonner d’une manière incongrue.

L’amour du chant est partagé par un bon nombre de cinéaste. En cela, l’objectif est bien de libérer les paroles des contraintes temporelles de la diction classique et des contraintes narratives qui pèsent sur tout discours réaliste. Il s’agit bien de raconter et de donner du sens à travers le chant.

 

Chanter le dialogue est une manière de l’émanciper de l’image, de lui donner une raison d’être indépendante du récit. Chanter le verbe, c’est revendiquer que sa nature n’est pas seulement dans le dit mais dans la manière de le dire, pas seulement dans le sens mais dans la présence.


Problématique : A travers quatre séquences mises en opposition, comment l’univers sonore est-il traité au sein de cette comédie musicale ?


Choix des séquences


1. Analyse séquence dans l’usine : « Cvalda sings »

 

Dancer in the Dark (2000)

 

Description de la scène : Selma se trouve sur son poste de travail et se met soudain à chanter et à danser au son récurrent des machines de l’usine qui l’inspirent. Elle invite son amie Cvalda ainsi que tous les ouvriers à chanter et à danser avec elle.

 

Séquence onirique comportant de nombreuses citations cinématographiques telles que Les Temps modernes (Modern Times, 1936) de Charlie Chaplin ainsi que par la présence de l’actrice Catherine Deneuve qui a notamment joué dans de nombreuses comédies musicales constituant une mise en abîme.


« A clatter-machine, what a magical sound ! A room full of noises, that’s spins us around.”


Omniprésence du son des machines exprimée à travers le chant et l’image et mise en évidence de nombreuses onomatopées. Les éléments du décor deviennent des instruments de musique par la force des choses entrainant une dynamique rythmique par le biais du montage, du chant et de la musique (intra-diégétique, hors-champ). Superposition de l’univers sonore : le bruit devient soudain musique entrainant le chant et la danse.

 

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2. Analyse séquence dans le train : « I’ve seen it all »

 

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Description de la scène : Après son travail, Selma s’échappe rapidement pour se retrouver près d’une ligne de chemin de fer, accompagnée d’un de ses collègues, qui lui fait la cour, elle lui avoue sa maladie et lui explique qu’elle n’a plus rien à perdre car elle a déjà vu tant de choses atroces, témoignant de son esprit fataliste. Mais ce dernier lui dit qu’il lui reste encore beaucoup de belles choses à découvrir.


« I’ve seen it all, I’ve seen the dark

I’ve seen the brightness in one little spark

I’ve seen what I chose and I’ve seen what I need

And that is enough, to want more would be greed

I’ve seen what I was and I know what I’ll be

I’ve seen it all, there is no more to see”.


Séquence mélodramatique exprimée à travers le chant et les paroles de Selma. Le bruit du train passant sur les rails annonce encore un univers sonore plus ou moins fantasmagorique distillé par des prises de vue d’ensemble alternées par des plans rapprochés et des gros plans.

 

La présence d’ouvriers sur le train en marche, répétant les paroles de la chanson de Selma fonctionne comme le chœur d’une tragédie grecque. Autre citation, celle du rêve américain, de la ruée vers l’or et d’un avenir meilleur. Cette séquence pourrait également évoquer les conditions de vie difficiles des premiers colons européens ou éventuellement « des hobos » américains allant de ville en ville pour trouver du travail.


3. Analyse séquence dans cellule : « My favourite things »

 

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Description de la scène : Selma est assise sur son lit, seule enfermée dans sa cellule silencieuse, elle découvre un soupirail par lequel elle croit percevoir un son, un murmure, un chuchotement, des voix qui se font lointaines mais dont la source n’est pas localisée. Selma recherche la musique et essaye de trouver le courage pour chanter « My favourite things » afin de se remonter le moral en remémorant « les choses qu’elle préfère ».

Dans cette séquence, la citation du film de Robert Wise, La Mélodie du bonheur (1965) est évidente.


« When the dog bites, when the bee stings

When I’m feeling so sad

I simply remember my favourite things

And then, I don’t’ feel so bad”.


Cette séquence apparaît comme un moment poignant du film. Le silence se fait pesant et stressant pour Selma qui aime s’évader à travers le chant et la musique par conséquent le moindre bruit, le moindre son possède une dimension irréelle. L’exiguïté de la cellule nous conforte dans une sensation de cloisonnement. Cette séquence renforce également l’appartenance du personnage au monde musical : ici un lien évident est fait entre le personnage que tient Björk, chanteuse de son état, pour qui connaît la biographie de l’artiste.

Les nombreux décadrages et plans rapprochés viennent renforcer ce sentiment de solitude et de désespoir. Les sons qui parviennent jusqu’aux oreilles du personnage apparaissent comme étant la matérialisation d’une entité invisible ; un personnage à part entière venant lui tenir compagnie dans ces derniers instants de vie.


4. Analyse séquence dans couloir de la mort : « 107 steps »

 

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Description de la scène : La gardienne vient chercher Selma car l’heure de son exécution approche à grands pas. Mais Selma manque de courage, alors pour l’aider la gardienne l’encourage à avancer petit à petit en frappant le sol de son pied et commence à compter. Alors commence le compte à rebours : les « 107 pas » qui sépare la cellule de Selma de la potence.

 

La séquence prend ici aussi une dimension irréelle et prend un ton cérémonieux et solennel, de l’ordre du sacré, entrainant une tension dramatique soutenue par le décompte des pas, la musique, les bruits des mains de Selma qu’elle frotte comme les barreaux des cellules qu’elle visite. Expression de la symbolique de la mort à travers un montage « cut », des plans serrés et dépouillés, une lumière froide et la musique omniprésente.

Cette séquence précède à celle de l’exécution (dernière séquence). Selma, la corde au cou, continuera de chanter jusqu’ à la fin.


Problématique : A travers quatre séquences mises en opposition, comment l’univers sonore est-il traité au sein de cette comédie musicale ?


Caractère influençable de la localisation de la source sonore

Le caractère presque toujours intéressé de l’audition (Qu’est-ce que c’est ? D’où ça vient ?), nous conduit à associer à beaucoup de sons entendus dans la vie la question de leur origine spatiale.

 

Dans la mesure où elle est possible, la localisation de la source sonore a été un phénomène étudié dans des cas « purs ».

 

Par exemple, une onde arrivant du côté gauche parviendra plus forte et plus tôt à l’oreille gauche qu’à l’oreille droite. La perception spatiale des basses fréquences est essentiellement due à la différence de temps, tandis que celle des fréquences élevées est due à la différence d’intensité.

 

Une localisation monaurale (avec une seule oreille) est possible lorsqu’on incline la tête, permettant au pavillon de créer des « retards par réflexion des lobes ». la localisation implique également une activité interne, dont il ressort que tendre l’oreille n’est pas une simple façon de s’exprimer. Quand on veut écouter plus spécialement d’une oreille, le « tensor tympani » permet de localiser l’origine des sons : « le signal augmente du côté intéressé, tandis que le bruit est concentré sur l’autre côté ». on écoute mieux et plus finement un son qui vient de face que de ce côté. Dans bien des cas, nous faisons appel au phénomène d’aimantation spatiale, c’est-à-dire, à la vision de la source qui « capte » l’audition et qui dicte le sentiment de localisation.

 

La discrimination d’unités, avec les sons, est assez difficile. Bien des événements sonores s’enchaînent, se masquent ou se chevauchent, dans le temps et dans l’espace, de telle manière que les découper perceptivement pour les étudier séparément n’est pas chose facile.

Dans le cas du cinéma, de la musique concrète et de tous les arts employant le montage sonore, il n’existe pas d’équivalent pour le son concernant la notion de plan, à savoir le principe d’une unité facile à repérer pour « tout ou rien ».

 

Pour le son, le découpage en unités du flux sonore semble utopique mais reste relatif à chaque système d’écoute. Concrètement, si nous voulons étudier les composants d’un film et les découper en éléments, il conviendra de tenir compte de leur nature. Au cinéma, le découpage sonore est rendu difficile car les sons se recouvrent les uns les autres comme des tuiles.

 

D’autre part, Il est difficile d’observer les sons sans avoir une attitude affective. En effet, conserver une attitude uniquement descriptive et désaffectivée n’est pas chose facile, car la vie sonore possède de ce fantastique pouvoir de déclencher une multitude d’affects. Ce phénomène propre à l’auditif ne possède pas son équivalent dans le domaine visuel. Parce ce le son s’obstine à nous renvoyer à autre chose qu’à lui-même, la difficulté réside dans le fait que nous avons le plus grand mal à l’écouter pour lui-même.


« Le visible l’emporte souvent sur l’audible, car dans le monde sonore ordinaire, les formes fortes sont rares, les formes faibles surabondantes (cf. onomatopées). Seuls les sons riches en timbres, en profils évolutifs, en événements bien dessinés ont alors une prégnance forte, une identification univoque, une rémanence prolongée. Les autres allument des images incertaines, flottantes, sans pour autant s’imprimer dans l’ouïe : les sources sont, certes localisées, même dans l’obscurité, mais piètrement identifiées ». Claude Bailblé


L’audible a la faculté d’éveiller des images, des sensations auxiliaires autres que sonores.

 

Le bruit

 

« Le bruit ignore l’obscurité et traverse la plupart des obstacles solides. Nous l’émettons à travers l’obstacle visuel et l’obscurité ».

 

Qu'est-ce que le bruit ? Comme pour le son, le bruit est un mot qui signifie exactement tout ce qu'on veut, la gamme de ses sens dérivés, imagés, poétiques ou symboliques étant infinie.

A quoi servent les bruits dans Dancer in the dark ? ils viennent souligner la musique ainsi que la voix. Rappel d’un univers industriel, métallurgique, mais également d’un continuum sonore dû au handicap du personnage principal atteint de cécité.

 

Dans Dancer in the dark, les bruits font partie intégrante de la bande sonore et viennent compléter l’univers sonore du film, ainsi, les bruits se fondent intégralement dans l’univers musical et sont plutôt perçus d’une manière positive. La perception de l’ensemble n’est pas pour autant confuse, car ces détails sonores sont accrochés sur un fil musical : le bruit est accroché sur le fil des notes et le musical n’est rien que ce fil. Si l’on supprime tous ces petits bruits, qui viennent agrémenter la bande sonore, et la musique perd de sa saveur.


« L’appréciation du bruit comme bruit et de la musique comme musique est affaire de contexte culturel et individuel, elle ne tient pas à la nature des éléments, mais pour beaucoup à la reconnaissance de la source comme « officiellement musicale », ainsi qu’à la perception d’un ordre ou d’un désordre particulier entre les sons. Les deux critères sont parfaitement indépendants, mais il semble que pour le « goût commun » il faille les deux ».


La musique

 

Au cinéma, l’ajout de musique est généralement considéré comme étant extra-diégétique car, à la base, elle ne fait pas partie de l’univers diégétique du film. Exception faite dans les comédies musicales où la musique est intra-diégétique mais bien souvent non localisée, c’est-à-dire, qu’elle se situe hors-champ.


La voix

 

Sans porter une étude approfondie sur la voix diffusée au cinéma, elle constitue un élément informatif pour le spectateur ainsi qu’un élément prépondérant à toute communication orale. Dans Dancer in the dark, la voix du personnage est intimement liée à la voix de la chanteuse-actrice Björk qu’on ne saurait attribuer à une autre personne, tant elle est spécifiquement identifiable et reconnaissable. Il est d’ailleurs conseillé de voir le film en version originale car le doublage en langue française ne correspond absolument pas à la personnalité caractérisant le personnage de Selma. Cette voix transcende le film qui apparaît comme magique et extraordinaire lors des séquences musicales, leur proférant une dimension réaliste, voire naturaliste. Le personnage de Selma chante avec une sincérité inouïe qui renforce le côté admiratif de sa voix. Mais Selma n’est pas une chanteuse, c’est une ouvrière qui chante pour s’accomplir en tant qu’être humain. Les différentes variations du chant provoquent chez le spectateur des sensations auditives, sensitives et affectives, qui ne le laisse pas indifférent.


Le son lointain

 

Les sons qui sont nommés dans les livres et les poésies romantiques sont fréquemment ceux qui retentissent à distance, ceux dont la cause est éloignée ou invisible, comme « écartés » de la vision ou de la présence de leur cause. Ces sons mettent en valeur, par effet de miroir, la personne qui les écoute.


Le silence

 

« L’être humain a besoin d’une nourriture sensorielle consistant en variations rythmées, la musique est l’une d’entre elles. L’absence de variations sensorielles est très vite difficile à supporter ». Michel Chion

 

Dans son discours et dans sa démarche artistique (cf. « Je n’ai pas besoin que le son me parle », au sujet du flux sonore de la circulation), John Cage définit le silence comme « un son qui ne parle pas ».

 

Sortie délibérément de son contexte, cette expression renvoie directement à la séquence n°3 de l’analyse filmique.


« Un environnement exceptionnellement calme nous met en position de pouvoir tout entendre du moindre son mais aussi de pouvoir être entendu de partout ».


Là où certains peuvent ressentir le silence telle une absence de son entrainant soit une sensation d’apaisement et de tranquillité, d’autres peuvent le ressentir d’une toute autre manière suivant le contexte de la situation ; dans le cas précis du personnage de Selma, le silence se fait pesant et inquiétant, renvoyant à la symbolique de la mort. Le silence se transforme alors en murmure et en chuchotement, pouvant signifier un appel à l’aide, correspondant à une éventuelle issue de secours (à travers le soupirail) retranscrivant le côté salvateur de la musique. A l’inverse de John Cage, le personnage, lui, a besoin de cette source sonore pour vivre.

 

Par conséquent, toute l’importance du son et du non-son est retranscrit dans cette séquence qui transforme la scène en une sorte de dimension hallucinatoire et affective, renforcée par la simplicité des objets filmés et les nombreux décadrages entrainant une déshumanisation du personnage : Selma n’est plus qu’un corps quasi mort dont la dernière force réside dans la voix et ceci jusqu’à son exécution.


Le bruit du temps

 

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Bien que n’ayant pas sélectionné la dernière séquence comme élément d’analyse, il convient tout de même de s’y arrêter quelques instants afin d’y mettre en exergue le bruit du temps.

 Selma, la corde au cou, est sur le point d’être pendue, malgré cela, elle continue de chanter de toutes ses forces de tout son cœur. Cette séquence est assez poignante surtout quand on connaît l’issue de la scène.

 

Dans le chapitre « Dans l’éternité d’un passé composé de l’écoute », Michel Chion parle du bruit du temps comme étant un son facilement persécutif s’il matérialise l’écoulement du temps. Dans Dancer in the dark, la voix de Selma se constitue comme un son d’horloge, un compte à rebours inévitable, qui « exaspère et affole notre mécanisme d’anticipation, sans lequel nous ne pourrions pas vivre », tel le supplice sonore de l’égouttement qui nous fait entendre chaque son l’un après l’autre. Si nous avions la possibilité de ne plus entendre la voix du personnage, qui aurait pu être interrompue par la sonnerie du téléphone (symbole connu de tout un chacun lors d’une exécution capitale, peut-être est-ce la fin de cet outrageant et insoutenable spectacle ?), telle la goutte suivante, le supplice cesserait.


En conclusion, il existe un continuum sonore où parole, bruit et musique appartiennent au même monde. Ce qui est discontinu, ce sont nos écoutes qui évoluent entre plusieurs niveaux d’écoute, en clair le son est continu mais notre façon d’écouter ne l’est pas ; l’écoute est différente suivant les individus, les circonstances et les éléments mis en situation.

 

L’esthétique du bruit au cinéma se résume à une adéquation entre le son employé et l’effet recherché, esthétique qui est entièrement assujettie à une logique narrative et dramatique. Le sentiment de beauté sonore est donc lié à la perception de certains critères sonores soit harmonieusement combinés, soit adaptés à un certain contexte. Dancer in the dark est un film qui utilise ces deux principes.


Sources :

Le son ~ Michel Chion ~ 1998.

Le dialogue : du texte écrit à la voix mise en scène ~ Claire Vassé in Les Cahiers du Cinéma.



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