ANALYSE FILMIQUE EXTRAIT DU CHAPTER 5 : SHOWDOWN AT HOUSE BLUE LEAVES

Pour une aisance de lisibilité, les trois parties ont été subdivisées en 13 unités temporelles (notées UT), afin de faire ressortir les éléments importants nécessaires à l’analyse.


PARTIE 1 : LA COULEUR

Eléments techniques au service de la narration, le calme avant le combat, « Que la volonté de Dieu soit faite »

Pour comprendre, ce qui va suivre, il conviendra de s’arrêter quelques instants plus tôt dans la narration, quand Johnny Moo fait une entrée fracassante sur la scène de la Villa Bleue en lançant un formidable « kiaï », un puissant cri appelant au combat. Dès le cri poussé, une armada de yakuzas déboule sur le lieu du combat (la scène de la Villa Bleue), tel un afflux de sang qui se déverse sur le champ de bataille. Ce même lieu, cette piste de danse (l’Eros) où la vie se déroulait (Cf. Pina Bausch : « La danse du côté de la vie ».), deviendra le lieu où se déroulera une multitude d’atrocités et mutilations en tous genres, lieu où le Thanatos pourra opérer, Black Mamba se retrouve encerclée par les « 88 fous », encerclée par le sang et par la mort.


UT 1 : 1h18mn28s à 1h18mn52s

Les éléments composant UT 1 ont un effet d’annonce, non seulement d’un point de vue narratif mais également symbolique.

Dans la culture japonaise, il existe pour toutes choses un « omote » et un « ura », c’est-à-dire, une face publique et une face privée.

Ces éléments composent une partie de l’univers d’O-Ren Ichii : les armes (« Les armes ignorent la lassitude ».), la guerre (les hommes de main tels des guerriers), le sang, la mort. En cela, la Villa Bleue constitue le territoire d’O-Ren Ichii et la piste de danse pourrait constituer son « omote », sa face publique, son champ de bataille ;  et, quiconque souhaite faire tomber son « ura » (sa prestance, son honneur, sa réputation), devra répondre d’un fabuleux courage, d’une détermination à toute épreuve ainsi que d’une sacrée dose d’ingéniosité doublée d’un ego masculin surdimensionné !

En cela, O-Ren Ichii est un véritable samouraï au sens noble du terme, une guerrière, plus précisément « une rônin », « une femme de la vague » (un samouraï sans maître), sachant user de stratégie en y appliquant ses propres règles (« Si tu ne sais pas te battre en samouraï… au moins, tu mourras en samouraï ».).

La stratégie d’O-Ren est d’épuiser son adversaire (Black Mamba) au combat afin de prendre l’avantage lors du duel final. Cette scène met en avant la prestance, la réputation de tueuse d’O-Ren Ichii, à savoir qu’elle signifie à Black Mamba qu’elle devra mériter le duel, en affrontant les diverses épreuves qu’elle lui impose.

D’un point de vue stratégique, le premier « kiaï », symbolise le début d’un combat et il est généralement suivi par d’autres cris guerriers, qui servent généralement soit à déstabiliser l’adversaire, soit à le pétrifier ou à le ramener à la vie. Ce « kiaï » indique par conséquent que le combat a déjà commencé d’un point de vue narratif.

Description : Gros plan sur le regard de Johnny Moo qui pousse un « kiaï » puis travelling optique sur le visage du chef de la garde rapprochée, image fixe sur son regard, puis gros plan sur le regard de Black Mamba, qui ne paraît aucunement apeurée mais qui semble plutôt déjà réfléchir à une tactique de combat, ce qui sera confirmé par les trois mêmes gros plans suivants, qui soulignent au passage le caractère guerrier de l’héroïne. Car Black Mamba est également un samouraï sachant user de stratégie, de courage et de volonté.

Le plan d’ensemble sur Johnny Moo centré à l’image, avec chaque côté, le flux régulier et continu des yakuzas accourant sur le champ de bataille, symbolise la pulsation du flux sanguin, et annonce que ce flux va être interrompu car quelque chose d’horrible se prépare. Ce plan évoque d’une manière subliminale, la scène mythique du film de Stanley Kubrick, « Shining » (1980, USA/GB), dans laquelle des hectolitres d’hémoglobine sont déversées dans l’ascenseur de l’hôtel. Une image subliminale qui possède une fonction prédicative : à partir du « kiaï » et jusqu’à ce que mort s’ensuive, le sang devra couler à flot.

Gros plan sur O-Ren Ichii : le personnage est situé à l’étage, domine la scène ainsi que la situation, du moins, semble-t-il le croire. O-Ren, un sourire de convenance figé sur son visage (son « omote »), semble déjà se délecter du spectacle qui va avoir lieu sous ses yeux. Ce qui place Black Mamba dans un rapport dominant/dominé à l’image comme dans la narration : O-Ren domine la situation puisque Black Mamba est cernée de toutes parts, cernée par les yakuzas, et par extension, par la mort et le sang qui sera versé sur un territoire qui lui est, pour l’instant, étranger.


UT 2 : 1h18mn52s à1h19mn02s

La musique (The RZA - « Crane ») débute sur le gros plan de l’arme de Johnny Moo. La caméra parcourt en travelling oblique toute la longueur de l’arme pour finir sur le gros plan du visage du personnage.

Rythme : Les éléments qui constituent la scène se mettent lentement en place. Le combat est sur le point de débuter.


UT 3 : 1h19mn02s à 1h19mn37s

Cette UT constitue une exposition qu’il convient de décrire plan par plan (dix plans), car elle semble pouvoir apporter l’explication sur le caractère sacré que prend cette scène (omniscience de la caméra) et de la dimension extraordinaire que prend le combat.

Cette première partie se présente comme un deuxième élément de la stratégie d’un combat au sabre (mise en place du combat, le personnage principal observe ses adversaires sans bouger.

Les mouvements de caméra ainsi que les angles de prises de vue confèrent à la scène une impression qu’il y a « une entité » qui sur-(veille) d’en haut, faisant raisonner les paroles de Black Mamba comme un leitmotiv (monologue voix-off, fin Chapter One) : « […] Quand la chance favorise une chose aussi laide et violente que la vengeance, on y voit une preuve irréfutable que non seulement Dieu existe mais qu’on agit selon sa volonté. […] ».

La partie en couleurs expose la situation dans laquelle le personnage se retrouve avant que le combat ne débute (situation initiale du personnage = position d’infériorité), puis à la fin du combat qui signe celle de la séquence, retour à la couleur, dernier et ultime combat avec le chef de la garde rapprochée d’O-Ren Ichii (situation finale du personnage = position de supériorité).

Néanmoins, la caméra en plongée totale confère au personnage une place prépondérante. Le personnage principal, se trouve à la fois, au centre de deux carrés, l’un représenté par le jardin sec japonais, lui-même entouré par un autre carré au sein duquel les hommes de main d’O-Ren Ichii forment un cercle (plan 2), cercle au milieu duquel se trouve Black Mamba.

Le spectacle de la vengeance, du combat et de la mort se met donc en place sous l’œil vigilant de cette « instance » invisible que l’on ne peut pas, dans ce cas précis, considérer comme étant une caméra subjective. En effet, les mouvements de caméra nous signifient que le cinéaste a voulu nous donner l’occasion, je dirais même plus, la chance, particulière, fantastique, mais surtout rare, de contempler  « le cœur d’un combat » (cœur = kokoro en japonais, dans la philosophie martiale nippone, il savoir faut combattre avec le cœur.

Rythme : Les éléments qui constituent la scène se mettent lentement en place. Le combat est sur le point de débuter et la stratégie de combat de Black Mamba se met en place également. Rupture de la musique (rythme).


UT 4 : 1h19mn37s à 1h19mn52s

Rupture brutale du rythme précédent par l’image et le son. La musique s’arrête pour faire place à l’action, au combat. Cette rupture par le son et par l’image annonce le chaos qui suivra quelques centièmes de secondes plus tard. Le combat est engagé. Black Mamba frappe ses adversaires avec énergie.

Le rythme du combat suit le rythme du montage (montage cut rapide sur environ 15 plans), donnant l’impression que le combat se déroule dès le départ à un rythme soutenu. Le but de Black Mamba est d’éliminer le plus d’adversaires possible en peu de temps, car elle garde en tête son objectif principal.

Puis, arrive une seconde rupture narrative (Black Mamba arrache l’œil de son adversaire) puis, passage au noir et blanc. (Confère Partie 2 : Le N&B).


PARTIE 2 : LE NOIR & BLANC : 1h19mn52s à 1h23mn23s

Le passage au noir et blanc témoigne en partie de la psychologie du personnage et le passage dans l’univers d’O-Ren Ichii (dans l’ « ura », la face privée). A partir du moment où Black Mamba arrache l’œil d’un de ses adversaires, elle se voit basculer dans l’univers de son ennemie ; un univers violent peuplé d’atrocités et de mutilations dont les éléments prépondérants sont le sang et la mort.  Au cours du combat, Black Mamba se voit contrainte par la force des choses de pénétrer dans cet univers si elle veut atteindre son objectif.


UT 5 : 1h19mn52s à 1h21mn19s

Etude d’une partie spécifique du segment afin de mettre en évidence l’usage du plan gore, utilisé dans le but de détailler l’action. Le détail, la blessure causée par le sabre, utilisé comme partie pour un tout, le combat, ce qui inclut le concept de montrer de ce que généralement on ne voit pas afin de compléter la narration.

Afin de pouvoir correctement argumenter l’analyse, il conviendra de définir ce que les termes gore et plan gore signifient, en établissant un rapide historique et les codes qui régissent ce genre cinématographique. Rapport entre l’image (échelles de plan) et le son, approche par la vérification. Cf. tableau annexe 2.

Rythme : rupture du rythme par la musique (chambara eiga), le combat continue.


UT 6 : 1h21mn19s à 1h21mn43s

Eclairage sur le personnage : le personnage est toujours éclairé d’en haut ce qui lui donne une dimension « divine » ; le personnage agirait-il vraiment selon la volonté de Dieu ?

Rythme : rupture de la musique.


UT 7 : 1h21mn43s à 1h21mn46s

Alors que Black Mamba se démène en plein combat, elle regarde vers le haut pour voir O-Ren Ichii. L’objectif de Black Mamba est de la tuer, celle-ci réapparaît (raccord regard), on sous-entend qu’elle a été témoin d’un spectacle qui est devenu lassant pour elle, ce pour quoi elle tourne le dos à la scène de combat.

Les actions de Black Mamba sont téliques. Elles sont toutes motivées par un seul et unique but : tuer Bill. Le combat avec O-Ren Ichii constitue le premier combat, d’un point de vue chronologique, puisque que ce dernier est évoqué lorsque le personnage principal raye le nom de Vernita Green, celui d’O-Ren Ichii est déjà barré. C’est ce  « premier » combat qui nous sera présenté en dernier. Le combat avec Vernita Green, ne constitue finalement qu’un résumé qu’est le combat à la Villa Bleue.


UT 8 : 1h21mn46s à 1h22mn07s

Le combat continue à un rythme soutenu car il reste encore beaucoup d’adversaires à abattre.

Rythme : rupture de la musique. Puis musique inquiétante.


UT 9 : 1h22mn07s à 1h22mn27s

Black Mamba constate les dégâts causés par son arme. Elle use de stratégie afin d’évaluer le nombre d’adversaires qui lui reste à combattre en les rassemblant (malgré eux) au centre de la piste de danse, qui constitue un élément essentiel de l’extrait.

Rythme : rupture.


UT 10 : 1h22mn27s à 1h23mn23s

Une musique entraînante commence, le combat s’accélère, comme il est dit dans le « Traité des Cinq Roues », changer de rythme ! Black Mamba use de stratégie en rassemblant ses adversaires au centre de la piste afin de les immobiliser en leur coupant les membres inférieurs.


Le théâtre de la violence : l’usage du plan gore

Définition et historique

Thème sanglant qu'est le Gore, dont l'origine signifie « le sang versé sur le champ de bataille ». En vieil anglais, il désignait des saletés et des excréments et en vieil hollandais, « goor », désignait quelque chose de miteux et de minable. En norois, « gor », signifiait, substance visqueuse.

Shakespeare utilisa ce mot dans Macbeth pour signifier la souillure et ainsi opposer « gore » à « blood », terme plus générique pour désigner le sang. Dans ce cas, « gore » aura plutôt une connotation poétique dans l’expression « blood and gore ».

Dès 1906, Georges Méliès, artiste complet et fantaisiste, plus connu sous le nom de cinémagicien, proposait une scène de clôture s'avérant être sanglante dans Les Incendiaires. Il précise qu'il a toujours veillé à rendre plus burlesques que terrifiantes, les diverses mutations physiques qu'il a mises en scène.

"La représentation du sang dans les films de cette époque relève d'avantage d'une volonté d'exagération comique que d'une intention naturaliste".

Le gros plan de l'œil tranché au rasoir dans Un Chien Andalou de Luis Buñuel marquera l'esprit du spectateur. Ce plan arrivant dès le début du film est d'autant plus barbare qu'il ne semble être justifié que par une rime visuelle.
Cependant, cette scène est coupée de tout lien avec un quelconque réalisme. Pour le cinéaste, les parties du corps deviennent des objets avec lesquels il peut jouer en toute impunité, ce qui contribue à la distanciation du spectateur par rapport aux images. Le choc visuel est trop fort pour laisser ce dernier insensible.

« Près de 40 ans avant la mode du cinéma gore, Buñuel, dans un tout autre style, en utilise déjà le potentiel ».

Blood Feast, réalisé par Herschell Gordon Lewis en 1963, fût considéré comme le tout premier film gore. Les motivations premières de l'auteur (et de son producteur) relevaient davantage du commerce que de l'art : « Blood Feast est un accident de l'histoire. Nous ne cherchions pas à inventer un nouveau genre, mais plutôt à nous dégager d'un ancien genre", avoue Lewis [...] ».

Qualifié de cinéma sanglant, voire d'horreur gratuite (Cf. Le cinéma fantastique et ses mythologies 1895-1970 - Gérard Lenne), Marc Godin en propose une définition assez juste : « Le gore fait gicler le sang et le fixe, le plus longtemps possible sur l'écran ». (Cf. Gore : autopsie d'un cinéma - 1994).

Royaume du faux et de l'illusion, le Gore est un genre esthétique et esthétisant à part entière et revendique les artifices qui le constituent. Comme les autres styles cinématographiques, il suit ses propres règles, techniques et scénaristiques.

En connaissance de cause, les snuff-movies ainsi que les films où des animaux ont été réellement massacrés pour les besoins du tournage, ne sauraient être estampillés du label Gore.

« Le Gore, refus catégorique de la suggestion, ne se préoccupe guère d'effrayer son public, mais cherche avant tout à le choquer et à l'écoeurer. [...] Quoi qu'on pense de la valeur artistique des films gores, il serait vain de les comparer aux reportages d'actualité qui enregistrent des morts bien réelles. Le spectateur d'un film gore sait d'emblée que les atrocités détaillées sur l'écran sont fictives et qu'il peut s'abandonner à leur contemplation sans arrière-pensée pour les victimes. En cela, on ne saurait suivre John Carpenter quand, évoquant le succès de certains films gore, il rappelle que : « Nous nous précipitons tous pour regarder les accidents, rien que pour voir, parce que c'est mal. Il y a quelque chose de tabou dans le fait de se repaître de ce genre de violence ». (Entretien pour L'écran fantastique n° 28, octobre 1982.)

Prônant le sens du détail sanguin, le plan gore propose donc une nouvelle façon d'aborder la mort et la violence au cinéma, ce qui remet en cause toute une syntaxe cinématographique adoptée par la majeure partie des réalisateurs.


Les incursions du gore dans le cinéma non horrifique

Bien qu'il ait été relégué au rang de sous-genre, le Gore continue néanmoins à inspirer les réalisateurs les plus originaux et à ouvrir de nouveaux horizons au cinéma de genre, principalement les films de guerre et les polars.

En effet, au cours des années 1990, l'intrusion du gore dans le cinéma grand public ne suscite même plus l'étonnement. Près de quatorze millions de spectateurs français applaudissent la décapitation d'un seigneur féodal, Les Visiteurs (Jean-Marie Poiré, France, 1993). Les professeurs de lettres projettent le Germinal de Claude Berri (France, 1993) à des centaines de milliers d'élèves et nul ne s'offusque d'une sanglante castration complaisamment filmée .

L'insert (très gros plan) sur l'œil becqueté par un corbeau dans Le Hussard sur le toit (Jean-Paul Rappeneau, France, 1995) confirme que, dans les productions les plus académiques, le « plan gore » est devenu une sorte de figure obligée. Aujourd'hui, le gore joue surtout un grand rôle dans le renouveau du film criminel. Quentin Tarantino, cinéaste original et accessoirement « vidéothèque ambulante », fait partie de ces jeunes réalisateurs qui revisitent le genre en y introduisant des éléments d'horreur visuelle.

Paradoxalement, on retrouve plus de scènes gores dans les polars que dans les films d'horreur, eux-mêmes souvent produits par les gros studios hollywoodiens, désireux de limiter les débordements sanglants. Affaibli par une surenchère dans l'auto-parodie, qui rend ses excès de moins en moins crédibles, et, privé de l'originalité qui avait assuré son succès, le cinéma gore tend alors à disparaître et Tarantino (entre autres) est l'un de ceux qui persistent à entretenir la flamme. (Cf. film néo-noir, l'éparpillement des années 90, pages 114 et 115).


Effets gore, effet du gore

Le plan gore (gros plan sur les mutilations) est inclus, dans ce cas précis, dans une scène de violence où il acquiert tout sa légitimité, puisque nous avons affaire à un combat au sabre.

Il exprime une image horrifique qui choque, qui terrifie, qui effraie, qui écoeure, finalement, c’est une image qui provoque, une image subversive d’un point de vue esthétique et narratif.

Le plan gore s’inscrit donc dans la scène de combat qui devient elle-même gore car le récit le permet. Le plan gore constitue un point de vue visuel excessif, connotant une situation extrême, ici, celle de l’effusion de sang. Tarantino utilise les codes du cinéma gore en les adaptant à son propre univers. Il en démonte la mécanique pour mieux l’implanter, pour mieux se l’approprier dans un contexte narratif et un univers diégétique différents et en dévie la signification première pour le transformer en un arrêt sur image.

En figeant le temps par la captation de l’objet en gros plan ou en plan rapproché (le plan gore), le cinéaste nous prouve qu’il a, non seulement, le sens du détail mais qu’il sait également nous le restituer à l’image d’une façon réaliste et esthétique. Le combat semble donc s’inscrire dans une stratégie de l’excès. Le cinéma gore étant considéré comme un cinéma de tous les excès, le carnage provoqué par Black Mamba apparaît excessif de par le nombre d’adversaires qu’elle a à combattre.

 « Le gore, c’est la fin d’une certaine idée du cinéma et donc l’abandon d’une certaine manière de filmer. Car le gore ne se contente pas de répandre des litres de sang là où naguère quelques gouttes suffisaient. Il signifie aussi la fin du règne absolu du hors-champ et de l’ellipse. La caméra a investi le premier pour mieux se repaître de l’horreur ; quant à la seconde, elle n’a plus cours lorsque la mort et la souffrance physique deviennent un spectacle à restituer dans sa continuité. Or, dès l’instant qu’il s’agit de montrer au lieu de cacher, la question n’est pas tant « Qu’allons-nous voir ? » que « Comment allons-nous le voir ? ». L’adoption du gore conduit les réalisateurs à recourir à une rhétorique spécifique ; la représentation a ses règles ; lorsqu’on veut faire profiter du spectacle, il faut savoir offrir le meilleure angle de vision ».

Le cinéma gore diffuse une esthétique de l’excès qui affecte profondément le rythme, la structure et le ton de la dramaturgie.

 « Le cinéaste suggère le tout en arrêtant son regard sur la partie. Le « qui montre » n’est pas une affaire de construction pouvant se résumer à une simple fragmentation du physique, il concerne toujours la question du regard posé par ce qui est invisible et sur ce qui ne l’est pas : qu’il n’y ait contrechamp ou pas, que cet invisible ne le soit que temporairement, n’empêche pas cette distance entre les deux dimensions d’être assez exactement celle des films, au croisement de ce que l’on voit et de ce que l’on ne voit pas ou plutôt trace de ce qu’on ne voit pas dans ce que l’on voit. Cela donne l‘impression que le lieu de la caméra est celui d’une caverne, suggérant l’état pré-natal comme post-mortem : le corps lui-même se dédouble en objet et sujet ». (Cf. Le musée imaginaire de Quentin Tarantino - Le lieu de la caméra : une boîte de Pandore, p. 50 - Philippe Ortoli).

La seconde partie est délimitée par la séquence en noir et blanc qui se compose de scènes de mutilation permettant d’apporter, dans un premier temps, une étude sur l’esthétique du plan « gore », grâce à la représentation des blessures que peut engendrer une lame de katana.

Cette deuxième partie se divise elle-même en deux-sous parties, dont le point de rupture est constitué d’une part, par l’insert du regard de Black Mamba, d’autre part, le raccord regard constitue l’image d’O-Ren Ichii, certainement lassée par le combat qui se déroule sous ses yeux, tournant le dos au champ de bataille, tout en fermant d’une façon énervée la porte coulissante de la pièce, d’un air que l’on suppose indifférent.

Ici, le cinéaste joue sur ce qui est montré et sur ce qui ne l’est pas mais qui peut-être supposé, voire deviné par le spectateur. En outre, dans la société nippone (O-Ren Ichii est métisse sino-américaine et japonaise), il est de bon aloi « de ne pas perdre la face » et cette règle s’applique encore plus fortement lorsque que l’on porte un sabre. En comparaison, dans la culture japonaise, toute chose, y compris un katana, possède un « Omote », une face publique et une face privée appelée « Ura ». Le plan montrant O-Ren Ichii de dos, nous dévoile sa face publique (elle semble être indifférente au combat, Black Mamba ne mérite même pas son attention), mais également sa face privée, à travers sa gestuelle qui trahit son agacement (elle ferme la porte d’une façon énervée) et dévoile par conséquent son « ura ».

Ces deux plans très courts viennent briser le rythme du combat et n’ont de raison d’être que parce qu’O-Ren Ichii constitue l’objectif à atteindre et que Black Mamba va devoir accélérer le mouvement (le combat) afin de poursuivre sa quête de vengeance. Ainsi le combat se poursuit, accompagné d’une musique entrainante qui vient se mêler au bruit des coups de lames, faisant prendre un tout autre aspect à la scène, qui, au passage, tournait au carnage sans concession.

Cette partie en noir et blanc possède également une fonction de rappel (qui confirme la psychologie du personnage), jouant sur la mémoire du spectateur, lui rappelant le caractère fort et puissant du personnage (Cf. Chapter One : 2, les paroles de Black Mamba à Vipère Cuivrée alias Vernita Green : « Je suis sans pitié, sans scrupule, sans compassion et sans indulgence… pas sans intelligence ».). En effet, même si elle est guidée par la vengeance (divine ?), Black Mamba n’en garde pas moins la tête sur les épaules, en se montrant tout à la fois habile, maligne, stratégique et surtout déterminée.

Ce que démontre en outre cette séquence en appliquant une dynamique du montage ainsi que des échelles de plans (du plan d’ensemble au très gros plan), confirmant l’omniscience de la caméra, qui donne un aspect sacré à la scène (le spectateur se situe au cœur du combat et ne verra que le résultat en couleurs qu’à la fin de ce même combat : les corps pourfendus par le sabre de Black Mamba et les gémissements des hommes gisant sur le champ de bataille) ; confirmant l’évolution et le changement du rythme de l’action (drama), action soutenue et renforcée par la musique et le bruitage ; l’exposition constante à la lumière du personnage principal, qui se situe non seulement au centre de la scène, est également devenu le centre d’intérêt des hommes de mains d’O-Ren Ichii, mais aussi le centre d’attention d’une « instance » invisible, que l’on ne voit pas mais qui voit (la caméra en plongée totale), et par extension, qui pourrait être considérée comme une matérialisation divine (leitmotiv de l’aspect divin de la vengeance dans le contexte du film).

Cette instance observe d’en haut et cela depuis le début du film par la répétition des plans en plongée totale, telle Athéna, déesse latine de la guerre, par exemple, qui nous (les spectateurs) permettrait de contempler le spectacle tragique du champ de bataille, qui nous permettrait en quelque sorte de pouvoir observer en toute quiétude le spectacle de la mort.

Le cinéaste choisit de « sur-exposer » le sujet (Black Mamba), même durant le combat, en l’éclairant par le haut, lui donnant des allures d’ange de la mort, voire de déesse guerrière moderne lui conférant une signification quasi-théologique.

Le passage de la couleur au noir et blanc constitue un point de vue esthétique et narratif. D’après Philippe Ortoli, le cinéma reproduit des perceptions. La transformation de la pellicule s’effectue en même temps que Black Mamba arrache l’œil de son adversaire. Le film nous propose de prolonger cet acte, qui adopte une valeur symbolique, puisqu’il témoigne d’une mutilation, à l’ensemble de la scène. Le passage où Black Mamba arrache l’œil de son adversaire, indique que le personnage plonge, en même temps que son protagoniste, dans les ténèbres. Ce passage par le noir et le blanc a par conséquent « une valeur de descentes aux enfers nécessaire pour trouver l’impulsion apte à conquérir l’espace ».


Personnification du sabre : l’objet devient le sujet

Le sabre (le katana en japonais), objet qui devient lui aussi omniprésent dans l’extrait, qui devient sujet par la force des choses, est une arme considérée comme une œuvre d’art dans la culture nippone et le cinéaste nous permet de pouvoir la contempler sous toutes les coutures : (Cf. tableau annexe 1)

La première partie du sabre, appelée « monouchi », littéralement, objet de frappe (Partie 1, UT 3, plan 3) constitue le prolongement du corps du personnage.

Le sabre, face publique (Partie 1, UT 3, plan 5), sépare l’image en deux parties (1/3-2/3). Détail apparent, le poinçon confirmant que le sabre a été fabriqué par Hattori Hanzo (Cf. Chapter 5 : The Man From Okinawa). Dans la tradition de fabrication, le poinçon constitue une marque de fabrique, une signature gravée du maître (souvent l’emblème de la famille) qui a forgé le katana.

L’ « ura » du sabre (face privée), tel un miroir (Partie 1, UT 3, plan 6), permet au spectateur d’apercevoir le hors-champ, c’est-à-dire, se qu’il passe dans le dos de Black Mamba.

Le katana est considéré comme un objet d’art dans la culture nippone et la preuve nous en est apportée dans le Chapter 4 : The Man from Okinawa. Hattori Hanzo, ancien forgeron devenu collectionneur par la force des choses : « Cette collection, je ne la conserve que pour sa valeur esthétique et affective ». Mais le sabre est une arme tranchante, qui coupe les corps d’une façon nette et précise et provoque la mort avec effusion de sang, et, le cinéaste nous en apporte la preuve en images, en nous montrant, dès le début du Chapter 5, les dégâts provoqués par ce même objet d’admiration. (Cf. Partie 1, UT 4 : 1h19mn37s à 1h19mn52s).

Le personnage, par son action, apporte une démonstration sur les effets provoqués par l’arme montrée auparavant sous toutes les coutures. Cette action pourrait se décrire par l’utilisation de verbes d’action employés au participe présent : tranchant, pourfendant, frappant.

Cette arme utilisée par les samouraïs des temps anciens, que ces derniers considéraient comme leur âme (Cf. Le Sabre du Mal (Sword of Doom en anglais, Dai-bosatsu tôge, en japonais, de Kihachi Okatomo, 1966) : « L’étude du sabre, c’est l’étude l’âme. Ame perverse, sabre pervers ».), est ici décrite comme un élément engendrant la mort malgré la beauté et la pureté qui en émane.

Le sabre pourfendeur de nuages diffuse le concept zen du sabre pour la vie. Mais dans ce contexte précis qu’est le film Kill Bill volume 1, le sabre pourfend pour accomplir une vengeance (celle de Black Mamba) qui émanerait du divin.

Le sabre est ainsi personnifié, car non seulement il constitue le prolongement du corps du personnage principal, mais également par son omniprésence à l’image (les fonctions du sabre sont détaillées dans le Chapter 5). Grâce au bruitage des lames qui s’entrechoquent tout au long de la séquence, souligné par la musique (musique métallique), et matérialisé par le décor (fond bleu, personnages en ombres chinoises), le sabre devient un des éléments prépondérant, un personnage indispensable à la continuité de la narration (Cf. Partie 3 : Les ombres chinoises).


PARTIE 3 : LES OMBRES CHINOISES

UT 11 : 1h23mn23s à 1h24mn20s

Rupture : passage du N&B à la couleur (un court moment), puis la lumière s’éteint, passage en contre-jour, rappelant les ombres chinoises.

La troisième partie filmée en contre-jour est construite de manière à rappeler la présence du sabre, bien que dans cette partie nous n’en n’aurons que les échos, à savoir le bruit des lames qui tranchent, coupent et pourfendent. On passe d’un univers éclairé et chaud à un univers sombre et froid. Le fond bleutée, le sol-miroir, le bruit des coups de lames qui tranchent les chairs des assaillants, diffusant une ambiance métallique, rappellent le côté chirurgical et précis de la lame qui pourfend en un seul et unique coup mortel, tout est réuni pour laisser place au sabre et au spectacle du combat.

Une scène qui fait appel à un imaginaire collectif grâce à certaines références de la culture asiatique : les ombres chinoises, les samouraïs (le sabre), met en avant l’aspect héroïque du personnage, rappelant les épopées de valeureux bushis représentés dans les scènes de théâtre Nô. En effet, ce passage donne l’impression que le combat se déroule sur une scène vue de face avec un renforcement de la présence du quatrième mur. Dans cette partie, le cinéaste nous permet de distinguer (les silhouettes) mais ne nous dévoile pas l’action d’une façon conventionnelle. L’esthétique du spectacle de la mort et la spectacularisation de la violence peut suivre son cours, sous l’œil-témoin et l’oreille attentive du spectateur.

Le cinéaste remonte aux origines du cinéma et du théâtre (du grec « theatron », contempler) pour nous laisser le loisir de contempler le spectacle de la violence et de la mort ; (du théâtre d’ombres chinoises à la lanterne magique, il n’y a qu’un pas cf. histoire du cinéma occidental). Il nous montre une représentation originale et esthétique d’un combat au sabre et une stylisation de la violence (le sabre qui tranche, les membres qui tombent, les adversaires qui hurlent de douleur) et de la mort réduite à sa plus stricte représentation, les corps gisant au sol. L’art de filmer pour tout cinéaste qui se respecte tel l’art du combat pour tout samouraï qui se respecte.

Grâce à une économie narrative ainsi qu’à une représentation stylisée et minimaliste du combat, et, par extension, du champ de bataille, de la mort, de la vie, le cinéaste a su rendre la scène esthétisante d’une manière plastique et picturale, par l’usage d’une judicieuse mise en abyme (mise en scène de ce qui est mis en scène), grâce à un seul et unique plan-scénique d’ensemble fixe, le tout filmé en contre-jour qui engendre un effet d’ombres chinoises.

Le théâtre d’ombres consiste à projeter sur un écran des ombres par des silhouettes que l’on interpose dans un faisceau lumineux qui éclaire l’écran. Le théâtre d’ombres a des origines très anciennes prenant sa source dans le « karagöz » turc (théâtre d’ombres traditionnel) ainsi que dans le « karaghiosis » grec. La tradition fait de la Chine son lieu de naissance (les ombres chinoises), certains auteurs en situent l’origine en Inde. Le théâtre d’ombres fut utilisé, dans un premier temps, pour la représentation du sacré (évoquer l’âme des morts) et possédait des fonctions d’exorcisme (mimésis, catarsis). Puis, il devint rapidement une forme de spectacle très populaire, mettant en scène de grands poèmes épiques ainsi que des satires politiques.

La représentation de la violence à peine masquée : même dans les ténèbres les plus sombres, le combat continue (un samouraï doit savoir se battre dans n’importe qu’elle situation, même savoir couper son ombre dans l’obscurité).

Théâtralisation de la mort : théâtre filmé, (le cinématographe), le combat mis en scène, filmé en ombres chinoises qui renforce l’effet théâtral : théâtre d’ombres chinoises, ombres des personnages qui sont sur une scène, où un combat se déroule (le champ de bataille, spectacle de la mort), symbolisant le Thanatos.

Dans le Thanatos, on peut présumer que le décor minimaliste, apporté par l’effet de contre-jour, constitue la psyché obscure et ténébreuse d’O-Ren Ichii (sa partie privée, son « ura »), dans laquelle Black Mamba se plonge afin de pouvoir mieux l’atteindre. (Partie 3, UT 11 : 1h23mn23s à 1h24mn20s).


RETOUR A LA COULEUR

UT 12 : 1h24mn20s à 1h25mn30s

Rupture : la lumière se rallume. Black Mamba s’aperçoit qu’elle fait face à un jeune homme apeuré.

Le Thanatos (les ténèbres) versus l’Eros (la lumière) : lorsque la lumière se rallume, Black Mamba, la guerrière, épargne le jeune yakuza apeuré ; la mère corrige le jeune homme avec son sabre. (Cf. UT 12 : 1h24mn20s). Bien qu’elle soit « sans pitié, sans scrupule, sans compassion et sans indulgence » (Cf. Chapter 1 : (2)), dans cette partie, Black Mamba est en complète opposition avec toute l’action qui vient de se dérouler. En outre, elle démontre également qu’elle n’est pas sans intelligence : son sabre coupe, tranche, pourfend, pour engendrer la mort, oui, mais il « corrige » allègrement afin de préserver la vie.

Puis ultime combat avec le chef de la garde rapprochée, Johnny Moo, avant le duel final avec O-Ren Ichii.


UT 13 : 1h25mn30s à 1h26mn00s

Black Mamba, animée par la volonté de Dieu, a triomphé dans son combat ardu contre les « 88 » fous.

Le personnage principal apparaît en contre plongée, éclairé par le haut, ce qui lui confère un caractère quasi divin. L’éclairage au-dessus du personnage accentue cette impression lui donnant l’aspect d’un ange exterminateur, d’ange de la mort, symbolique religieuse à travers l’image, symbolique guerrière à travers le dialogue (elle souhaite conserver les membres mutilés de ses adversaires tels des trophées de guerre).


A SUIVRE : LA SEQUENCE COMME STRATEGIE DE COMBAT


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