CHAPITRE 14

 

Big Fish

 

Titre : Big Fish

Réalisation : Tim Burton

Scénario : John August, d’après le roman de Daniel Wallace, Big Fish, A Novel of Mythic Proportions.

Genre : Conte fantastique

Pays : USA

Année : 2003

Synopsis : Edward Bloom est un homme extravagant par bien des points. Hospitalisé et sur le point de mourir d’un cancer, son fils William vient à son chevet. Cela faisait des années que William ne parlait plus à son père, qui ne cessait de raconter sa vie en embellissant quelque peu les événements. Mais William lui réclame la vérité, persuadé que son père âgé continue de lui raconter des mensonges. C’est alors qu’il décide de se mettre en quête des personnes et lieux qui ont constitués la vie trépidante de son père…


 

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Big Fish est une suite d’aventures propres aux contes de fées, évoquant le genre littéraire américain du Southern Gothic, contant des événements à caractères inhabituels et/ou grotesques. Le Southern Gothic est un genre littéraire originaire du sud des Etats-Unis. Considéré comme un sous-genre du roman fantastique, il se caractérise par la récurrence de certains thèmes ou éléments, proche du roman gothique. On y retrouve des éléments d’origine surnaturelle et onirique. L’élément principal récurrent est le grotesque de certaines situations, endroits et/ou personnages.


L’art grotesque

Cet art se constitue de motifs et d’ornements peints, dessinés ou sculptés reproduisant des sujets de caractères bizarres ou formant des enroulements de feuillages en guise de colonnes dans l’entrelacement desquels apparaissent des figures extravagantes tels les mascarons (ornements représentants généralement une figure humaine parfois effrayante dont la fonction était, à l’origine, d’éloigner les mauvais esprits afin qu’ils ne pénètrent pas dans les demeures) ; Cet ensemble porte le nom d’architecture illusionniste. Ce style de représentations de petits démons, têtes de faunes et corps de nymphes stylisées, entourées de dorures et d’arabesques fines est propice au raffinement des sens. Sans aucune autre prétention, ces petites décorations n’avaient d’autre fonction que d’accéder à une certaine contemplation. Elles étaient situées entre les stalactites des grottes (d’où le nom de grotesque) dans lesquelles les courtisans venaient chercher ombrage et fraîcheur, après une promenade dans les allées des jardins durant les torrides étés toscans.

Dans la littérature, le grotesque se manifeste  à travers des éléments burlesque, caricatural, satirique, fantastique, surnaturel et étrange, souvent alliés à l’extravagant, à l’excessif et au monstrueux. Balayant les principes d’unités et d’harmonie, la représentation grotesque ignore les barrières et ruines les bienséances.


Le conte de fées et le mythe : optimisme contre pessimisme

Platon savait ce que les expériences psychologiques peuvent apporter à une véritable humanité. Dans sa république idéale, il proposait que les futurs citoyens fussent initiés à l’éducation littéraire à travers le récit des mythes, plutôt que par les faits bruts et les enseignements rationnels.

Aristote, maître de la raison pure disait : « L’ami de la sagesse est également l’ami des mythes ».

D’après Mircea Eliade (1907-1986), historien, mythologue, philosophe et romancier roumain, ces histoires sont considérées comme étant des modèles de comportement humain, ce qui leur permet de donner un sens et une valeur à la vie.

D’un point de vue anthropologique, les mythes et les contes de fées dérivent ou sont l’expression symbolique de rites d’initiation ou autres rites de passage, par exemple, la mort métaphorique d’un ancien moi inadapté afin de renaître sur un plan d’une existence supérieur. C’est pour cette raison que ces contes répondent à un besoin fortement ressenti et sont riches d’une signification tout aussi profonde.

D’un point de vue psychologique, certains chercheurs insistent sur les similitudes rencontrées dans les événements fantastiques des mythes et des contes de fées et ceux présents dans les rêves éveillés de l’adulte : accomplissement des désirs, victoire remportée contre les rivaux, destruction des ennemis.

Cette littérature serait l’expression de ce qui est empêché d’accéder au conscient. Evidemment, il existe des différences importantes entre les contes de fées et les rêves. Par exemple, dans les rêves, l’accomplissement des désirs est plus souvent déguisé alors qu’il est ouvertement exprimé dans les contes de fées. Les rêves sont le résultat de pressions intérieures qui n’ont pas trouvé à se soulager, ainsi que de problèmes qui bouleversent l’individu qui ne sait pas les élucider, ne trouvant aucune solution dans ce même rêve.

A contrario, le conte de fées extériorise ce soulagement de toutes les pressions, il ne résout pas pour autant le problème mais promet qu’une solution heureuse sera trouvée. Il nous est impossible de contrôler ce qui se passe dans nos rêves. Notre censure interne influence bien ce que nous pouvons rêver, mais ce contrôle ne s’exerce qu’inconsciemment. Le conte de fées est le résultat du conscient normal et d’un contenu inconscient, considéré comme problèmes humains universels et ce qu’ils acceptent comme solutions désirables, mis en forme par l’esprit conscient.


« Si tous ces éléments n’étaient pas présents dans les contes de fées, ils ne seraient pas répétés de génération en génération ».


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Les mythes et les contes de fées s’adressent à nous dans un langage symbolique qui traduit un matériel inconscient. Ils font appel simultanément à notre esprit conscient et inconscient sous ses trois formes : le ça, le moi et le surmoi, ainsi qu’aux besoins d’idéaux de notre moi.

Le ça (cf. psychanalyse selon Sigmund Freud) est une des trois instances, indissociable du moi et du surmoi, de l’appareil psychique humain. Le ça représente la partie pulsionnelle de la psyché humaine, qui ne connaît ni normes (interdits et exigences), ni réalité (temps et espace) et n’est régi que par le seul principe de plaisir, satisfaction immédiate et inconditionnelle des besoins biologiques. Le ça est le centre des pulsions et constitue l’instance entièrement inconsciente. Il se heurte le plus souvent, parfois d’une façon violente, au surmoi qui est le centre des normes imposées (par l’extérieur, la société, la déontologie) et des interdits.

Le surmoi est une autre instance de la personnalité humaine qui désigne la morale (concept de bien et de mal) et judiciaire (récompense et punition) de notre psychisme. Il répercute les codes de notre culture grâce à l’expression : « ce qu’il convient de faire ». Le surmoi est une instance souvent sévère et cruelle qui contraint l’individu.

Le moi constitue une instance qui aménage les conditions de satisfaction des pulsions en tenant compte des exigences du réel. Il se situe entre les exigences de ça et celles du surmoi. Il est à la fois conscient, pré-conscient et inconscient. Il n’apparaît que progressivement au cours de la vie de l’individu en s’organisant et se dégageant du narcissisme et de l’objet libidinal. Son rôle initial est d’établir un système défensif et adaptatif entre la réalité externe et ses exigences pulsionnelles.

Les psychanalystes freudiens montrent quelle sorte de matériel inconscient, refoulé ou autre est sous-jacent aux mythes et aux contes de fées et comment ils se rattachent aux rêves et aux rêves éveillés.

Les psychanalystes jungiens insistent sur l’idée que les personnages et les événements de ces histoires sont conformes aux archétypes psychologiques qu’ils représentent est qu’ils évoquent symboliquement le besoin qu’a l’homme d’atteindre un stade supérieur d’intégration du moi, un renouvellement interne qui s’accomplit lorsque les forces inconscientes personnelles et raciales sont à la disposition de l’individu.

Ils existent d’importantes ressemblances entre le mythe et les contes de fées car dans les deux genres on y retrouve les mêmes personnages, les mêmes situations exemplaires et miraculeuses. Malgré ces similitudes, les deux genres présentent également des différences propres à chacun qui réside dans la façon dont ces mêmes personnages et situations sont communiqués.

Les éléments transmis par le mythe sont : une histoire unique qui n’aurait pu arriver à quelqu’un d’autre, des événements prodigieux et terrifiants qui ne peuvent s’appliquer à un simple mortel. Par opposition, les événements survenant dans les contes de fées sont généralement inhabituels et plus qu’improbables mais sont toujours présentés comme des événements ordinaires, quelque chose qui peut arriver à n’importe qui. Dans les contes de fées, les faits les plus extraordinaires sont racontés comme des événements banals et quotidiens.

Dans les mythes, la conclusion est presque toujours tragique alors qu’elle se présente toujours heureuse dans les contes de fées, ce qui constitue une différence non négligeable.

 

thesee et le minotaure cassoniCampana1510-1520

 

Le mythe est pessimiste alors que le conte de fées est optimiste, quand bien même des éléments terrifiants apparaissent dans certains passages de l’histoire. Cette différence sépare le conte de fées de certaines autres histoires où interviennent également des événements fantastiques, que la conclusion heureuse soit due aux vertus du héros, au hasard ou à l’intervention de personnages surnaturels.

Malgré tous nos efforts, nous ne pouvons jamais porter notre vie à la hauteur de ce que notre surmoi, tel qu’il est représenté dans les mythes par les dieux, exige de nous. Le pessimisme des mythes éclate dans l’histoire que la psychanalyse a rendue exemplaire à travers la tragédie d’Œdipe.

Tant que nous n’avons pas assuré en nous-mêmes une sécurité considérable, nous ne pouvons pas nous engager dans des luttes psychologiques difficiles à moins qu’une issue positive ne nous apparaisse comme certaine, quelles que soient les chances que nous ayons de l’atteindre en réalité.

Le conte de fées alimente l’imagination avec des matériaux qui, sous une forme symbolique, suggèrent à l’enfant quel genre de batailles il aura à livrer pour se réaliser, tout en lui garantissant une issue heureuse.

Les héros mythiques offrent d’excellentes images favorables au développement du surmoi, mais les exigences qu’ils personnifient sont si rigoureuses qu’elles découragent l’enfant dans ses tentatives de novice tendant à accomplir l’intégration de sa personnalité.

Les crises psychosociales de la croissance sont enjolivées par l’imagination et sont représentées symboliquement dans les contes de fées par les rencontres de sorcières, de fées, d’animaux féroces ou de personnages d’une intelligence ou d’une ruse surhumaines ; mais l’humanité fondamentale du héros, malgré ses étranges aventures, s’affirme par l’idée, qu’un jour il devra mourir, comme tout un chacun. Le héros des contes de fées a beau vivre des événements extraordinaires, il n’en devient pas pour autant un surhomme, contrairement au héros mythique. Cette humanité authentique fait comprendre à l’enfant que, quel que soit le sujet du conte de fées, il n’est qu’une transposition imaginaire et exagérée des futures tâches qu’il aura à accomplir, de ses espoirs et de ses appréhensions.

La sagesse psychologique des siècles veut que chaque mythe soit l’histoire d’un héros particulier : Thésée et le minotaure, Hercule et les douze travaux (mythologie gréco-romaine), la légende de Beowulf (mythologie anglo-saxonne), le dragon et Brynhildr (saga islandaise de Vôlsungar), Brunhild (mythologie scandinave).

 

brynhildr et le dragon

 

Le conte de fées annonce clairement qu’il va nous raconter l’histoire de n’importe qui, de personnes qui nous ressemblent. Ces protagonistes sont bien souvent désignés par des termes généraux ou descriptifs (exemple, le Petit Chaperon rouge). Si toutefois le héros du conte de fées possède un nom, ce dernier sera d’usage courant afin de permettre une éventuelle identification ou projection.

Les héros mythiques ont des dimensions surhumaines, un aspect qui contribue à rendre leurs aventures acceptables pour l’enfant. L’utilité des mythes est non pas de former l’ensemble de la personnalité, mais seulement le surmoi.

Les mythes mettent en scène des personnalités idéales qui agissent selon les exigences du surmoi, tandis que les contes de fées dépeignent une intégration du moi qui permet une satisfaction convenable des désirs du ça.

Cette différence souligne le contraste entre le pessimisme pénétrant des mythes et l’optimisme fondamental des contes de fées.


Le besoin de magie chez l’enfant


« Mythes et contes de fées répondent aux éternelles questions : A quoi le monde ressemble-t-il vraiment ? Comment vais-je y vivre ? Comment faire pour être vraiment moi-même ? »


Les mythes donnent des réponses précises, alors que les contes de fées ne font que suggérer ; leurs messages peuvent sous-entendre des solutions mais elles ne sont jamais exprimées clairement.

Les contes de fées laissent l’imagination de l’enfant décider si (et comment) il peut s’appliquer à lui-même ce que révèle l’histoire sur la vie et sur la nature humaine. Le conte de fées procède d’une manière tout à fait adaptée à la façon dont l’enfant conçoit et expérimente le monde, et c’est pour cette raison que le conte lui paraît si convaincant.

L’enfant peut retirer beaucoup plus de soulagement grâce au conte de fées que de toutes les idées et tous les raisonnements par lesquels l’adulte essaie de le rassurer. L’enfant fait confiance à ce que lui raconte de conte de fées parce qu’ils ont l’un et l’autre la même façon de concevoir le monde.

Quel que soit notre âge, nous ne pouvons être convaincus que par l’histoire conforme aux principes qui sont à la base de nos pensées. La pensée de l’enfant est par définition, animiste car celui-ci est persuadé que ses relations avec le monde inaminé fonctionnent de la même manière que le monde animé des êtres humains, et ceci jusqu’à sa puberté.

Soumis à l’enseignement rationnel des autres, l’enfant enterre profondément ses « vraies connaissances » dans son esprit, à l’abri de la rationalité ; mais il peut être formé et informé parce que les contes de fées ont à lui faire. Etant donné que les animaux vagabondent librement dans le vaste monde, n’est-il pas naturel que dans les contes de fées, ils soient capables de guider le héros au cours de sa quête qui l’entraîne vers des endroits très éloignés ?


"Pour la pensée animiste, les animaux et les pierres ressentent et pensent comme nous, être chargés en pierre signifie simplement qu’on reste silencieux et immobile pendant un certain temps. En suivant le même raisonnement, il est crédible que des objets se mettent à parler pour conseiller le héros au cours de son aventure (l’esprit de l’enfant se projette dans les objets tels que les jouets et autres peluches)".


Tout comme els grands philosophes, les enfants cherchent à répondre aux questions sur la base de la pensée animiste, la première question étant : qui suis-je ?

Les contes de fées fournissent des réponses aux innombrables questions que l’enfant se pose à propos de son existence, permettant à ce dernier de prendre conscience à mesure que l’histoire évolue.

Du point de vue de l’adulte, les réponses fournies par les contes de fées sont plus de l’ordre du fantastique que du réel et lui apparaissent incongrues, à tel point, qu’ils se refusent de transmettre à l’enfant de « fausses » informations. Or, les explications réalistes sont d’ordinaire incompréhensibles pour l’enfant dépourvu de la faculté d’abstraction. L’enfant ne peut tirer un sentiment de sécurité que s’il est certain d’avoir compris. Pour se sentir en sécurité sur la terre, il est très important que l’enfant a besoin de savoir que notre monde est solidement tenu en place. Il trouve donc une meilleure explication dans un mythe qui lui raconte que la terre repose sur le dos d’une tortue ou qu’elle est portée par un géant (cf. Mythe d’Atlas et la voûte du ciel).

Comme les anciens Egyptiens, l’enfant considère le paradis et le ciel comme une figure maternelle (Nut), qui protège la terre en l’enveloppant, ce qui ne l’empêchera pas de développer plus tard une explication plus rationnelle du monde.


« Déprécier cette imagerie tutélaire en la réduisant à des projections puériles issues d’un esprit immature, c’est dérober à l’enfant l’un des aspects de la sécurité et du réconfort durables dont il a tant besoin ».


Tant qu’on ne peut pas tirer de soi-même une sécurité totale, les fantasmes et les projections sont de beaucoup préférables à une absence de sécurité, même imaginaire. Ce qui permet à l’enfant de développer un sentiment de confiance en la vie dont il a besoin pour avoir confiance en lui, confiance nécessaire et indispensable pour qu’il apprenne à résoudre les problèmes que lui posera la vie grâce au développement de ses propres capacités rationnelles.


« Plus une personne se sentira en sécurité dans le monde, moins elle aura besoin de recourir aux projections infantiles et plus elle pourra se permettre de rechercher des explications rationnelles. Plus l’homme se sent en sécurité à l’intérieur de lui-même, plus il peut se permettre de croire que le monde où il vit n’a qu’une importance minime dans le cosmos ».


Source :

Psychanalyse des contes de fées ~ Bruno Bettelheim ~ 1976


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