LA FEMME SUR LA LUNE de Fritz Lang

Ciné-Mix de Jeff Mills

 

Date : Mercredi 19 octobre 2011

Lieu : Paris

 

Dans le cadre de l’exposition Fritz Lang qui a lieu à la Cinémathèque française, du 19 octobre 2011 au 29 janvier 2012, « La Femme sur la Lune » constitue l’ouverture de cette rétrospective qui retrace l’œuvre du célèbre cinéaste austro-hongrois, connu pour être un des représentants de l’expressionnisme allemand.

Cinéaste engagé, créatif et complet, Fritz Lang (1890-1976) était capable de réaliser des films issus de plusieurs genres tels que la fable romantique, le drame psychologique ou le policier. Son film, « Metropolis », est le plus connu et le plus spectaculaire car il s’en dégage une atmosphère résolument visionnaire, futuriste, également pessimiste, emprunt de lutte contre le bien et le mal qui reste bien entendu d’actualité.

 

L’expressionnisme allemand : un mouvement artistique d’actualité

 

L’expressionnisme est un mouvement artistique d’avant-garde qui apparaît dès 1907 en peinture, mouvement qui s’oppose au naturalisme ainsi qu’à l’impressionnisme en traduisant une vision subjective et réaliste du monde à travers des formes torturées, hallucinantes et menaçantes, noires et angoissantes. Vers 1910, l’expressionnisme apparaît à Munich et dès 1918, la UFA (Universum Film Akliengesellschaft), puissante maison de production, produit des films à grand spectacle et contribue, avec la DECLA (Deutsh Eclair), à faire connaître l’expressionnisme à travers le monde. A Berlin, l’expressionnisme envahit les rues, les affiches, les théâtres, les cafés et les boutiques.

  De nos jours, l’expressionnisme allemand a eu une forte influence sur le cinéma réaliste français, les films de science-fiction ainsi que sur le film noir.

 

Dans le cinéma, ce qui caractérise l’expressionnisme, ce sont des décors hyperstylisés et irréalistes, des perspectives faussées, des lignes et formes exacerbées et déformées. Bien souvent, les décors créent généralement un univers dissonant, fantasmagorique, grinçant, hallucinatoire et angoissant.

  

Les éclairages occupent également une place importante dans l’exploitation des zones d’ombre et de lumière. Ainsi, les ombres dessinent des formes sur les décors ou au contraire en cachent une certaine partie, provoquant le mystère et possédant une forte charge symbolique.

  

Le jeu des acteurs est assurément caricaturé et stylisé, d’une part, parce que les films de l’époque étaient muets, d’autre part, parce que les acteurs avaient développé l’art de la gesticulation aussi appelé sur-jeu (over-playing), qui était censé alimenter la compréhension du spectateur. Les thèmes trouvaient leur origine dans le romantisme, la folie, la mort, le destin, l’oppression, le dédoublement, autant de sujets qui venaient alimenter les scénarios des films de l’époque.

 

« Le fantastique effraie, questionne et libère la société du trop-plein de mensonges au lendemain du Traité de Versailles ».

 

Le malaise provoqué par l’instabilité politique et le développement des théories freudiennes sur l’inconscient trouvent dans le genre fantastique un mode d’expression privilégié. « Le Cabinet du Docteur Caligari » (1919) de Robert Wiene en est un très bel exemple. Ce premier film expressionniste dénonce à travers le personnage du savant fou, la soif de pouvoir et la folie meurtrière des hommes. Les maquillages stylisés des acteurs et les décors torturés connotent une atmosphère oppressante venant souligner le caractère obsessionnel des personnages.

 

Des œuvres telles que « Docteur Mabuse » (Fritz Lang, 1922) et « Nosferatu le vampire » (Friedrich Wilhelm Murnau, 1922), abordent des sujets de société par le biais de l’horreur. « M. Le Maudit » (Fritz Lang, 1931) condamne le nazisme naissant, provoquant l’exil du cinéaste aux Etats-Unis.

 

La Femme sur la Lune

 

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Titre original : Die Frau im Mond

Réalisation : Fritz Lang

Genre : Science-Fiction

Pays : Allemagne

Année : 1929

Production : U.F.A.

Synopsis : Convaincu qu’il y a de l’or sur la Lune, le savant Manfeld recrute le professeur Helius ainsi que son ami et acolyte Windegger accompagné de sa petite amie en organisant une expédition lunaire…

 

« La Femme sur la Lune » apparaît aux premiers abords comme une fable fantastique bien légère face à « Metropolis » (1927) ou à « M. Le Maudit » (1931), grandement influencée par l’esthétique expressionniste de l’époque et mettant en scène des protagonistes résolument en avance sur leur temps mais qui n’en restent pas moins empreint de sentiments humains.

 

 L’œuvre de Lang apparaît comme un film de science-fiction dont les thèmes abordés sont la ruée vers l’or à travers la conquête de l’espace, la science et l’amour. En voyant ce film, dont la pellicule 35 mm a été récemment restaurée, on ne peut renier l’influence expressionniste tant certains aspects sont mis en avant tels que le jeu sur les ombres et lumières, les cadrages et sur-cadrages ainsi que les décors et le jeu des acteurs. On ne peut évidemment pas occulter les nombreux clins d’œil dédiés au mouvement de l’époque, notamment à « Loulou » (Lulu, die Büchse der Pandora), mélodrame de Georg Wilhem Pabst avec Louise Brooks.

 

Bien entendu, quand on regarde « La Femme sur la Lune », on pense systématiquement au « Voyage sur la Lune » de Georges Méliès (1903) par le caractère surréaliste que nous renvoie Lang dans son film. Bien que ce dernier relate des éléments réalistes, tels que l’attraction lunaire et la distance Terre-Lune, on ne peut s’empêcher de sourire en regardant les éléments du décor lunaire et les trucages, qui semblent bien archaïques par rapport aux effets spéciaux d’aujourd’hui, mais l’intention y est, et finalement, c’est ce qui est le plus important !

 

Le montage, les nombreux gros plans et inserts viennent alimenter la narration d’un récit non linéaire au départ mais qui le devient à la moitié du film.

 

Le son au cinéma : du muet au parlant

 

Au début de l’invention du cinéma (1895-1927), les films étaient muets mais cette dénomination reste non restrictive, puisque que les projections des films étaient soit accompagnées par des orchestres, soit commentées par un bonimenteur qui faisait office de narrateur et venait agrémenter les images projetées par un discours écrit préalablement par les maisons de production. Puis, les bonimenteurs laissèrent leur place aux cartons et aux intertitres qui donnèrent la possibilité aux majors de diffuser des versions dites multilingues permettant ainsi l’exportation mondiale des films.

 

La Warner fut la première compagnie de production à se lancer dans le parlant grâce au très célèbre film d’Alan Crosland, "Le Chanteur de Jazz" (The Jazz Singer, 1927). Les dialogues restaient néanmoins minimalistes et laissaient encore une grande place à la musique.

Mais l’arrivée du cinéma sonore ne s’est pas faite en un jour et certains détracteurs du progrès technique tels que Murnau et Chaplin (entre autres) ont continué à perpétuer la tradition d’un cinéma muet et issu du théâtre durant quelques années après l’apparition du cinéma parlant.

 

Jeff Mills, artiste électronique, compositeur visuel et sonore

 

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Jeff Mills est considéré comme l’un des DJ et producteurs de musique techno les plus inventifs de son époque. Il est également connu pour être un des fondateurs de la Techno minimale de Detroit. Débutant sa carrière en 1984 en tant que DJ d’une radio local, il crée avec Mad Mike Banks le collectif artistique « Underground Resistance » qui devient une référence incontournable du mouvement Techno.

 

En 1992, il crée son propre label, Axis, qui lui permet de conserver son indépendance artistique et de produire ses propres compositions électroniques fortement inspirées par un univers de science-fiction.

 

Depuis plus d’une dizaine d’années, Jeff Mills multiplie les collaborations artistiques et développe ainsi son étude sur la fusion de l’image et du son, lui permettant d’exploiter ses qualités de compositeurs sur des œuvres telles que "2001, l’Odyssée de l’espace" de Stanley Kubrick ou "Metropolis" de Fritz Lang.

 

Depuis 2008, l'artiste aux multiples facettes n’hésite pas à confronter son univers électronique face à des œuvres de grande envergure ; présentant des performances visuelle et sonore telles que « The Trip », diffusée au Grand Palais en décembre 2008.

 

Le Ciné-Mix

 

C’est en « écoutant » furtivement « Les Niebelungen, la mort de Siegfried » ("Die Niebelungen, Siegfrieds Tod", Fritz Lang, 1924) que je me suis aperçue de l’importance du son au cinéma. La diffusion récente de cette copie restaurée m’a fait prendre conscience à quel point le son a pris une place prépondérante dans le cinéma contemporain.

 

« Ecouter un film » n’est pas chose banale, surtout quand il n’y a ni dialogue ni narration évidente à entendre. La question se pose néanmoins quand Jeff Mills, compositeur, musicien et DJ de renom s’attèle « à illustrer » l’œuvre de Fritz Lang. Evidemment, le côté fantastique du film a certainement dû faciliter les choses. Les musiques électroniques apparaissent alors comme autant d’éléments riches venant agrémenter, ponctuer et souligner des œuvres cinématographiques anciennes et constituent indéniablement des contrepoints temporels. Si l’auteur a délibérément choisi de film pour illustrer son mix, c’est qu’il semblait résolument futuriste et visionnaire, et que les éléments cinématographiques s’unissaient parfaitement à la composition musicale électronique.

 

« La bande sonore que j’ai réalisé est délibérément austère, spatiale et omniprésente d’un point de vue structurel. Pour moi, les sons étaient souvent des personnages à part entière, faisant des commentaires sur la logique morale de ce qui se passe à l’écran. Les personnages de Lang sont des êtres bien établis, d’allure impeccable, à la recherche de quelque chose de meilleur. D’un point de vue musical, j’ai travaillé sur les passages entre la lumière et l’obscurité pour reprendre le contraste des idées et points de vue exprimés durant les années sui suivirent la première sortie du film ». Jeff Mills

 

Dès les premières images d’"Une femme sur la Lune", la bande sonore semble ne faire plus qu’un avec le film de Fritz Lang, faisant partie intégrante et se fondant dans l’œuvre même. Ce qui nous renvoie en premier lieu au travail de Jeff Mills, homme-orchestre, le temps d’une soirée, accompagnant le film du cinéaste allemand, d’une manière humble et originale. Tout au long de la projection, Jeff Mills a su exploiter les thèmes développés dans le film à travers une récurrence sonore, répétitive, minimaliste et aérienne, qui apparaît comme autant de points de repère probants pour le spectateur, venant judicieusement souligner une narration issue d’une œuvre expressionniste en apparence légère mais dont l’esthétique n’est plus à prouver.

 

C’était comme si, le temps d’une soirée, le temps du récit, les deux artistes avaient été réunis ; l’un défunt, venant cautionner les travaux de l’autre, présent et bien vivant, et vice et versa.

 

La musique diffusée en live d’un DJ américain venu de Detroit nous a enchantés les oreilles, laissant en suspend le temps d’une projection, l’espace et le temps. Certainement pour nous évoquer un passé d’images obsolètes d’un point de vue scientifique, faisant appel à notre imagination ainsi qu’à notre goût pour l’aventure. Passé visuel qui reste toujours ancré dans nos mémoires et qui, par la force des choses, reste néanmoins d’actualité par « la littérature visuelle et sonore » qu’il nous propose.

 

L’humilité artistique et le charisme de Jeff Mills ont été pour moi un grand moment de bonheur et de contemplation audiovisuelle.

 

Sources :

Le Cinéma ~ Dominique Auzel ~ 1995

La Science-Fiction ~ Frédéric Fontaine ~ 1996

Histoire du cinéma mondial, 9ème édition, revue et augmentée  ~ George Sadoul ~ 1949

Le Cinéma ~ repères pratiques ~ F. Vanoye, F. Frey & A. Leté ~ 1998

Dictionnaire mondial des films ~ Bernard Rapp & Jean-Claude Lamy ~ 2000

La cinémathèque française ~ Paris

Voir également chronique cinématographique : L’expressionnisme allemand

http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/article-l-expressionnisme-allemand-55788030.html

 

 

 

 

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