Date : Vendredi 9 février 2018

Lieux : Théâtre Douze – Paris 12ème

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Les Trois samouraïs - Pièce de théâtre - Compagnie du Mystère Bouffe - Photo by Phoebe

La Compagnie du Mystère Bouffe a présenté récemment Les Trois samouraïs, une pièce de théâtre contemporaine, que dis-je, une retranscription originale et une géniale adaptation du roman d’Alexandre Dumas, Les Trois mousquetaires, en nous proposant une vision à la fois humoristique et parodique mais non moins réaliste et cruelle du Japon féodal à l’époque d’Edo. Intrigues, romance et conflits d’intérêt à la cour de l’Impératrice du Japon…

Athos aka Terao Motomenosuke, Portos aka Kurusuke, Aramis aka Shogo et le valeureux d’Artagnan, prenant délicieusement les traits de l’intrépide Tomoe, vont s’unir afin de déjouer le complot qui se trame à la cour impériale et réinstaurer l’harmonie et la paix, au sein d’un pays où les guerres claniques faisaient rage et engendraient toujours plus de morts et d’orphelins.

L’histoire : « Dans le Japon du 17ème siècle, la jeune Tomoe, éduquée au kenjutsu, l’art du sabre, par son grand-père, rêve de devenir samouraï. Pour rentrer au service de l’Impératrice et enquêter sur le meurtre de son père, elle se travestit en homme. Son chemin croise alors celui de trois samouraïs : Shogo, Kurusuke et Terao. Les quatre compères deviennent vite inséparables et s’unissent, au péril de leur vie, dans un but commun : sauver l’Impératrice Okiko et le destin du Japon. Des maisons de thé aux chambres du palais, dans les tavernes et les rues d’Edo, jusqu’aux ports les plus éloignés du pays, un jeu de mensonges, de traques et de guet-apens nous emmène dans un tourbillon d’intrigues et de combats ». Texte issu de la Compagnie du Mystère Bouffe.

Mise en scène : Thilima Pietro Feminò & Lou Hacquet-Delepine

Masques : Jose-Luis Vivallo

Costumes : Héloïse Fournier

Scénographie : Yohan Chemmoul

Combats : Eric Malassis (5ème Dan Kendo)

Mise en lumière : Laurent

Les personnages :

Shogo/John Adams (Aramis) : Fils d’un explorateur anglais et d’une japonaise, il est le chef de la garde impériale.

Terao Motomenosuke (Athos) : Successeur du grand Musashi Miyamoto, le samouraï le plus doué de son époque.

Kurusuke (Portos) : Fils d’un étranger et d’une femme japonaise. Son père fut un grand guerrier d’origine africaine.

Tomoe (d’Artagnan) : Tomoe est à l’image du jeune gascon, impétueux et immature à la fois, mais ici notre héros est une héroïne.

Yagyu Jubei (Rochefort) : Maître d’armes pour le compte du clan Togukawa. Il est le conseiller estimé et le garde du corps du Shôgun.

Iemitsu Togukawa (Richelieu) : Shôgun, détenteur absolu du pouvoir qu’il centralise depuis des années afin de le conserver jalousement entre ses mains, en affaiblissant les seigneurs féodaux à coup de lois et d’impôts.

Meisho Okiko (Anne d’Autriche) : Impératrice et effigie du Japon. Elle vit en recluse dans son château, devant s’acquitter de ses obligations impériales, cérémonies diplomatiques et religieuses.

Okuni (Milady de Winter) : Personne ne connaît la véritable identité de cette femme. Maître dans l’art du déguisement et du mensonge, elle surveille les coulisses de la cour.

Koxinga (Duc de Buckingham) : Fils d’un contrebandier chinois et d’une femme japonaise, il devient pirate. Après avoir embrassé la cause de la dynastie Ming, il est nommé général de la résistance.

« Et si, à la place d’un chapeau au panache blanc, on imaginait un chignon noué au sommet du crâne ? Si plus bas, bien rangé dans un fourreau noir, ce n’était pas une rapière qu’on voyait, mais un katana ? »

Telle est l’introduction de cette adaptation théâtrale qui n’hésite pas à faire appel à notre sens de l’humour, à notre imagination et à notre ouverture d’esprit, tout en nous rappelant ce classique de la littérature française ! Bibliophile dans l’âme, ceci eut surtout pour effet de me donner évidemment l’envie de lire l’œuvre d’Alexandre Dumas, œuvre honteusement ignorée de ma part, pour plutôt m’intéresser aux fabulations et autres extrapolations de Tartarin de Tarascon, roman écrit par Alphonse Daudet.

Entre d’Artagnan et Robin des bois, j’avoue préférer le second mais pourquoi pas, cette fois-ci explorer l’espace et le temps, les guerres et les batailles, dans d’autres contrées et dans d’autres pays, prendre notre machine cérébrale à remonter le temps et se lancer dans l’aventure et dans l’imaginaire grâce à ce spectacle d’une étonnante fraîcheur, agrémentée d’une touche de métissage de genres et de cultures. Tout un programme…

La Compagnie du Mystère Bouffe se définit d’ailleurs comme telle : « Depuis plus de 30 ans, la compagnie mixe des formes artistiques et s’adresse à tous les publics, pratiquant un théâtre populaire, une commedia dell’arte réinventée. Dans une recherche permanente, elle revisite les textes du répertoire classique et contemporain, les archaïsmes se révélant souvent comme des éléments de modernité ».

L’adaptation du personnage de Tomoe Gozen nous offre ainsi l’archétype de la femme guerrière. Le personnage féminin, même s’il est entêté et borné, jeune (dans l’histoire Tomoe a seulement 16 ans) et immature, apparaît non seulement comme une symbolique, celle du combat certes, en ces temps de guerre invisible et insidieuse, on ne saurait l’éviter, mais apparaît également tel le combat de la femme, un combat qui s’avère être de tous les instants, même à notre époque, même au 21ème siècle, même à l’ère de l’anthropocène, de la terraformation et de la conquête de l’espace. Et oui, je sais, c’est encore étonnant ! Vive Hollywood, vive la parité, vive l’égalité des sexes ! Trois pas en avant et dix pas en arrière… Vivement qu’on envoie nos mâles sur Mars !

Et ce combat se prolonge dans toutes les dimensions de la sphère sociale et humaine, voilà la vraie « polis », celle qui est étymologiquement pure, celle qui crée le vrai lien entre êtres humains : Combattre, oui mais pour quoi et pourquoi ?

Même orpheline, rien n’empêchera Tomoe de s’engager pour sa patrie, pour son clan, pour son honneur, pour son pays, pour sa dignité, pour la liberté, pour sa liberté en tant qu’être humain mais aussi pour sa liberté de femme et finalement pour l’amour et pour la paix. Mais pas seulement…

Pour son intégrité également, elle devra défier la mort envers et contre tout. Car oui, Tomoe est une jeune femme dynamique et pleine d’entrain, elle veut servir l’Impératrice en toute loyauté, en toute impartialité, en toute justice. En cela, Tomoe est un être humain peu ordinaire, une femme hors du commun, impétueuse et têtue certes, mais surtout innocente et pure. Poursuivant sa voie, elle devra déjouer et combattre en toute sincérité et honnêteté, les pires complots tout en gardant son courage, son honneur, sa bienveillance et sa compassion. Mais saura-t-elle être le guerrier indescriptible, calme et imperturbable, véhiculé par le Bushidô ?

Il est vrai que je ne m’attendais pas à cette « incarnation » de Tomoe Gozen, interprétation d'un personnage, qui m’a semblé aux premiers abords assez impétueux et fantasque, mais cela n’a pas fait faiblir mon intérêt pour le spectacle.

En effet, j’avais construit dans mon esprit, une représentation complètement différente de Tomoe Gozen, la seule et unique femme samouraï que j’ai pu trouver dans l’histoire du Japon. J’ai tout de même trouvé une autre femme samouraï, mais cette fois-ci, celle-ci est fictive, il s’agit du film réalisé par Ryûhei Kitamura (2003), Azumi. Encore une orpheline recueillie par un maître d’armes ! Décidément…

Dans mes pensées les plus lointaines, Tomoe Gozen m’apparaissait telle une femme forte et charismatique, portant avec fierté le prestige de la classe guerrière. Disons que je m’étais construit une sorte d’image d’Epinal façon japoniste à la française, à la mesure du personnage légendaire nippon. Quoi de mieux qu’une guerrière exotique et courageuse, loyale et honorable, écrivant en idéogrammes et maniant le sabre comme Musashi ?! Vous m’en direz tant !

Car Tomoe Gozen, littéralement Dame Tomoe, a réellement existé mais les mythes et les légendes distordues et déformées qui tournent autour de son histoire, laissent au final peser un lourd mystère sur la vie de cette femme hors normes et peu ordinaire.

Née aux alentours de 1161 ( ?), cette guerrière combattit auprès de son amant, Minamoto no Yoshinaka, durant la guerre civile de Gempei qui s’est déroulée entre 1180 et 1185. Minamoto no Yoshinaka (1154-1184) était un samouraï et un général de guerre, membre du clan Minamoto, un des plus célèbres clans qui domina la politique japonaise durant l’ère Heian (794-1185).

L’histoire de Tomoe Gozen est relatée dans le Heike Monogatari. Gozen était réputée pour être un samouraï de haut niveau, habile en équitation et au tir à l’arc et douée au kenjutsu. Capitaine respectée de ses hommes, il est dit qu’elle était sans peur durant la bataille et qu’elle savait mener ses troupes au combat.

Durant la bataille d’Awasu, qui se déroula le 21 février 1184, constatant son imminente défaite, Yoshinaka ordonna à Gozen de fuir. Ce qu’il est advenu de Tomoe Gozen, personne ne le sait et les textes se sont transformés en légendes, et de légendes en légendes, Gozen est devenue un personnage mythique de l’histoire populaire japonaise.

Mi-femme, mi-déesse, certainement adulée et extrêmement respectée sur sa terre natale, Tomoe Gozen, guerrière aux cheveux de jais, douée et intelligente, ayant vécu au 12ème siècle, nous apporte encore la preuve que tout est encore possible quand on est une femme sur cette planète, même au 21ème siècle !

Et pour en revenir à la représentation contemporaine et occidentale du personnage de Tomoe, l’interprétation montre une jeune femme têtue et bornée mais néanmoins déterminée à combattre et fidèle à ses principes. Tomoe est une femme qui suit sa voie, qui suit sa destinée, qui n’a pas peur de l’inconnu et rien ni personne ne pourra l’empêcher d’atteindre ses objectifs.

Dans le contexte de la pièce de théâtre, Tomoe constitue à elle seule un anachronisme qui met encore plus en avant sa singularité. Même si cette effrontée n’a pas froid aux yeux, elle n’en reste pas moins une femme, une femme qui a aussi trouvé l’amour. Et malgré cette « maladie », que tout le monde pourrait attraper avec ferveur (ça ne nous ferait point de mal !), notre téméraire et audacieuse Tomoe est toujours prête à aller de l’avant et à combattre jusqu’à la mort !

Du côté scénographie, la mise en scène, les décors, la mise en lumière et les ambiances sonores, auront contribué à nous délivrer une certaine esthétique minimaliste, système ingénieux de panneaux de style nippon et praticables à la D.I.Y. (Do It Yourself).

Les décors auront évoqué un Japon féodal  révolu, venant s'imbriquer d’une façon presque naturelle à l’époque de d’Artagnan et des trois mousquetaires. Ne l’oublions pas, si côté extrême-oriental, on maniait des katanas et des wakizashis, du côté occidental, on manipulait surtout des capes, des épées et il y avait des croisés et des chevaliers blancs !

Sans oublier notre pucelle féodale nationale, Jeanne d’Arc (1412-1431), qui au passage, même si elle entendait des voix, ni le roi ni personne, en son temps, ne l’a prise pour une psychotique hystérique pour autant ! Bon OK, elle a pu éviter l’hôpital psychiatrique mais pas le bûcher ! Aujourd’hui, cela aurait été le contraire, question de vision de choses ! Chacun porte sa croix, comme aurait dit Jésus ! Quoi que Luc Besson n’a pas vraiment donné une très bonne représentation de cette guerrière française, petite gardienne de moutons née à Domrémy, là encore, ce n'est qu'une question de point de vue. Pour qui connait l’histoire de France, je ne me permettrais pas de vous faire ici un cours d’Histoire. « Histoire » n'a jamais été gage de vérité !

Et d’une période apparemment révolue, les aspects les plus anciens, les plus archaïques et les plus tribaux, ceux qui sont les plus ancrés en nous, restent néanmoins très contemporains et très proches de notre époque. Ils resurgissent de notre inconscient collectif comme une piqûre de rappel : rien n’est acquis et jusqu’ici, tout va bien…

Et pour conclure cette chronique et comme j’adore les citations, je ne peux m’empêcher d’évoquer cette phrase issue de l’Hagakure : « Vouloir revenir en arrière, cela ne se peut. C’est pour cela qu’il faut savoir conserver les meilleures choses d’une époque révolue afin de pouvoir les transmettre aux futures générations ».

C’est toujours et encore vrai aujourd’hui !

Phoebe : « Ouvre ton esprit & observe l’Univers ».

Phoebe : « Ouvre ton esprit & observe l’Univers ».

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