Alfred Hitchcock 04 

Inutile de présenter la carrière d’Alfred Hitchcock (1899-1980), pour autant que l’on soit simple spectateur ou cinéphile confirmé, je pense à juste titre que tout le monde connait ce cinéaste d’origine anglaise qui a débuté sa carrière dans le cinéma en travaillant aux intertitres de films muets.

Les films d’Hitchcock se définissent en une habileté à construire rapidement une situation dramatique ainsi qu’à capter l’attention du spectateur. Fastidieux mélanges de réalisme et d’invraisemblance dans lesquels l’humour et l’angoisse s’entremêlent avec ingéniosité.

Plutôt que de m’attarder sur une ultime biographie et une énième filmographie d’Alfred Hitchcock, surnommé le maître du suspense, je me propose d’exposer quelques uns de ses films, pas forcément ceux qui ont remporté un franc succès sur grand écran mais plutôt ceux qui ont retenu mon attention. L’énumération reste donc non exhaustive.

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Rebecca (d’après le roman de Daphné du Maurier)

Année : 1940

Pays : USA

Synopsis : Rebecca, première épouse de Maxim, est morte noyée. Sa gouvernante continue de diriger le manoir Manderley en perpétuant la mémoire de la jeune femme disparue dont elle n’admet pas l’absence. Elle n’accepte pas la présence de la nouvelle épouse, se montre très hostile à son égard et cherche à se débarrasser d’elle…

Rebecca appartient à la tradition du film gothique : le récit se déroule en grande partie dans un manoir ancien dont les murs portent la marque d’un long passé et perpétuent le souvenir de ceux qui y ont vécu.

Le manoir apparaît de l’extérieur d’une manière partiellement représentée : sous la pluie, dans l’obscurité, sous les flammes, comme s’il ne fallait pas dévoiler les formes secrètes et mystérieuses qu’il dissimule. Il représente néanmoins une grande complexité architecturale. Les décors (extérieurs et intérieurs) superposent les styles d’époques historico-mythiques ; styles qui correspondent aux clichés qu’Hollywood se fait de l’Angleterre victorienne : baroque et chargé.

Quant au titre, Rebecca, il exprime le prénom d’un personnage décédé pratiquement inexistant à l’écran. Cette présence virtuelle prend toute son ampleur à travers le personnage de la gouvernante qui s’acharne à perpétuer son image.

L’influence de l’expressionnisme chez Hitchcock

Le cinéma allemand et l’expressionnisme ont influencé un certain nombre de cinéastes à travers le monde et Hitchcock reconnait avoir été familiarisé avec ce mouvement en traduisant les intertitres.

Il amenuise son influence en incluant dans ses réalisations le genre criminel à des fins personnelles, voire obsessionnelles et en développant une volonté démiurgique (narrative) à manipuler le spectateur.

Hitchcock utilise un mélange de motifs gothiques à tendances post-expressionnistes en y ajoutant une dimension supplémentaire propre à l’industrie hollywoodienne, concluant que le style "germanique" ne correspondrait qu’à une tradition alternative.

Hitchcock comparait le cinéma britannique et la production hollywoodienne d’une façon très tranchée : pour lui, le septième art devait tourner le dos à la réalité banale.

John Grierson parlera du réalisateur en ces termes : "Hitchcock est le meilleur metteur en scène, l’artisan le plus habile, l’observateur le plus fin, le maître du détail le plus aigu que nous ayons en Angleterre… Pourtant, avec toutes ces qualités, Hitchcock n’est rien de plus que le meilleur metteur en scène mondial de films sans importance… "

Source : Extrait article "Murder" - octobre 1930

Le jugement semble être sévère car Grierson aurait certainement préféré qu’Hitchcock témoigne dans ses films de la réalité sociale de son époque.

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Mais qui a tué Harry ?

Titre original : The Trouble with Harry

Genre : comédie dramatique

Année : 1955

Pays : USA

Synopsis : Un petit garçon découvre un cadavre dans la campagne, il part vite chercher sa mère. Au même moment, un vieux chasseur tombe sur le cadavre et pense l'avoir tué. D'autres personnes se croiront tour à tour coupables, alors on enterre bien vite le cadavre encombrant. Mais il va réapparaître toujours au mauvais moment…

Ce film inflige au spectateur un imbroglio original dans lequel il se doit de trouver la solution le plaçant au-dessus des protagonistes, non pas en observateur mais l’impliquant dans la narration tel un investigateur acharné, l’amenant à suspecter tous les personnages.

Critiques du film :

"Hitchcock tisse une véritable toile d’araignée au sein de laquelle il précipite le spectateur, renouant au passage avec le ton de certains de ses films anglais. Mais qui a tué Harry ? est, à ce titre, un pur joyau dans lequel l’intelligence, l’humour et l’habileté d’Hitchcock se mêlent avec génie. La mise en scène et la direction d’acteurs, admirables, ne laissent au hasard ni un plan ni un mot du dialogue, ni un geste. Une leçon de cinéma !"

Source : Extrait critique André Moreau – Télérama – 10 Août 1988

"Hitchcock a réalisé ses rêves éternels de meurtres au soleil et d’inventions macabres, exposés en pleine idylle campagnarde, se moquant bien du vénérable Arsenic et vieilles dentelles (Frank Capra, 1944, USA) où l’innocente crème de cassis était enrichie du poison mortel. Il a eu cent fois raison. Après quelques moments d’hésitation, nous entrons dans son jeu de bon gré, gagnés par la décontraction de ce monde de charmants fossoyeurs".

Source : Extrait critique Michel Perez – Le Matin – 13 Juin 1984

"On peut gloser sur le thème de la culpabilité et de ses transferts qui traverse bien des œuvres d’Hitchcock. Cela ne sert pas à grand-chose ici, car tous les personnages sont dépourvus de sens moral et s’emploient surtout à effacer Harry de leur vie. Hitchcock a réalisé une sorte de "conte de nourrice" anglais où les jeux de mots, les énumérations d’objets bizarres, obéissent à une logique de l’absurde maniée avec un redoutable brio".

Source : Extrait critique Jacques Siclier – Le Monde – 16 Juin 1984

"Faut-il croire à la toute puissance du mal ou s’y résigner ? C’est autour de cette interrogation que s’articule Mais qui a tué Harry ? Le plus curieux de ce film est sans doute qu’il est impossible de trancher si les personnages sont ou non "bons" ou "mauvais". Mais peut-être sont-ils au-delà d’une telle distinction".

Source : Extrait critique Jacques Rivette – Les Cahiers du Cinéma - 1956

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Grands frissons sur petit écran : Alfred Hitchcock presents

Nombreux doivent se souvenir de cette série, adaptation directe issue des livres  contenant différentes histoires sélectionnées par le maître du suspense.

Histoires préférées du maître ès crimes, Histoires épouvantables, Histoires à faire froid dans le dos, etc.

En tout, une trentaine de livres parus, chaque livre contenant une quinzaine d’Histoires à ne pas fermer l’œil la nuit…

Certains de ces récits ont fait l’objet d’une série télévisée américaine de 268 épisodes de 26 minutes, en noir et blanc, comportant sept saisons, diffusée entre 1955 et 1962, dont Alfred Hitchcock réalisa dix-huit épisodes.

Entre 1985 et 1989, Alfred Hitchcock presents est une série de 80 épisodes (4 saisons) inspirée de la série éponyme de 1955.

Dans les années 50, la télévision faisait fréquemment appel aux plus grands réalisateurs de cinéma. Les téléfilms à suspense étaient très prisés par le public. Hitchcock se lança dans l’aventure et voyait tout de suite ce qu’il pu retirer de cette expérience, lui permettant de découvrir de nouvelles manières de travailler.

Ainsi, il assied définitivement sa notoriété en commercialisant son propre nom. A la même époque, il autorisa la sortie de Hitchcock Magazine, une revue qu’il se contenta de patronner de loin et dont sa fille, Patricia, assura les fonctions de rédactrice en chef.

Sur les plateaux TV, le cinéaste se sentait à son aise et il ne manqua pas d’idées car son principe était simple : faire peur, "montrer autant de cadavres que le permettent la tolérance des commanditaires et de celle des chaînes de TV".

La série Alfred Hitchcock presents débuta le 2 octobre 1955, avec un premier épisode intitulé Revenge. Ce premier numéro donna le ton de la série : une jeune femme, Vera Miles, victime d’une agression, reconnaît l’homme qui l’a attaqué. Son mari la tue. Mais, quelques instants plus tard, elle désigne un autre homme.

Le téléspectateur s’est familiarisé au générique ainsi qu’à  la forme de présentation très originaux : Hitchcock surgit d’une silhouette le représentant et qu’il a lui-même dessinée. Retentit alors La Marche Funèbre des marionnettes de Gounod. Le metteur en scène se lance ensuite dans un monologue, qui constitue le prologue de l’épisode, empli d’un certain humour macabre dont il raffole. L’épisode se clôt par un épilogue du cinéaste parfois teinté de morale affublée d’un certain humour noir.

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Le Cas de Monsieur Pelham (épisode 10, saison 1, 1955-1956)

Prologue présenté par Alfred Hitchcock : "Heureux de vous retrouver. Je crois qu’a priori vous ne m’accusiez d’une lacune : pas de tension insoutenable ce soir ni de grands effets tragiques. Seulement, je plaide non coupable car en fait je n’ai pas été moins saisi que d’habitude en visionnant cette histoire. C’est effrayant l’impression qu’elle m’a laissée. La mort n’est pas toujours la pire chose qu’il puisse vous arriver. Et là, je ne pense pas à la torture ou à la violence. Non, je fais allusion à une succession de stratagèmes, qui à la longue peuvent vous rendre fou, comme de vous mettre du chewing-gum dans la poche. C’est donc avec force que je vous conseille de regarder ce petit film".

Pour écrire les textes de présentations, il collabora avec un auteur surdoué, James B. Allardice, avec qui il n’hésita à pousser la provocation à son paroxysme. Un jour, Hitchcock se déguisait en Reine Victoria, un autre, il se présentait avec une hache enfoncée dans le crâne ou emprisonné dans une camisole de force. Dans un premier temps, ses excentricités lui valurent la peur des annonceurs qui furent ensuite rassurés par la courbe ascendante de l’audimat.

La structure de la mise en scène donna tant de satisfaction à Hitchcock qu’il l’utilisera pour tourner Psychose.

Hitchcock interrompit son expérience télévisuelle le jour où il jugea que cela nuisait à sa carrière au grand écran.

"Si je continue, explique-t-il, j’entrerai en concurrence avec moi-même sur d’autres marchés".

Estimant avoir fait le tour de la question : "Je ne pense pas qu’il y ait une quelconque qualité dans les téléfilms", ajoute-t-il en guise d’auto-dérision.

 

Sources :

·         Histoire du cinéma britannique - Philippe Pilard – 1996

·         Hollywood : la norme et la marge - Jean-Loup Bourget – 1998

·         Précis d’analyse filmique - Francis Vanoye & Anne Golliot-Lété - 1992

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