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" L’historien a pour première tâche de restituer à la société l’Histoire dont les appareils institutionnels la dépossèdent. Interroger la société, se mettre à son écoute, tel est, à mon avis, le premier devoir de l’historien. Au lieu de se contenter d’utiliser les archives, il devrait tout autant les créer, contribuer à leur constitution : filmer, interroger ceux qui n’ont jamais droit à la parole, qui ne peuvent pas témoigner. L’historien a pour devoir de déposséder les appareils du monopole qu’ils se sont attribués, d’être la source unique de l’Histoire. Non satisfaits de dominer la société, ces appareils (gouvernements, partis politiques, Eglises ou syndicats) entendent en être la conscience. L’historien doit aider la société à prendre conscience de cette mystification ". Marc Ferro ~ Cinéma et Histoire

 

 

L’imaginaire collectif : la vie à l’irlandaise

 

Pour un étranger, l’Irlande est une petite île située dans l’océan atlantique, proche du Royaume-Uni, où  la couleur verte prédomine et où la bière Guinness coule à flots dans les pubs, dans lesquels un musicien sera enchanté de vous jouer un petit air de ballade irlandaise. Le trèfle, la culture celtique, le Connemara, les groupes de Rock U2 et The Cranberries, Oscar Wilde et les personnages légendaires tels que la « banshee » et le « leprechaun » sont tous des éléments quelques peu clichés certes mais qui symbolisent la nation irlandaise.

 

Pour en apprendre un peu sur cette petite nation qui possède des trésors littéraires sur sa propre histoire, il vous suffira de prendre un vol pour Dublin, Baile Àtha Cliath en Irlandais, littéralement, la ville au gué sauté, (The Town of the Hurdled Ford, en anglais), pour découvrir la capitale du Tigre celtique et en être émerveillé. Mais au-delà des apparences, se cache un peuple rural, croyant, humble et accueillant, qui a longtemps souffert des invasions diverses et de la colonisation britannique.

 

« Pour qui vit en Irlande, l’île constitue un livre ouvert ».

 

Pour prendre connaissance de l’intimité des vies individuelles et familiales, les œuvres de fiction, écrites, audiovisuelles et cinématographiques sont des voies d’accès privilégiées. C’est grâce à des auteurs tels que Roddy Doyle (1958) et John McGahern (1934-2006) que l’on aura également la possibilité de découvrir une Irlande nationaliste, rurale, anticolonialiste. Ecrivains et scénaristes témoins de leur époque et qui ont su relater l’histoire (romancée ou véritable) de leur pays. John McGahern était un instituteur qui fut renvoyé après la publication en 1965 de son deuxième livre, The Dark, description sans concession d’une Irlande rurale et étouffante. Ces œuvres permettront au lecteur averti de pouvoir explorer les relations de couple, la jeunesse dublinoise et les rapports douloureux avec les croyances religieuses.

 

Aujourd’hui, L’Irlande ne correspond plus à l’image que l’on se fait d’elle. Ses citoyens travaillent dans des secteurs de pointe, très loin des métiers de la pêche et de l’agriculture, qui n’utilisent désormais que 4,19 % de la population active (2006).

 

Le cinéma en Irlande

 

L’Irlande est un pays complexe, qui est en permanence à la recherche de son identité culturelle. Cette quête est intimement liée à l’histoire du pays. L’émigration a contribué à la perte de la langue gaélique mais à participé à l’élaboration d’une nouvelle identité, celle de l’Irlandais en exil.

 

Les Irlando-Américains continuent à cultiver leur attachement à leur pays d’origine, particularité qui se retrouve dans le cinéma américain où l’on découvre bien souvent une image idéalisée, pastorale et stéréotypée de l’Irlande, allégorie d’une sorte de paradis retrouvé.

 

Le catholicisme a lui aussi joué un rôle non négligeable dans l’élaboration de la culture irlandaise. Le cinéma national retranscrit cette diversité culturelle à travers de nombreux thèmes récurrents tels que la terre, le folklore et le conflit avec la Grande-Bretagne. Ces différents sujets sont exploités et associés afin d’en projeter les légendes et les traditions, le patriotisme et le folklore, la religion et la condition de la femme, le monde agricole et le nationalisme. La récurrence de ces thèmes participe à l’élaboration d’un archétype culturel que l’on retrouve dans une multitude de formes artistiques.

 

Aujourd’hui, le cinéma irlandais ose de nouvelles approches en renvoyant une image de l’île moderne et urbaine. Le stéréotype d’une Irlande verte et pluvieuse constitue une réalité qui paradoxalement engendre des clichés.

 

Il est bien difficile de définir un cinéma proprement irlandais, car il existe de nombreuses interactions historiques, culturelles et économiques qui brouillent quelque peu les pistes. Il n’existe quasiment pas de politique artistique gouvernementale et la production cinématographique est souvent dépendante d’investissements étrangers. La censure au nom de l’unité nationale ainsi que l’autocensure ont également empêché le développement d’un cinéma national.

 

La complexité de l’identité des films sur l’Irlande émane d’une représentation du peuple irlandais abondante en clichés, perception qui perdure dans le cinéma américain. D’où la difficulté de définir la vraie nationalité d’un film : tout dépendra du pays d’origine du réalisateur, du pays de production, du lieu de tournage, de la nationalité des acteurs ou du lieu de narration de l’histoire. Autant dire qu’il sera préférable d’évaluer la nationalité de chaque film au cas par cas.

 

« Le cinéma n’est pas qu’un simple divertissement, il est aussi le reflet de la société ».

 

C’est en analysant l’évolution du cinéma irlandais que l’on pourra observer celle de la société irlandaise. Cinéma et société sont intimement liés : les événements historiques ont non seulement influencé le développement de l’industrie cinématographique, mais ils sont aussi présents à l’écran. Le cinéma est un outil de connaissance de l’histoire si on replace les œuvres cinématographiques dans leur contexte historique, politique, économique et humain.

 

L’Irlande s’est construite par rapport à la lutte nationaliste, qui se traduit de différentes façons. La religion, la politique, le colonialisme et le socialisme sont autant de domaines qui s’entremêlent et compliquent considérablement la définition du nationalisme irlandais.

 

A la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle, de nombreux organismes nationalistes participent à des mouvements en faveur de la renaissance culturelle gaélique, mouvements qui favorisent l’idée d’une nation celtique et catholique. Les films sont alors le reflet d’une atmosphère générale : les sujets ainsi abordés sont l’émigration aux Etats-Unis et la lutte nationaliste.

 

Des productions étrangères et nationales voient le jour mais la production de films en Irlande peine à se développer à cause d’incessants conflits (guerre d’indépendance, guerres civiles, etc). La violence de cette époque empêche l’essor d’une production cinématographique nationale mais devient un des sujets prédominants des films sur l’Irlande. La période du cinéma muet est une période agitée. L’instabilité politique du pays n’assure pas une continuité dans la production des films. Cependant, les succès nationaux et internationaux participent à la construction d’un cinéma irlandais au sein duquel les sujets du passé reflètent la situation contemporaine du pays.

 

La production cinématographique irlandaise

 

Le cinéma muet

 

Le cinéma fait son apparition à Dublin avec la projection de films des frères Lumière. Les premières projections ont lieu en 1897, dans un théâtre dublinois, le Rotunda et les premières images animées sont des productions françaises des frères Lumière, dont le célèbre pont de Dublin, O’Connell Bridge.

 

O'Connell Bridge

 

 

Des événements importants sont filmés, comme la visite de la reine Victoria à Dublin en 1900. Devant le succès des projections, l’association The Irish Animated Picture Company est créée en 1904 par J.T. Jameson. C’est la première compagnie cinématographique irlandaise. Les films projetés au public irlandais sont exclusivement des productions anglaises. Comme à cette époque, l’Irlande fait partie de l’Empire britannique, il semble difficile de distinguer les films irlandais des films anglais.

 

Cinéma Rotunda, Dublin

 

Le premier film tourné en Irlande est The Lad From Old Ireland, film muet de dix minutes, réalisé en 1910 par Sidney Olcott, cinéaste canadien d’origine irlandaise et produit par une maison de production américaine, la Kalem. Le film raconte l’histoire d’un jeune irlandais qui émigre et fait fortune en Amérique. A cette époque, Les Etats-Unis ont besoin d’une main d’œuvre bon marché et anglophone. Ce court-métrage diffuse le mythe du rêve américain  et souligne un des problèmes essentiels de l’Irlande du 19ème et des débuts du 20ème siècle, celui de la propriété de la terre et de la dépendance au colon anglais ainsi qu’à l’Irlandais protestant. Grâce à The Lad From Old Ireland, l’Amérique favorise la production d’un film qui met en avant l’opportunité de faire fortune pour les nouveaux immigrants.

Sidney Olcott réalisa vingt-huit films dans lesquels on peut y voir une préférence pour le nationalisme irlandais. Sur les vingt-huit films, aujourd’hui, il n’en reste plus que sept, ce qui représente la plus grosse production jamais réalisée en Irlande. Sidney Olcott meurt en 1949 alors que le cinéma parlant fait son apparition.

 

Le parlant est musical

 

Les premiers films sonores réalisés en Irlande sont des films musicaux. La musique tient une place importante au sein de la société irlandaise, ce qui favorise la production de comédies musicales qui mettent en scène des histoires optimistes.

 

The Voice of Ireland est le premier film sonore irlandais. Sorti en 1932, il est écrit, réalisé et produit par le colonel Victor Haddick. Le film ne rencontre guère de succès car les critiques irlandaises de l’époque trouvent que le film colporte une image parodique de l’île.

 

La censure et le rôle de l’Eglise

 

Peu après la création de l’Etat libre (actuelle République d’Irlande), en juin 1923, le gouvernement irlandais se dote de son propre système de censure avec le Censorship Act. Le censeur est nommé par le gouvernement et c’est James Montgomery qui assurera cette fonction en s’appuyant sur les textes des dix commandements pour exécuter son travail.

Au nom de la morale catholique, en dix sept ans de fonction, Montgomery fut interdire la projection de 1800 films. La plupart des films projetés en Irlande sont américains et le Code Hays n’existe pas encore (Cf. L’univers de Stanley Kubrick # 2, La Code Hays : censure et cinéma).

 

L’importance du catholicisme est une des raisons pour lesquelles la censure irlandaise est très sévère. Il est interdit de représenter une action non conforme aux règles catholiques et il faut éviter de maltraiter la fierté irlandaise. Mais la rigueur de la censure irlandaise n’a jamais facilité la production de films, engendrant une stagnation concernant le tournage et la production de films dans le pays.

 

A partir de 1940, le second censeur se nomme Richard Hayes et ne déroge pas à la ligne de conduite tracée par son prédécesseur. Hayes bannit tous les films où l’on mentionne l’avortement, la contraception, l’adultère ainsi que toute allusion sexuelle. La politique est un sujet difficile à aborder pour les producteurs irlandais et les thèmes tels que l’amour et la famille doivent être représentés d’une façon très édulcorée. Le risque que le film soit censuré devient trop important et effraye les éventuels investisseurs irlandais.

 

Depuis la nouvelle constitution rédigée en 1937, l’Etat irlandais institutionnalise le rôle de l’Eglise catholique dans différents domaines, de la vie quotidienne aux moyens d’expression artistique. A cet effet, le catholicisme bénéficie d’un statut spécial en Irlande. La famille est considérée comme étant la base de la société, il est conseillé aux femmes de rester au foyer et le divorce est interdit (devenu légal en 1995). L’Eglise n’a pas de rôle direct sur la censure mais exerce une influence certaine sur le censeur et les cinéastes.

 

Il est indéniable que la censure a joué un rôle dans l’absence d’une industrie du cinéma. Le sujet des films tournés en Irlande portent souvent sur le nationalisme, ce qui déplaît aux autorités anglaises. Le British Board of Film Censors s’applique également à censurer tout film où l’on représente la lutte irlandaise, sauf si cette dernière est montrée de façon très épurée et que le film n’apporte aucune critique sur les actions britanniques, une autre raison de la difficulté pour le cinéma irlandais de ne pas pouvoir se développer.

 

A SUIVRE : Le cinéma irlandais entre 1922 et 1982 

Sources :

 

Cinéma et Histoire ~ Marc Ferro ~ 1977

Irlande : Histoire, Société, Culture ~ Maurice Goldring & Clíona Ní Ríordáin ~ 2012

La question irlandaise ~ Wesley Hutchinson ~ 2001

Le cinéma irlandais ~ Stéphanie Willette ~ 2004

Le film comme archive part I : http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/article-ar-i-35998792.html

L’univers de Stanley Kubrick # 2 ~ Le Code Hays : censure et cinéma : http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/article-l-univers-de-stanley-kubrick-2-76296456.html

Cinémas irlandais ~ Jean-Pierre Garcia & Klaus Gerke ~ 1996

Centre Culturel Irlandais ~ Paris

 

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