Le cinéma irlandais entre 1922 et 1982

 

Volta

 

Selon les critiques, historiens et professionnels, le cinéma irlandais était qualifié à cette époque d’" Indigenous cinema " (cinéma indigène), expression, non péjorative en anglais, employée pour désigner les cinémas des minorités ethniques face à l’industrie hollywoodienne.

 

L’Irlande est un des pays européens ayant le plus fait l’objet de films de fiction. L’image de l’Irlande a été utilisée, manipulée, trahie dans un nombre inconsidérable de productions hollywoodiennes, anglaises et françaises. De la caricature grossière à la mise en scène bucolique, le décor irlandais était recherché pour ses paysages, puis pour ses hommes, avec un goût prononcé pour le stéréotype (Irlande = nature sauvage = hommes frustres et violents).

 

Durant les années qui suivirent l’indépendance, l’Irlande dû faire face à la reconstruction d’une économie exangue. Il n’y eut que très peu de production de films durant cette période, hormis Issac Eppel, propriétaire du Cinéma Palace à Dublin qui produisit le film réalisé par George Dewhurst, « Irish Destiny ».

 

IRISH DESTINY (Destinée irlandaise)

 

 

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Réalisation : George Dewhurst

Scénario : Isaac Eppel

Genre : fiction historique

Pays : Irlande

Année : 1926 / N&B / Muet

Synopsis : A la recherche des membres de l’IRA (Irish Republican Army, Armée Républicaine Irlandaise), les Blacks and Tans, policiers britanniques volontaires rescapés de la Première Guerre mondiale, comparables à la Gestapo de l’Allemagne nazie, dévastent le village où habite la famille O’Hara…

 

Cette production privée est considérée comme étant le premier film de fiction irlandais qui traite de la guerre d’indépendance. Il a été projeté pour la première fois lors du dixième anniversaire du soulèvement de Pâques 1916. Ce film est considéré comme un document unique et important dans l’histoire du cinéma irlandais.

 

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Le film est intéressant par bien des points car il ne se contente pas de montrer des faits historiques. Il permet de montrer la société irlandaise à travers les portraits des différents protagonistes, comme celui d’une famille irlandaise catholique, celui du bourgeois pro-IRA, celui d’un prêtre et évoque aussi la Première Guerre mondiale.

 

Le film se conclut par l’évasion des prisonniers et l’insurrection générale. De magnifiques images coloriées marquent certains événements comme l’incendie des bâtiments publics. La dernière image nous montre les couleurs du drapeau irlandais sorti de la clandestinité et flottant sur la ville de Dublin.

 

Malgré son succès, le film ruina son producteur. Il fut restauré par les archives du film irlandais.

 

THE DAWN (L’Aube)

 

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Réalisation : Tom Cooper

Scénario : Tom Cooper & Dr A. Moriarty

Genre : fiction historique

Pays : Irlande

Année : 1936 / N&B / Parlant

Distribution : Irish Film Institute (Dublin)

Synopsis : L’action se déroule durant la période de la guerre d’indépendance, au moment où les Black and Tans s’attaquent à l’IRA. L’embuscade relatée dans le film constitue un élément réaliste de la narration.

 

Ce film irlandais est le plus connu et le plus populaire des années 30. C’est également le premier long-métrage (1h30) sonore entièrement irlandais, qui fut écrit, réalisé et produit par un garagiste de Killarney.

 

Le film relate la partie la plus sombre des combats pour l’indépendance et montre les terribles affrontements entre les patriotes et les forces de répression britanniques, les Blacks and Tans. Les nombreuses scènes d’action prennent un aspect quasi documentaire.

 

Le succès du film s’explique par son unanimiste, c’est l’Irlande dans son ensemble (toutes classes sociales confondues) qui se soulève pour acquérir son indépendance. Le succès de « The Dawn » révèle également l’extrême vivacité du sentiment nationaliste et du refus de la partition de l’île et a longtemps été considéré comme le film de référence, l’acte de naissance d’un cinéma national authentique.

 

A travers ces deux films, on découvre que le peuple irlandais est fortement attaché à sa patrie mais également fortement attaché aux événements de l’histoire. Sur le peu de films produits à l’époque, deux films relatent les événements qui ont amené le peuple à l’indépendance de l’île, tout en évoquant les forces policières britanniques et l’Armée Républicaine Irlandaise.

 

Pour qui ne connait pas l’histoire de l’Irlande, cela semblerait être un « imbroglio » de faits et d’événements incompréhensibles aux premiers abords.

 

Irlande : Histoire, Culture et Société

 

A la fin du 20ème siècle, l’image du Tigre celtique a supplanté le traditionnel trèfle à trois feuilles, symbole de la Sainte Trinité.

 

« Et sur ce territoire étroit, si l’on regarde bien, se retrouvent presque toutes les tensions, toutes les querelles. La violence, la paix, les querelles sociales, les guerres de religion, les définitions identitaires, les relations entre le peuple et ses intellectuels, les conflits de mémoires, la tristesse des chansons d’amour et la gaité des hymnes guerriers ».

 

La période d’influence celte est importante culturellement et politiquement parlant car elle connote une langue (le gaélique), un art, une littérature, des légendes, ses modes de production et d’organisation ont duré jusqu’à l’invasion viking et les conquêtes anglo-normandes du 12ème siècle. Mais bien souvent, mythes et réalités ne coïncident que très rarement.

 

L’Irlande celte fut christianisée à la fin du 5ème siècle par des missionnaires étrangers dont le plus connu fut Maewyn Succat, alias Saint Patrick (Pádraig en gaélique) (385-461), devenu un des personnages symboliques de l’île.

 

Jusqu’au 12ème siècle, l’île était gouvernée par plusieurs rois, guerriers qui se disputaient femmes et bétail, éléments mesurant l’étendue de leur pouvoir. L’activité principale était la guerre (guerre clanique).

 

Brian Boru (941-1014) régna sur l’île au début du 11ème siècle. Ce roi fut également une figure symbolique de l’histoire nationale, car il réunifia la société celte pour lutter contre l’invasion des Vikings, qui s’étaient établis sur l’île en fondant la ville de Dublin en 841. Brian Boru devint haut-roi d’Irlande en 1011 en vainquant les Vikings durant la bataille de Clontarf, le 23 avril 1014. Cette victoire devint une source d’inspiration nationaliste au cours du 19ème siècle.

 

Christianisation de la société celte

 

L’Eglise irlandaise ne respectait pas forcément les canons du catholicisme : les membres du clergé étaient mariés, les abbés disposaient d’un puissant pouvoir, la loi autorisait le divorce et tolérait les unions incestueuses.

 

L’histoire de Saint Patrick relate comment cet homme d’origine britannique a été enlevé par des pirates irlandais, puis vendu comme esclave, pour travailler comme berger pour un chef de clan irlandais. En 411, Patrick s’échappe après avoir été appelé par Dieu. En 432, il regagne l’Irlande en tant qu’évêque et missionnaire.

 

Entre 1171 et 1175, l’Irlande fut conquise par le roi Henri II d’Angleterre. Cette conquête marque huit siècles d’oppression anglaise et l’Irlande faisait désormais partie de la Couronne d’Angleterre. En 1541, Henri VIII prit le titre de roi d’Irlande. Voulant éviter l’influence des pays papistes tels que la France et l’Espagne, la soumission de l’Irlande apparaissait comme une question stratégique pour l’Angleterre. Afin de soumettre le peuple irlandais, tous les moyens étaient bons : corruption des élites, traduction de la Bible en gaélique sous l’impulsion d’Elisabeth 1ère, promulgation de lois, répressions et massacres.

 

En 1801, l’Acte d’union donne naissance au Royaume-Uni qui comprend la Grande-Bretagne (Angleterre, Pays de Galles, Écosse) et l’Irlande. Commencent alors des luttes nationales ; le peuple catholique se battait pour son émancipation et son autonomie. Pour exemple, au début du 19ème siècle, les bourgeois catholiques éduqués, les propriétaires de biens et de terres étaient privés du droit de vote, du droit d’être élus, du droit d’accéder aux études universitaires, du droit d’accéder à des fonctions publiques ou à certains métiers comme ceux d’avocat ou de magistrat.

 

En 1829, sous l’impulsion de Daniel O’Connell (1775-1847) et la Catholic Association avec le soutien de milliers d’Irlandais, le Parlement de Londres votait l’abolition des lois anticatholiques.

 

Qui étaient les Black and Tans ?

 

Les Black and Tans (Noirs & Fauves) étaient des anciens combattants de la première Guerre mondiale, engagés par le gouvernement britannique pour aider la Police Royale Irlandaise (RIC) à lutter contre les indépendantistes républicains irlandais de l’IRA.

 

Préparation de l’insurrection : 16/01/1916

 

L’Irish Republican Brotherhood (IRB), Fraternité Républicaine Irlandaise, était une organisation révolutionnaire républicaine irlandaise catholique, formée le 17 mars 1858 à Dublin par James Stephen (1825-1901) et par John O’Mahony (1816-1877) à New York. C’était une société secrète dont le but était la préparation d’un soulèvement général en Irlande contre l’occupation britannique. Elle fut intégrée à l’IRA en 1924 (ou en 1919). L’IRB était essentiellement composée de Fenians, des nationalistes irlandais.

 

Août 1914, l’IRB formait un comité militaire afin de préparer une action d’envergure avant la fin de la guerre, l’Irish Volunteer (25/11/1913 à 1919). L’IRB, milice nationaliste, partisane de la « Home Rule », luttait contre l’Ulster Volunteer, milice unioniste et protestante. Il existait une section féminine de l’IRB, Cummann na mBan. L’Irish Volunteer conserva durant la Première Guerre mondiale, une neutralité et demeura à Dublin.

Il y eut quelques tentatives d’insurrection organisées par l’IRB mais toutes se sont soldées par un échec : celle de 1845 fut entérinée par la Grande Famine et celle de 1867 fut très vite réprimée.

 

 

Le soulèvement de Pâques 1916 : l’insurrection

 

Le lundi 24 avril 1916, cent vingt membres de l’Irish Citizen Army (ICA), Am na Saoránach, en Irlandais (Armée Citoyenne Irlandaise), défilent avec sept cent membres de l’Irish Volunteer Force sur O’Connell Street à Dublin. L’ICA était une milice d’autodéfense ouvrière irlandaise, créée le 23 novembre 1913 par James Connolly (1868-1916), Jack White et James Larkin. Les manifestants occupèrent la Poste centrale, le Palais de Justice (Four Courts), le Mendicity Institute ainsi que la Gare Westland Row. Les chefs de l’insurrection se nomment Patrick Pearse, James Connolly, Tom Clarke, Sean MacDiarmada, Éamon de Valera, Joseph Plunkett ainsi que Constance Markievicz, dirigeante de la section féminine de l’ICA.

 

La mardi 25 avril 1916, les insurgés proclament la République irlandaise. Après cinq jours de violents combats, les insurgés sont acculés et le 29 avril, Patrick Pearse, président du gouvernement provisoire, décrète l’arrêt des combats et parvient à convaincre les engagés que l’insurrection est un échec. La reddition sans condition est signée le jour même.

La répression britannique fut implacable : 400 morts dont 318 civils et 80 insurgés, 2614 blessés dont 2217 civils, 3430 hommes et 79 femmes arrêtés à Dublin. Les dirigeants furent jugés en Cour martiale qui prononça 90 peines de mort. Patrick Pearse fut fusillé le 3 mai 1916 et James Connolly fut exécuté le 12 mai de la même année.

 

L’insurrection de Pâques 1916 est également appelée « les Pâques Sanglantes ». C’est un événement qui fait partie de la mémoire collective irlandaise. Ce soulèvement renvoie l’image de la rébellion du peuple irlandais (principalement à Dublin) contre l’occupant britannique. Durant le 19ème siècle, la population, fragilisée par la pauvreté, va subir de terribles famines entre 1845 et 1849, car les récoltes de pommes de terre sont perdues.

 

A la fin de la Première Guerre mondiale, le parti républicain Sinn Féin (Nous-Mêmes) obtint la majorité aux élections générales de 1918. Le Sinn Féin est le nom de plusieurs partis politiques irlandais nationalistes et/ou républicains, principale force politique de la Guerre d’indépendance irlandaise, branche civile de l’IRA  jusque dans les années 70. A partir des années 70, le Sinn Féin (Provisional Sinn Féin) devient la branche politique de l’IRA provisoire et participe au conflit nord-irlandais ainsi qu’à l’Accord du Vendredi Saint qui y met fin.

 

La Grande Famine : 1845-1849

 

Le mildiou frappa les récoltes de pommes de terre, principal et unique aliment des paysans irlandais. Cette grande famine fut une catastrophe particulièrement meurtrière qui dura pendant quatre ans. Plus d’un million de personnes sont mortes de faim ou des conséquences de malnutrition. Il y eut un exode massif (deux millions d’exilés), ce qui réduisit de moitié la population irlandaise. La conséquence la plus frappante fut l’extinction de la langue gaélique. La Grande famine est une catastrophe qui peut être perçue comme un des éléments fondateurs des luttes nationales irlandaises. Pour défendre le statut de la langue irlandaise, les nationalistes les plus radicaux engagèrent des luttes culturelles et se tournèrent vers les intransigeances  militarisées des républicains.

 

A SUIVRE : The Irish Film Institute of Ireland : pour un développement d’un cinéma irlandais

 

Sources :

 

Cinéma et Histoire ~ Marc Ferro ~ 1977

Irlande : Histoire, Société, Culture ~ Maurice Goldring & Clíona Ní Ríordáin ~ 2012

La question irlandaise ~ Wesley Hutchinson ~ 2001

Le cinéma irlandais ~ Stéphanie Willette ~ 2004

Le film comme archive part I : http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/article-ar-i-35998792.html

L’univers de Stanley Kubrick # 2 ~ Le Code Hays : censure et cinéma : http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/article-l-univers-de-stanley-kubrick-2-76296456.html

Cinémas irlandais ~ Jean-Pierre Garcia & Klaus Gerke ~ 1996

Centre Culturel Irlandais ~ Paris

 

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