Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l’Irlande est restée neutre car le pays devait faire face à une terrible crise économique. De ce fait, l’industrie cinématographique n’a pas pu se développer. Il subsiste tout de même deux longs-métrages documentaires qui font partie du patrimoine national ; levant symboliquement l’interdit de l’usage de la langue gaélique dans le cinéma irlandais. Ces films sont considérés comme étant les précurseurs d’œuvres indépendantes des années 70.

 

MISE ÉIRE

 

Mise Eire

 

Titre anglais : I am Ireland

Titre français : Je suis Irlande

Réalisation : George Morrison

Scénario : Sean McReamoinn

Genre : Documentaire

Pays : Irlande/ version originale : Gaélique

Année : 1959 / N&B

Synopsis : Film documentaire présenté au Festival du film à Cork en 1959. Aujourd’hui, les attitudes romantiques envers la lutte d’indépendance sont obsolètes et pour de nombreuses personnes, l’idéologie « valorisatrice » de l’émeute de 1916 peut paraître grossière. Ce documentaire utilise une profusion de films d’archives, d’affiches et autres documents d’époque.

 

SAOIRSE?

 

Saoirse

 

Titre anglais : Freedom?

Titre français : Liberté ?

Réalisation : George Morrison

Genre : Documentaire

Pays : Irlande/ version originale : Gaélique

Année : 1961 / N&B

Synopsis : Film documentaire relatant les événements en Irlande entre 1921 et 1922.

 

Ces deux films marquent une date importante dans la récupération de la mémoire nationale car ils couvrent les périodes-clés 1900-1918 et 1918-1922.

 

D’un point de vue documentaire, George Morrison, réalisateur irlandais né en 1922 à Tramore, dans le comté de Waterford, posait les interrogations fondamentales inhérentes au cinéma irlandais : "L’indépendance pour qui ? Pour quoi ?"

 

THE ROCKY ROAD TO DUBLIN

 

The Rocky Road To Dublin

 

Réalisation : Peter Lennon

Scénario : Mole Richardson

Genre : Documentaire

Pays : Irlande

Année : 1961 / N&B

Synopsis : Regard neuf et original sur l’Irlande. Constat lucide et sévère sur sept cents ans d’occupation britannique et prise de conscience sur la difficulté de réveiller un peuple allergique à l’idée de liberté.

 

Tout comme George Morrison, le réalisateur Peter Lennon posent des questions fondamentales sur l’Irlande d’aujourd’hui : "Qu’avez-vous fait de votre révolution après avoir triomphé ? Quel héritage de 1922 ?"

 

Peter Lennon : « Vous vous êtes contentés de glorifier les héros et de qualifier de traître ceux qui osaient les critiquer ».

 

En connaissance de cause, on comprend aisément que le film fut provoquant dans un contexte économique et social de 1968, le film fut présenté au Festival de Cannes la même année, dans un contexte tout aussi « chaotique ». Le film est d’ailleurs devenu la référence de toute une génération de cinéastes irlandais et européens. Le film raconte une histoire contemporaine se déroulant dans les années 50 et dénonce le conservatisme gouvernemental, la politique internationale et l’économie irlandaise.

 

De 1922 à 1982, il y eut que très peu de productions cinématographiques irlandaises et les studios d’Ardmore n’y sont pour rien, car même s’il se tournait beaucoup de films sur l’île, l’économie du pays, dû au fait du protectionnisme culturel et économique et à l’insularité, n’a jamais pu profiter d’un réel élan cinématographique.

 

Les soixante premières années du cinéma irlandais n’ont eu de cesse de préparer le terrain à la jeune génération de réalisateurs, qui se mettra à produire des films d’auteur. Les thèmes les plus récurrents vont être développés au cours des années 80 : guerre de libération (le conflit s’est déplacé au nord de l’île), le regard sur un pays replié sur lui-même, l’opposition entre le monde rural et la société urbaine (conflit entre conservatisme identitaire et modernité).

 

The National Film Institute of Ireland

 

The Irish Film Institute 01

 

The National Film Institute of Ireland est un organisme d’Etat, fondé en 1943 par l’archevêque de Dublin et Primat d’Irlande, établissement qui est fortement influencé par l’Eglise.

 

Les principaux objectifs du National Film Institute of Ireland étaient de motiver l’intérêt des Irlandais pour le cinéma, d’éduquer le public à des projections de films, d’éduquer les jeunes grâce à des moyens cinématographiques, de construire une bibliothèque nationale du film et de produire des documentaires éducatifs sur l’hygiène et la sécurité.

 

Les films produits sont essentiellement des documentaires informatifs et éducatifs, parfois propagandistes, comme A Nation Once Again, réalisé par Brendan Stafford en 1946. Le film tire le portrait d’une Irlande propre, heureuse et sans problème.

 

En réaction à ce documentaire de propagande, Liam O’Leary réalise un court-métrage de sept minutes, Our Country, en 1948. Ce film présente le pays de façon plus réaliste. Il décrit et critique la pauvreté, la maladie, l’émigration, les enfants qui traînent dans la rue et compare la misère des gens aux richesses visibles des grandes vitrines.

 

Ainsi fait, le gouvernement se retrouve directement visé, car le film dépeint une Irlande pauvre et misérable. Le film sort en pleine campagne électorale et est considéré comme un film de propagande qui apporte une critique acerbe du gouvernement en place, à qui l’on reproche d’être étroitement lié à l’Eglise. Liam O’Leary réfute l’image d’une Irlande rassurante et erronée.

 

L’influence et l’implication de l’Eglise catholique dans le cinéma sont évidentes et l’Eglise a toujours joué un rôle important dans tous les domaines de la vie irlandaise.

 

Mais le cinéma ne répond pas aux besoins vitaux de la vie quotidienne et est relégué à un rang inférieur par le gouvernement, car jusqu’au milieu des années 50, l’Irlande est frappée par un terrible marasme économique.

 

Aujourd’hui, l’Institut Irlandais du Film (Irish Film Institute) projette des films nationaux et internationaux et organise des rétrospectives sur les différents mouvements cinématographiques, films et cinéastes qui ont marqué le 20ème siècle.

 

 

The Irish film Institute 03 

Pourquoi les cinéastes irlandais ne persistent-ils pas dans leurs essais cinématographiques ?

 

En Irlande, ceux qui font du cinéma ne sont pas des professionnels mais des amateurs. L’absence de structure apportant une aide à la production en est la seconde raison. Il n’existe, à cette époque, ni studio de tournage, ni aide à la production, à la réalisation et à la distribution, ce qui n’enjoint personne à prendre le risque de réaliser ou de produire des films en Irlande. La discontinuité de la production n’attire guère les investisseurs. Les techniciens ne peuvent ni se former, ni acquérir une réelle expérience afin de faire valoir leur potentiel. A la fin des années 30, l’Etat n’a ni les moyens ni la volonté d’être le catalyseur de cette industrie qui aurait mérité que l’on se penche dessus. Il est un fait avéré que l’industrie cinématographique génère emplois et formations et s’avère être un excellent indicateur sur l’économie d’un pays.

 

The Irish Society (Cumann na Scannan, en Irlandais) était une société de production fondée en 1936, qui produisait des courts-métrages. Cette société fonctionna avec succès pendant quarante ans.

 

L’office du tourisme irlandais constitue également une source de financement non négligeable pour les productions documentaires.

 

En 1953, la Gael Linn est une association chargée de promouvoir la culture irlandaise sous toutes ses formes : langage, éducation, littérature, théâtre, cinéma. L’association produisit deux documentaires : Mise Éire (Mon nom est Eire), en 1959 et Saoirse? (Liberté ?), en 1962, films réalisés par George Morrison. Ces deux films ont entièrement été montés grâce à des images d’archives.

 

La Gael Linn avait pour habitude de produire des films d’actualités ainsi que des documentaires mais les actualités projetées ont vite été supplantées par l’apparition de la télévision dans les années 60. George Morrison réalisa en 1966 « Irish Rising », un documentaire pour commémorer le cinquantenaire de l’insurrection de Pâques 1916.

 

L’industrie cinématographique irlandaise progresse peu dans les années 50, la production de films est très faible. En effet, elle se limitait à quelques films documentaires réalisés grâce à des organisations gouvernementales.

 

Les studios d’Ardmore

 

Ardmore

 

Devant la multiplication de films étrangers tournés en Irlande, en 1958, les studios d’Ardmore, situés entre les villes de Cork et Waterford (Port Láirge, en Irlandais), dans le comté de Waterford, voient le jour dans la province du Munster, mais la direction des studios favorisera plus les productions étrangères aux dépens du cinéma national et des techniciens irlandais.

 

Les paysages irlandais offrant un panel de possibilités de tournage et de décors naturels grandioses, le gouvernement fit construire les studios d’Ardmore afin d’attirer les productions extérieures et d’inciter les cinéastes à venir tourner sur l’île.

 

Avant les années 80, la politique ignorait totalement le potentiel culturel du cinéma. Le gouvernement favorisait le développement d’une industrie cinématographique, mais cette industrie profitait surtout aux productions américaines et britanniques. Les studios d’Ardmore furent définitivement fermés en 1982.

 

L’essor cinématographique : 1970-1995

 

 

The Irish Film Institute 02 

La fermeture définitive des studios d’Ardmore engendra la création de la Commission du  cinéma irlandais.

 

La renaissance et l’essor du cinéma irlandais datent du début des années 80. En 1982, une Commission Irlandaise du Cinéma (Bord Scannán na hEireann’s, Irish Film Board) est créée. Antérieurement, il existe des œuvres cinématographiques rares et de qualité mais elles ne sont pas parvenues à établir les fondements d’une cinématographie nationale.

 

La Commission Irlandaise du Cinéma fut un organisme créé dans le but de palier au manque de production cinématographique en proposant une politique culturelle du cinéma (création, marketing et formation des techniciens irlandais). Cette commission fut financée par l’Etat entre 1982 et 1987 et a été relancée en 1993 et, est considérée comme la source de la renaissance actuelle du cinéma national.

 

Grâce à l’aide apportée par la Commission, plus de vingt-cinq longs-métrages ont pu être produits. En 1987, l’organisation suspendit son activité, ce qui fut une véritable tragédie pour les auteurs irlandais. Sous la pression des professionnels du cinéma irlandais, la Commission reprit son activité au début de l’année 1993. Grâce à un travail d’incitation à la production, vingt-cinq films et huit documentaires ont pu voir le jour en Irlande.

 

Le cinéma irlandais s’est développé de deux manières : un cinéma d’auteur ou indépendant, un cinéma faisant appel aux différentes techniques cinématographiques, qui se rapprocherait plus d’un cinéma hollywoodien, en faisant appel à des capitaux internationaux. La majorité des films restitue un lien étroit avec l’identité irlandaise et retranscrit un véritable point de vue d’auteur.

 

Dans les années 80, les films irlandais abordaient que très rarement l’histoire (sont exclues les luttes héroïcisées du début du siècle). Les histoires traitées dans le cinéma des quinze dernières années jouaient sur les conséquences des conflits parmi la population civile et se référaient surtout à la situation en Irlande du Nord.

 

Les héros étaient bien souvent des personnages ordinaires, perdus dans un univers où la violence subie par l’Irlande a trop longtemps servi de prétexte à l’écrasement des femmes (Cf. Maeve, Pat Murphy & John Davies, 1981) ou à l’explosion d’autres violences (Cf. Angel, Neil Jordan, 1982).

 

Des films tels que The Crying Game et Au nom du père (In The Name of the Father) relatent une actualité brûlante liée au conflit nord-irlandais, tout en racontant l’histoire de personnages anonymes frappés par une extraordinaire machine à broyer qui met dans le même sac bourreau et victimes.

 

Dans le cinéma irlandais, il est indéniable que les thèmes exploités constituent une récurrence identitaire et nationale. Ainsi, le repli conservateur (Cf. Bishop’s Story, Bob Quinn, 1994), dénonciation de la sévérité de l’enseignement catholique (Cf. Our Boys, Cathal Black, 1981), les thèmes de l’enfermement et du repli sur soi sont posés comme des principes de société acquis par l’héritage de la pensée conservatrice des années 50. L’opposition entre la ville et la campagne est également une image constante dans le cinéma irlandais (Cf. Traveller (1982) et Reefer and the Model (1987), Joe Comerford).

 

Le cinéma irlandais apparaît à l’image du pays tout entier : l’industrie cinématographique, tout comme le processus de paix, sont des éléments relativement récents, et tous les espoirs sont tournés vers un développement d’une cinématographie émergente.

 

Tout en restant dans le cadre d’un cinéma identitaire, le cinéma irlandais s’inscrit dans la modernité et « semble prêt à regarder son passé à partir d’un présent libéré des héritages nationalistes, religieux et machiste ».

 

« Le cinéma irlandais exprime aujourd’hui une authentique aspiration vers un pluralisme radical ». Rod Stoneman, Directeur de la Commission du Cinéma irlandais.

 

A SUIVRE…

 

Sources :

 

Cinéma et Histoire ~ Marc Ferro ~ 1977

Irlande : Histoire, Société, Culture ~ Maurice Goldring & Clíona Ní Ríordáin ~ 2012

La question irlandaise ~ Wesley Hutchinson ~ 2001

Le cinéma irlandais ~ Stéphanie Willette ~ 2004

Le film comme archive part I : http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/article-ar-i-35998792.html

L’univers de Stanley Kubrick # 2 ~ Le Code Hays : censure et cinéma : http://unefenetresurlemonde.over-blog.com/article-l-univers-de-stanley-kubrick-2-76296456.html

Cinémas irlandais ~ Jean-Pierre Garcia & Klaus Gerke ~ 1996

Centre Culturel Irlandais ~ Paris

Cinéma & Histoire : Le Cinéma irlandais # 1 et # 2 => Le Blog de Phoebe

 

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