Rêve, observe et contemple l'Univers et les Multivers.

DJ Miss Phoebe

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Réalisation, scénario, montage : Mathieu Kassovitz

Pays : France

Année : 1995

Genre : comédie dramatique

Production : Lazennec Productions, La Sept Cinéma, Studiocanal, Kasso inc. Productions

Distribution : Mars Distribution

Synopsis

Suite aux émeutes déclenchées dans une cité en banlieue parisienne, trois amis vont vivre une journée pas comme les autres…

Chronique d’une haine annoncée…

Un film qui reste d'actualité bien qu'il date de 1995.

Là, j'ai tout simplement envie de donner ma propre vision, je n'édicte aucune vérité, je n'en fais qu'un simple constat. J’ai également un peu fouiné sur la toile pour étayer mes arguments et pris du plaisir à repérer les points esthétiques, ainsi le scénario qui est une vraie merveille !
 

Voix off d’Hubert (Hubert Koundé) :

 « C’est l’histoire d’un homme qui tombe d’un immeuble de 50 étages.

Le mec, au fur et à mesure de sa chute, il s’répète sans cesse, pour se rassurer…

Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien… jusqu’ici tout va bien.

Mais l’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage ! »

Ces quelques phrases résonnent tel un leitmotiv, tel un fil conducteur du film.

Quelle sera la finalité de cette journée de galère qu’ont subit Hubert, Vinz et Saïd ?

Journée ponctuée par des intertitres indiquant l’heure de l’action. L’unité de temps est importante, car elle est l'élément dramatique du récit. L’heure avance, le suspense grandit, que va-t-il finalement se passer ?

Très bon scénario au passage…

Une bande son signée par Assassin, les compères de Kassovitz qui avaient d’ailleurs déjà participé sur la bande originale de son premier long-métrage, Métisse.

Réalité ou fiction, le film est troublant car les prénoms des principaux personnages sont identiques à ceux des acteurs, ce qui connote une légère incursion dans le style dit « documentaire ».

Réalité fictive ou fiction réaliste, pour moi la question ne se pose pas. Tel Ken Loach, Kassovitz a su se positionner en observateur, peut-être même, tel un anthropologue, analysant les différents portraits de « jeunes de banlieues » (expression devenue très péjorative de nos jours) et du comportement policier, et plus généralement d’une vision de la société pas toujours rose. Observateur averti, Kassovitz n’est pas issu de « la cité » mais a su retranscrire le malaise qui y règne, avec force et réserve, c’est ce qui est, à mon humble avis, très appréciable dans ce film.

Le générique débute sur des manifestations et autres émeutes avec pour bande sonore du Reggae (Bob Marley), contrepoint musical, accentuant la force symbolique des images. Nous ne sommes plus dans un climat de paix et le réalisateur l’annonce dès le début, quand bien même la musique radoucirait les mœurs.

Fin du générique, on entend la voix d’une journaliste relatant les émeutes ainsi que les raisons de ces accès de violence.

Car les médias tiennent un grand rôle dans la manière d’informer les gens sur ce qu’il se passe dans les banlieues. Le but étant en général, d’effrayer et d’insuffler un sentiment d’insécurité dans l’inconscient collectif afin de stigmatiser une catégorie de personnes déjà mise en ghetto.

Au lieu d’essayer de résoudre le problème, on inverse la tendance en pointant du doigt les mauvais bougres, plutôt que de se demander pourquoi les gens sont fous de rage et ont la haine. Car c’est aussi de cela qu’il s’agit.

Les médias, ceux qu'on a l’habitude d’appeler, « le 4ème pouvoir », ont le don de diriger/manipuler les esprits… Et c’est un très grand pouvoir !

On entend le tic-tac d’une montre, travelling avant sur Saïd, puis soudain, on entend un coup de feu… Effet d’annonce, la tension montera jusqu’à son paroxysme, jusqu’à la fin du film.

Le ton est donné, un car de crs en faction devant le personnage, recherchant un mineur ayant commis un vol. Saïd taggue son nom ainsi que « baise la police », montre très bien qu’il y a deux camps, mais non déterminés, ce qui prouve que Kassovitz a voulu éviter un certain manichéisme à l’américaine et je ne lui en suis que reconnaissante.

Séquence où l’on découvre le personnage de Vinz

Un personnage à fleur de peau, joué avec justesse par Vincent Cassel, avec cette scène mythique devant le miroir. Ici, on constate tout de suite l’influence esthétique du cinéaste. En effet, il nous cite le nom moins mythique Taxi Driver (1976) de Martin Scorsese, où Al Pacino se parle devant un miroir. Je pense que ce n’est pas anodin et connote de la part du réalisateur une grande maîtrise du scénario et un don pour raconter les histoires.

Néanmoins, je dois de mettre en évidence l'existence d'une autre influence, qui indique un goût prononcé pour le suspense et que Kassovitz souligne discrètement tout au long de son film.

Très judicieux, très raffiné même !

Vinz est souvent filmé à travers son miroir, on voit régulièrement son reflet…

Alfred Hitchcock, maître ès crime, docteur suspense en personne, avait un goût prononcé pour le symbolisme. Dans Psychose (1960), il y a une séquence clé, un détail mais qui a son importance. Quand le personnage de Marion Crane (qui a dérobé une forte somme d’argent à son patron et qui est en fuite), se retrouve dans sa chambre d’hôtel (où Norman Bates l’a accueillie pour la nuit), elle se regarde dans le miroir. Pour ceux qui ont vu le film, vous savez tous ce qu’il advient de la jeune femme quand la douche fut prise…

 

Le rôle du miroir

Concernant le cinéma classique, le miroir symbolise toujours la mort. La mort de Vinz est clairement énoncée et les nombreux plans insistants de Vinz dans le miroir dit clairement qu’il va y avoir déviance physique et morale.

D’un point de vue métaphorique, le miroir renvoie au spectateur son propre reflet. Il permet l’intrusion du hors-champ dans le champ, ce qui est inhabituel dans le langage cinématographique. La métaphore du montage est exprimée par la division de l’espace : ce qui se fait par le biais du montage passe par le regard du spectateur.

L’annonce de la mort de Vinz est faite dès les premières séquences, fait que l’on pourra vérifier à la fin, car Vinz est souvent vu à travers le miroir, on ne voit souvent que son reflet, effet d’annonce sur sa mort future.

La force du film tient également dans son montage qui rythme la journée des trois amis.

Plus la journée avance, plus l’étau se resserre, plus les plans se font rapides. Le summum du film, la dernière minute, 6h01 du matin, le point culminant où la tension se fait sentir, devient concrète, presque palpable est admirablement bien amenée.

La boucle est bouclée, au spectateur d’imaginer la suite… peut-être l’objet d’une éventuelle réflexion.

Le fait que le film soit en noir et blanc a son importance. Il exprime pour moi le passé. Quand je prends des photos en noir et blanc, je suis dans mon présent qui exprimera plus tard mon passé.

Le film La Haine exprime un passé mais également un futur qui devient notre présent, car 18 ans après le film n’a pas pris une seule ride !

 

Interprétation

Le film se présente comme étant novateur car il s’agit d’une critique sociale par le non respect de la figure classique du champ/contre-champ : par le biais du miroir, le hors-champ est directement introduit dans le champ et le champ est divisé en plusieurs espaces introduisant un surcadrage.

C’est également un film marquant la modernité par l’intrusion du hors-champ dans le champ, empêchant et réduisant l’imaginaire du spectateur puisqu’on lui montre ce qu’il est sensé habituellement imaginer, entrainant une sensation de cloisonnement de l’espace et bouleversant les repères traditionnels. La division du champ amène le spectateur à être actif, qui doit « distribuer » son regard ; ainsi, il devient co-constructeur de l’image. En effet, l’intrusion du miroir l’oblige à reconstruire un espace cohérent qui est à l’origine perturbé.

Le film présente un univers diégétique qui était rejeté par les cinéastes classiques, ce qui prouve que La Haine implique une modernité en introduisant un espace déstructuré, tant au niveau du fond que de la forme.

Dans son analyse du film, Frédéric Das (conférencier sur le cinéma), dit de La Haine que ce n’est pas simplement un classique du cinéma français mais un film culte. Pourtant, le projet au départ a été difficilement accepté par la production.

Un film culte est un film qui est sorti à un moment donné de son objet strict de film, pour devenir quelque chose d’autre. Ce film est devenu un objet social, un objet médiatique, qui va créer très vite un phénomène de mode. Tout le monde en parle, ce qui engendre très vite des malentendus autour du film. La Haine fait partie de ces films basés sur des malentendus.

Une oeuvre qui a énormément impressionné le public ainsi que la critique, par sa mise en scène, par son esthétique. Il détonne dans le cinéma français de l’époque par le sujet qu’il traite et sa forme.

Mais avant d’être un  film sur la banlieue, F. Das, dit tout simplement que c’est un film sur Paris. Une vision pessimiste sur la ville en général, sur univers urbain.

En relisant certaines récentes critiques du film, force est de constater qu’il reste toujours d’actualité, 18 ans après…
Comment se fera l’atterrissage ? Connaissant la cause, quelle conséquence en résultera ?

Autrement dit, quel avenir pour les banlieues françaises ?

Va-t-on assister à une totale et définitive mise en ghetto ?

 

Le film se clôture sur la voix off d’Hubert :

« C’est l’histoire d’une société qui tombe et qui au fur et à mesure de sa chute, se répète sans cesse, pour se rassurer : « Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien. L’important, c’est pas la chute, c’est l’atterrissage. »

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