LES SEPT VERTUS DU SAMOURAÏ ET LA QUETE DE MUSASHI

 

 

Les sept vertus du samouraï

 

Le Bushidô, la Voie du guerrier, est le code d’honneur du samouraï, dont l’origine prend sa source au sein du bouddhisme, du shintoïsme ainsi qu’à travers les écrits de Confucius et de Mencius.

Le shintoïsme est la religion traditionnelle du Japon. Il véhicule des valeurs de patriotisme et de loyauté, incluant la bonté innée et la pureté divine de l’âme.

Le bouddhisme est basé sur la conviction de l’existence d’un principe qui régit tous les phénomènes.

Le samouraï devait donc adopter une attitude de calme abandon face au destin, de soumission stoïque face au danger et au malheur.

Les valeurs fondamentales transmises par le Bushidô sont regroupées au nombre de sept vertus que le samouraï se devait de respecter.


Gi : la rectitude, la justice

Gi, rectitude et justice

 

C’est la base du Bushidô. Pour un samouraï faire preuve de rectitude signifiait savoir prendre, sans hésitation, une décision conforme à la raison.


« Mourir quand il faut mourir, frapper quand il faut frapper »


Le terme « Gishi » désigne une personne qui a su s’accomplir dans la pratique d’une discipline. Gishi regroupe en fait un ensemble de vertus telles que « chugi », la loyauté et la fidélité absolue, « gishi », la droiture, l’incorruptibilité et l’intégrité, l’indulgence et le pardon, « honto », l’authenticité, « ansha », la générosité, l’humilité, « yu », le courage, la bonté, « makoto », l’amour de la vérité, la sagesse.


Yuu : la bravoure et l'héroïsme

 

Yuu, la bravoure et l'héroisme

Il est question d’un courage teinté d’héroïsme, faisant appel à un esprit audacieux. Le courage inclut la maîtrise de soi et consiste à faire ce qui est juste. Même si l’entrainement est difficile, on doit faire preuve de courage sans se plaindre et sans abandonner.


Jin : la bienveillance et la compassion

 

Jin, bienveillance et compassion

La qualité fondamentale d’un chef réside dans le respect de la vie et dans la volonté de la protéger.

 

« La bienveillance emporte avec elle tout ce qui tente de lui faire obstacle, aussi facilement que l’eau domine le feu ». Mencius (380-289 av. JC)


Rei : la politesse

 

kanji rei politesse

 

La politesse est la plus grande marque de respect que l’on puisse accorder à une personne. C’est la base de toute relation entre deux personnes. Dans les arts martiaux, tout commence et tout se termine par le salut, considéré comme un signe de courtoisie, véhiculant également l’esprit de tradition, tout en rappelant qu’il faut s’appliquer à parfaire la technique sans oublier de parfaire l’esprit.

Rei va au-delà du simple concept de politesse. Il réunit également des qualités telles que l’endurance, la bonté, rejetant l’envie et la vantardise. Ainsi, il véhicule la paix intérieure en évitant de provoquer l’autre, tout en évitant la colère et la violence.


Sei : l’amour de la vérité et la sincérité

 

Makoto, vérité et sincérité

 

Le samouraï devait garder une âme pure. Il ne devait pas se laisser envahir par ses instincts primaires ou par son ego. Il devait vivre chaque instant avec la force et l’innocence d’un homme véritable. Le concept de promesse n’existait pas car quand le samouraï disait quelque chose, il le disait avec sincérité et vérité. Aller à l’encontre de ses propres paroles aurait été un déshonneur pour lui.


Meiyo : l’honneur

 

Meiyo, honneur et gloire

 

L’idéogramme « meiyo » est constitué de deux kanjis : « mei », qui signifie « nom » et « yo », qui signifie « réputation, honneur, gloire ». Cette qualité désigne l’élaboration d’une réputation, faite à partir d’actes glorieux et dans l’honneur.

Meiyo résume l’ensemble du Bushidô, car un manquement ne serait-ce qu’à une seule règle, serait synonyme de déshonneur, ce qui ne pourrait être toléré pour un samouraï qu’il considérerait être pire que la mort. Dans le Japon féodal, la façon de regagner l’honneur perdu était le « seppuku ». Un samouraï préférait mourir plutôt que de vivre dans la honte et le déshonneur.


Chuu : le devoir de loyauté

 

Chuu, devoir et loyauté

 

Dans les arts martiaux, « chuu » est considéré comme étant la base de tout apprentissage. Sans fidélité absolue, aucune progression n’est possible. Cette loyauté résulte de la confiance et de la sincérité dans la démarche (makoto). Le devoir de loyauté est une référence à des principes et à des valeurs.

D’autres valeurs telles que « giri », le devoir, « enryo », le mépris de la mort, « shiri », l’esprit de décision, « ninyô », l’humanité, « bushi-no-nasake », la compassion et « doryô », la magnanimité étaient également regroupées dans le code de l’honneur du bushi.

Toutes ces valeurs prennent leur source et leur force dans ce thème central :


« Si le samouraï pratique l’introspection et l’autocritique à tout instant, et s’il est en outre disposé à laisser là sa vie où et quand il le faut, il sera parfait dans tous les arts martiaux, et mènera une vie pure comme le diamant ».


Ces valeurs restèrent longtemps véhiculées dans l’esprit nippon de l’ère Meiji-jidai (1868-1912). En 1876, l’édit Haitorei était proclamé, édit visant à interdire aux samouraïs le port du sabre et à supprimer tous les privilèges de l’ancienne caste guerrière.

 

La quête de Musashi

« Lorsque que vous aurez atteint la voie de la stratégie, vous comprendrez tout sans exception. Vous connaîtrez la Voie en tout ».

 

musashi

 

Shinmen Musashi-no-kami, Fujiwara-no-Genshin, plus connu sous le nom de Miyamoto Musashi est né en 1584 à Miyamoto, petit village du centre de Honshû, île principale du Japon, ayant vécu sous l’ère Tensho (époque de Azuchi-Momoyama : 1573-1603), période très agitée de l’histoire du Japon car le pays fut agité par de terribles guerres civiles.

Surnommé « le petit tengu », faisant allusion à ces génies ailés, mi-hommes, mi-oiseaux, qui vivaient dans la montagne et que la rumeur créditait d’extraordinaires exploits au sabre qui lui conféraient un véritable don pour les arts martiaux.

Un bon nombre d’anecdotes circulent sur l’histoire de son enfance, sans doute largement exagérées et concoctées bien plus tard pour les besoins d’un mythe.

La première histoire, celle du chat errant, est assez subjugante car elle témoigne de l’esprit de sagesse du jeune Musashi. Elle est particulièrement significative de cette grâce innée que lui prête l’Histoire et dont Musashi lui-même aurait tiré une efficacité surhumaine.

Musashi jeune fut défié par son père à tuer un chat se reposant tranquillement au soleil. Relevant le défi, sa main droite fit un mouvement vers la poignée (tsuka) de son sabre et c’est au son d’un « kiai » strident, qu’il dégaina sa lame de son fourreau. Le chat se réveilla en sursaut, voulant bondir pour s’échapper, mais il était trop tard. La lame était sur lui après avoir décrit une arabesque mortelle dans un bruissement de soie. Le chat s’effondra sur la dalle. Munisai, le père de Musashi, s’approcha du petit tas de fourrure inerte et y chercha en vain une goutte de sang. Et pourtant, son fils avait déjà rengainé son sabre et souriait paisiblement. Munisai regarda de plus près et découvrit avec stupéfaction que la lame avait tranché un côté de la moustache du chat, à ras du museau et que l’animal respirait toujours, probablement évanoui de saisissement. Au regard étonné qu’il adressa à son fils, ce dernier répondit calmement en le regardant au fond des yeux :


« On ne tue pas sans motif. Je n’avais pas envie de tuer ce petit chat. Même un chat errant a sa vie, qu’on ne supprime pas par plaisir. Je lui ai laissé la vie. Trancher au-delà de sa moustache eut été facile, mais ne m’eut rien apporté de plus ».


Musashi reste l’un des plus célèbres combattants au sabre (ken-jutsu) que le Japon ait connu, poursuivant sa quête toute sa vie durant, en solitaire. Il était considéré comme étant la plus fine lame de l’archipel nippon, et a écrit le Gorin-no-shô, véritable bible de la tactique du combat au sabre. Escrimeur hors pair, exceptionnellement doué (il mena son premier combat à l’âge de treize ans), dont chaque défi se soldait par la mort de l’imprudent qui le relevait, animé par ce souffle guerrier (senki), que seuls ont possédé les kensei, ces « saints du sabre ». Musashi était également considéré comme un technicien inégalé, créateur d’une nouvelle école de combat avec deux sabres ; ayant remporté plus de soixante combats, entre 13 et 29 ans. Connu aussi pour être philosophe, écrivain et artiste sur la fin de son existence, vivant en ermite au fond d’une grotte.

Durant toute sa vie, il se consacra à la quête de la Voie du sabre et de la stratégie, en quête d’une méthode de combat infaillible. Sa démarche consistait à une nouvelle compréhension des êtres et des choses ; Il véhicula l’image du samouraï à laquelle va s’attacher la population nipponne, celle du guerrier à la recherche d’un idéal de vie, élevé à travers la Voie des Arts Martiaux.

Habile, fort, intelligent et solitaire, sa rigueur d’esprit, sa façon de voir rapidement au cœur des êtres et des choses, son insatisfaction, sa quête incessante, donnèrent au personnage quelque chose de terriblement inquiétant. Il pratiquait ce qu’il appelait « le petit art martial », la Voie du sabre et préféra se pencher, sur la fin de sa vie, sur « le grand art martial », la Voie de la stratégie. Il puisait sa force de caractère dans la certitude.

Musashi reste dans le panthéon des samouraïs célèbres de l’ancien Japon, un personnage à la fois inquiétant et attachant, pour avoir vu un bon nombre de fois la mort de si près. Il mourut tout simplement de vieillesse après avoir vécu une vie faite de combats, de défis, d’aventures et d’engagement.


Le premier défi de Musashi

Musashi avait pratiqué les arts martiaux depuis sa plus tendre enfance et livra son premier combat alors qu’il n’était âgé que de treize ans. Dès son plus jeune âge, Musashi, que l’on nommait entre autre, Takezo, paraissait être doté d’un caractère indomptable. En 1596, le Japon était en guerre et l’escrime y était très en vogue, imprégné d’une ambiance brutale.

C’est à cette date qu’Arima Yoshibe, dit Kihei, expert au maniement de la lance et du sabre, lança un défi à quiconque souhaitait le relever. A cette époque, c’était une chose courante et c’était également une manière pour les guerriers de se tester. Un moyen d’enrichir leur expérience et de réaffirmer leur supériorité qui aurait pu être remise en cause, si celui-ci restait trop longtemps en arrière de la scène guerrière. Ces duels n’étaient pas sans risque, car personne ne pouvait être à l’abri d’une surprise, ce qui constituait, en quelque sorte, le prix de la notoriété. Dans cet acte, on y reconnaissait bien souvent les qualités de courage et de panache. Et pour l’inconnu de passage, capable de relever un tel défi et d’en sortir victorieux, c’était la renommée assurée. Le défi constituait donc un enjeu de taille.

Takezo releva le défi sans hésiter, une aubaine pour lui, car il était désireux de sortir de l’anonymat. Les adversaires ne se connaissaient pas, mais la provocation ayant été faite dans les règles de l’art, la confrontation fut inévitable.

Le jour venu, les deux adversaires se rendirent sur le champ de bataille désigné pour l’affrontement. Tête haute et regard dur, Takezo ne laissa même pas le temps à Kihei de le jauger. Takezo se rua sur lui en brandissant son bokutô de chêne. Son adversaire, surpris, fit un pas de côté et dégaina dans le mouvement. La partie s’annonçait dure à jouer.

Takezo, faisant preuve d’un sens de la stratégie innée, ne perdit rien de sa détermination et reprit aussitôt l’avantage en jetant son arme de bois au loin. Interloqué devant cet acte incompréhensible, Kihei patienta. Takezo venait d’inviter son adversaire à un combat au corps à corps, ce que Kihei ne put refuser.

Doté d’une rage de vaincre incommensurable, Takezo se rua sur son adversaire, l’empoigna à bras-le-corps, l’envoya rouler au loin, l’assommant à moitié. Mais Kihei n’eut pas le temps de reprendre ses esprits que Takezo avait déjà ramassé son bokutô et lui asséna un coup violent sur le crâne. Kihei mourut sur le coup.

Takezo, alias Musashi, venait d’appliquer le principe selon lequel la défaite pouvait venir de la sous-estimation d’un adversaire, et dans un combat pour la vie, tous les moyens étaient bons pour gagner et survivre. Takezo faisait par la même occasion une entrée brutale et remarquée, dans un monde où tout pouvait devenir mortel. En se faisant une place dans la société des guerriers, où se côtoyaient chaque jour la vie et la mort, Takezo devenait par la même occasion un homme à abattre.

Miyamoto Musashi était un rônin, un guerrier sans attache et sans maître, qui ignorait la peur et qui entreprit à travers tout le Japon, une longue quête, ce qui était dans sa nature profonde et deviendrait son karma (sa destinée). Guerrier solitaire (mushashugyosha), à la recherche de la perfection de son art, il accomplissait cette quête à travers les rencontres que lui proposaient les hasards de la vie.

 

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Le dernier duel de Musashi

Sasaki Kojiro, dit Gan-ryû du clan Mori, avait dix huit ans quand il se mesura à Musashi alors âgé de vingt neuf ans.

La technique que Kojiro avait mise au point était redoutable et infaillible, technique dite du « tonneau de l’hirondelle » (tsubame-gaeshi), qui lui permettait de trancher d’un seul coup vif et précis de son long sabre, un oiseau en vol. cet art supposait une précision remarquable dans le geste, qui consistait en une sorte d’aller-retour très vif de la lame.

Musashi transmit son désir à Sasaki Kojiro de se mesurer à lui. La rencontre fixée fut un modèle de stratégie et de maîtrise, démontrant encore une fois que Miyamoto Musashi avait atteint le sommet de son art.

Kojiro n’avait jamais connu la défaite, le destin voulut que ces deux guerriers hors pair s’affrontent.

Musashi se rendit paisiblement sur le lieu du combat, une île de sable nommée Mukaijima.

Dès l’arrivée de Musashi, Kojiro tira lentement se longue lame de son fourreau, jetant négligemment ce dernier à la mer. Et c’est à cet instant que Musashi sut qu’il allait remporter le duel, car la maîtrise de la distance prévalait sur celle de la vitesse. Musashi interpella Kojiro en ces termes (mettant déjà en évidence sa fameuse technique des deux sabres) :


« Tu as perdu, Kojiro. Comment un vainqueur pourrait-il jeter le fourreau de son sabre ? Tu es donc sûr qu’il ne te servira pas… »


A ces mots, Kojiro brandit son sabre. Mais Musashi ne se battrait pas avec une vraie lame. Le soleil commençait à lui brûler la rétine. Dans le Gorin-no-shô, il consigna :


« Dans le combat, cherche à placer le soleil derrière toi ou à ta droite ».


Le mortel duel avait déjà commencé. Kojiro bondit en avant, sa lame fendit l’air pur du matin et sembla fendre le crâne de Musashi en deux. Ce dernier eut un mouvement bref et ses cheveux retombèrent sur ses épaules : la pointe de la lame adversaire venait de lui couper son serre-tête.

Esquive parfaite… Emporté par son élan et la certitude de la victoire, Kojiro ne contrôlait déjà plus la course de son sabre dont la pointe érafla le sol. Briser le rythme de l’adversaire…


« Toute chose possède un rythme. Vaincre revient à percevoir le rythme de l’adversaire tout en travaillant soi-même sur des rythmes qui vont le dérouter ».


Musashi bougea lentement, bondissant à son tour en abattant avec force et d’une seule main, sa rame sur la tête de Kojiro. Ce dernier projeta son sabre en appliquant sa redoutable technique du « tonneau de l’hirondelle ». Le katana vint trancher le bas du kimono de Musashi à hauteur de genoux, mais ne put en couper davantage. Car Musashi venait d’esquiver en bondissant vers le haut, répondant par la technique du « vol du démon », autrefois enseignée par Tsukahara Bokuten.

Musashi asséna un second coup de rame, touchant son adversaire à hauteur de poitrine, lui brisant les os et lui écrasant les poumons. Sasaki Kojiro s’effondra, le nez et la bouche en sang, il ne respirait plus.


« La rapidité dans la tactique n’est certes pas la véritable Voie. Elle apparaît presque lente, la technique de celui qui est devenu habile dans son art. », écrivit Musashi dans son Gorin-no-shô.


Encore une fois, Musashi sortait vainqueur de ce combat qu fut le dernier, car il n’avait plus rien à prouver, ni aux autres, ni à lui-même. Et c’est à l’âge de 29 ans que Musashi cessa tout combat. On dit que ce génie de l’art du sabre avait enfin rencontré au cours de ce dernier combat, un adversaire à sa taille, qu’il tua, certes, mais qu’il regretta beaucoup.


A suivre : Le Traité des cinq roues

Source : Histoires de samouraïs - Récits de temps héroïques - Roland Habersetzer - 2008


 

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